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Des scientifiques poursuivent en justice des scientifiques, et se comportent mal

par Nathan A. Schachtman, Esq., PC, New York, le 2 juin 2021

Dans son discours de remerciement pour le prix Nobel en 1994, le chimiste d’origine hongroise George Andrew Olah a reconnu un aspect de la science qui est rarement mentionné dans les discussions populaires :

« [L’un] des moyens d’éviter les erreurs est d’avoir des amis qui sont prêts à consacrer le temps nécessaire à l’examen critique du plan expérimental avant et des résultats après les expériences. Un moyen encore meilleur est d’avoir un ennemi. Un ennemi est prêt à consacrer beaucoup de temps et de matière grise à la recherche d’erreurs, petites et grandes, et ce sans aucune compensation. Le problème est que les ennemis qui en sont vraiment capables sont rares ; la plupart d’entre eux sont ordinaires. Un autre problème avec les ennemis est qu’ils se transforment parfois en amis et perdent une bonne partie de leur zèle. C’est ainsi que l’écrivain a perdu ses trois meilleurs ennemis. Tout le monde, et pas seulement les scientifiques, a besoin de quelques bons ennemis ! »[1]

Si vous prenez la science au sérieux, vous devez considérer les erreurs comme des choses auxuquelles nous devons toujours être vigilants, et que nous nous engageons à éliminer. Comme Olah et Von Békésy l’ont reconnu, il faut parfois un ennemi. Il semblerait donc peu scientifique de se plaindre qu’un ennemi vous harcèle, alors qu’il critique vos données, la conception de votre étude, vos méthodes ou vos motivations.

Elisabeth Margaretha Harbers-Bik serait une bonne ennemie dont se targuer. Formée aux Pays-Bas en microbiologie, Mme Bik est venue aux États-Unis, où elle a mené pendant quelques années des recherches à l’Université de Stanford. En 2018, Bik a entamé avec sérieux une nouvelle carrière dans l’analyse des études scientifiques publiées pour la duplication et la manipulation d’images, et d’autres pratiques douteuses[2].

Son blog, Scientific Integrity Digest, devