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Cinéma : « Une année difficile », des loosers exploitent le militantisme vert

Les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Tolédano récidivent pour un huitième collaboration avec ce film qui sortira le 18 octobre dans les salles. Retour critique sur un visionnage en avant-première avec les réalisateurs et l’acteur tête d’affiche Pio Marmaï, dont les partenaires sont Jonathan Cohen, Noémie Merland et Mathieu Amalric, entre autres. On était à l’avant-première du 15 octobre, à UGC Ciné-Cité la Défense

La salle est comble soit 300 cinéphiles venus ce dimanche en fin d’après-midi pour découvrir le film et rencontrer les réalisateurs et son acteur vedette à La Défense. La soirée commence par la série de questions-réponses à laquelle se livre, enjoués, Olivier Nakache, Éric Tolédano et Pio Maraï (voir en fin d’article le contexte de cette tournée d’avant- premières).

L’intrigue

Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen), en situation de surendettement, se rencontrent par l’intermédiaire d’Henri (Mathieu Amalric), un conseiller qui les fait intégrer un groupe d’écologistes radicalisés menée par Valentine (Noémie Merlant). Peu sensibles à l’idéologie de ses membres mais entraînés dans leurs actions musclées, ils vont surtout en profiter pour jouer les pique-assiettes et monter des coups pendables pour tenter de résoudre leurs problèmes matériels. Tout au long du film, les personnages se révèlent dans leurs combats personnels ou politiques, révélant leurs difficultés et fragilités, alors qu’Albert et Valentine se rapprochent, le tout sur fond de préoccupations sociétales très actuelles.

Tout est subjectif, mais pour des références « vintage », on pourrait voir dans le trio vedette de ce film, Noémie Merland comme une Caroline Tresca aux yeux démesurés et Pio Maraï comme un Daniel Auteuil du temps de sa jeunesse, format baraqué. Jonathan Cohen lui, ne ressemble qu’à lui-même. Du vintage, il y en a aussi avec la bande son qui inclut par exemple The Doors, Little Wings (reprise de Sting) et Freak (c’est Chic).

Scènes introductives

Le film commence d’emblée par des rires dans la salle alors que se succèdent des extraits de vœux de nouvelle année de nos présidents de la République passés, qui font tout invariablement le même bilan : ça a été « une année difficile ». on commence avec François Hollande, et on remontera le temps jusqu’à Georges Pompidou.

Le film démarre vraiment ensuite via une opération particulièrement musclée d’un groupe d’activistes écologiques qui décident de bloquer l’accès à un magasin d’électroménager un jour de Black Friday, face à des consommateurs survoltés, décidés à ne pas rater les promotions. Ils râlent, la meneuse Valentine fait son (premier) discours sur la nécessité qu’ils arrêtent d’être manipulés pour consommer inutilement alors que la planète est surexploitée, appelant à la sobriété avant qu’il ne soit trop tard. Il se trouve qu’Albert est là, parmi les consommateurs et forçant le barrage il sera parmi les premiers à se ruer dans le magasin quand le rideau de fer s’entrouvre. On assiste alors à une scène qui pourrait être effrayante, les visiteurs du magasin se précipitant sur les gondoles pour se procurer les objets convoités, ce qui génère des scènes de bagarre et des vols planés d’objets ou de personnes. Mais on s’en doute, le traitement est burlesque, aidé par la musique d’ambiance choisie par les réalisateurs, « La valse à mille temps » de Jacques Brel, chanson que l’on retrouvera dans une atmosphère plus paisible pour clore le film.

On va vite découvrir la vie d’Albert, employé au tri des bagages d’Aéroports de Paris. On comprend avec stupeur qu’il est sans domicile fixe, ou plutôt qu’il a élu comme domicile son lieu de travail. La nuit, il dort dans les immenses salles d’embarquement avec ses deux valises. Il est « associé » avec un collègue contrôleur des bagages d’embarquement pour récupérer des objets qu’il revend sur les parkings de taxis à l’aéroport.
Bruno est quant à lui aux prises avec le juge sur son dossier de surendettement et sa femme l’a quitté. C’est Henri qui permettra aux deux lurons de se rencontrer pour les embarquer dans l’aventure associative. Henri a aussi son côté « looser », car il lutte contre l’addiction au casino, où il est fiché car interdit de jeux d’argent. On aura droit à plusieurs scènes comiques où il essaie désespérément d’entrer pou accéder aux machines à sous.
Valentine, la cheffe des militants écologistes, mène son groupe tambour battant et ne manque pas d’imagination pour les actions du groupe, qui visent après l’opération Black Friday introductive, à bloquer des voitures dans la rue, un avion sur une piste d’aéroport (Albert est dans le coup), à saboter un défilé de mode au nom des animaux sacrifiés pour leur fourrure, ou à manifester devant la Banque de France. Albert est encore dans le coup avec son complice Bruno. Ils ont convaincu Valentine de s’attaquer à cet établissement symbole de la finance pour en réalité mettre la main sur leurs dossiers de surendettement.
Les scènes d’actions militantes qui ponctuent le film sont savoureuses, travaillées comme des chorégraphies, pleines de couleurs et de mouvements, de musique bien choisie.

Sauver sa peau ou celle de la planète ?

Les thèmes sociétaux abordés sont brûlants, en opposition : surendettement des ménages contre protection de la planète, avec un « mal » d’origine : la société de consommation et les dérèglements qu’elle entraîne, à base de surproduction et de surexploitation des ressources de la Terre. D’un côté on a les victimes individuelles avec nos deux surendettés qui essaient de survivre à coup de « combines », focalisés sur eux-mêmes. De l’autre, on a ce groupe militants pour l’écologie qui veut régler le problème à la racine, celui de la planète, en faisant changer les comportements de chacun.

La rencontre entre ces individualistes concentrés sur leur survie matérielle et les militants verts était totalement improbable, tout les oppose. D’ailleurs, la scène introductive du film sur l’opération Black Friday est particulièrement symbolique et fait bien passer le message : un dialogue de sourds entre ceux qui veulent attenter à la liberté (de consommer, de polluer,….) des autres au nom de leurs valeurs. une urgence de sobriété contre le consumérisme. Est-ce bien raisonnable ?

Le film n’est pas engagé, il ne juge pas les combats ni les personnes. On imagine que peut-être, les « écolos » militants vont être déçu de ce positionnement neutre voire considérer que leur combat est moqué, ce qui n’est pas complètement faux mais dans ce cas, tous les protagonistes sont eux-mêmes moqués. Mais c’est juste de la dérision, n’oublions pas qu’il s’agit d’une comédie ou tout est prétexte à rire et gags. Cela ne remet pas en cause la gravité des sujets de fonds.

Tous fragiles

On pourrait penser que les fragiles, ce sont les surendettés qui apparaissent en véritables loosers dans la société. On pourrait penser que les « forts », ce sont qui ont du recul sur le devenir de notre planète et agissent pour la protéger, délaissant leurs soucis. Pourtant, le film nous montre que les seconds sont tout aussi fragiles que les premiers. Leur radicalité est exploitée, caricaturée, les militants se prennent à leurs propres pièges, donc leur absence de mesure. Qui sont les moutons ? oserait-on questionner ; la réponse n’est pas si simple qu’un camp de bons et un camp de méchants.
Les discours de Valentine et de ses coéquipiers font souvent rires par leur argumentaire bourrés de clichés et sans jamais la moindre nuance. Leur fragilité apparaît vite, en particulier celle de Valentine Son discours et ses réactions sur l’écologie sont extrêmes, le discours standard, basé sur les théories du pire pour la suite (effondrement) t et on vit littéralement cette éco-anxiété que l’on sait réelle et préoccupante chez les jeunes générations.

Dans la continuité de la série TV « En thérapie »

Les réalisateurs ne s’en cachent pas : « Une année difficile » propose un film qui s’inscrit comme une suite de « En thérapie », la série TV à succès (20 millions de vues en ligne) concoctée par le duo de réalisateurs pour Arte. Il s’agit ici d’une adaptation très fidéle d’une série israélienne de 2005. Deux saisons sont disponibles, avec quelques stars comme Jacques Weber, Carole Bouquet ou Charlotte Gainsbourg entre autres…. et Pio Maraï. D’ailleurs, concernant la genèse de « Une année difficile », l’écriture du projet a été pensée d’emblée pour Pio Mamraï, mais pas Jonathan Cohen qui a remplacé un autre acteur finalement indisponible pour le tournage. Quant à Noémie Merlant, un bout d’essai aura convaincu les réalisateurs en une minute.

Journalisme poétique ?

Ce film est émouvant à plus d’un titre. D’abord bien sûr, pour ses personnages fragiles, tout en nuances et contradictions, donc tellement humains. La poésie et l’art sont omniprésents. Mais aussi peut-être, parce que le film ne prend parti pour aucun combat des uns ou des autres et ne juge personne. Il fait état de problématiques sociétales contemporaines, des sujets forts, sur lesquels chacun peut avoir un avis. La ligne directrice choisie par les réalisateurs semble être : pas de politique, pas de message militant ou moralisateur, pas de tout blanc ou tout noir. Finalement, c’est très respectueux du public. Des situations, des problématiques d’actualité sont décrites, et la façon dont des hommes et des femmes y font face, seuls ou en groupe, avec plus ou moins de réussite. C’est un témoignage, un miroir de nos préoccupations du moment, celles des années 2020. Toutes les clés sont là : les faits, les émotions et comportements générés. À chacun de faire son chemin avec. On en ressortira pas indemne côté émotions, mais dans ce film, il y a des clés pour faire avancer son jugement. N’est-ce pas ce qu’on attend du journalisme ? Ici, on a l’art en prime et un traitement humoristique permanent.

Un magnifique témoignage sur notre société et de son époque, comme un miroir, un miroir plein d’humanité. Le film se termine à nouveau sur La valse à mille temps de Brel, dans une scène très poétique où Valentine et Albert dansent dans un Paris sous le ciel bleu éclatant, un Paris totalement désert (cela a dû être une prouesse à organiser). On est heureux de les voir enfin ensemble, l’affaire semble « dans le sac » alors que ce n’était pas gagné pour Albert. Il y a une ambiance de comédie musicale pour la note finale de cette comédie populaire très drôle et bien enlevée côté scénario, rythmée, esthétique et au casting impeccable avec un seul parti pris, constant : l’humour. Une réussite.

Rencontre avec les réalisateurs et Pio Marmaï

C’est une (pré) séance de bonne humeur et d’humour et que nous offrent les trois acolytes qui se livrent bien volontiers aux questions des spectateurs dans la salle pendant une petite demi-heure avant de lancer la projection du film. C’est la reprise d’une habitude pour Olivier Nakache et Éric Tolédano que d’aller à la rencontre des spectateurs lors d’avant-premières dans les salles obscures. La tournée pour « Une année difficile » a été entamée le 18 mai dernier à Nice, soit 5 mois de rencontres avec le public hétéroclite de cinémas dans toute la France. Comme pour « Le sens de la fête » en 2017, ils ont tenu un journal de ces rencontres pour le magazine L’Obs. On y apprend que les équipes de Gaumont ont appelé cette initiative le « Never Ending Tour », avec un total de 133 villes pour plus de 180 séances partagées dans des métropoles, des villes et des villages ! On apprend ainsi que le mois dernier ils étaient à Gournay-en-Bray, au cinéma de la ville tout en briques rouges locale, que l’on a fréquenté enfant et que Pio Marmaï connaît bien également, à mi-chemin entre Paris et Dieppe. Ou encore, à mi-chemin entre Paris et Deauville, la salle de la petite commune du Neubourg et son cinéma « Le Viking » que l’on connaît aussi et qui a réuni 10 % de la population de la ville avec 400 spectateurs. C’est 100 de plus que ce soir dans le méga-complexe de cinémas UGC du non moins démesuré quartier d’affaires de l’ouest parisien.

Le trio d’acteurs vedettes les accompagnent selon leurs disponibilités. Aujourd’hui, nous avons eu le plaisir de les voir avec Pio Marmaï à la Défense.
Les réalisateurs sont très heureux d’avoir repris cette tradition de rencontre du « terreau humain » des salles de cinéma après des années de rupture en raison de 4 ans d’interruption avec la crise sanitaire et ses contraintes et impact négatif sur la fréquentation des salles, et le fait qu’ils se sont consacrés à deux saisons de la série TV « En thérapie ».

De gauche à droite : Éric Tolédano, Pio Marmaï et Olivier Nakache le 15 octobre 2023

Une année difficile, un film d’Olivier Nakache et Éric Tolédano , avec Pio Marmaï, Noémie Merland, Jonathan Cohen, Mathieu Amalric – Date de sortie : 18 octobre 2023 – Durée : 1h58

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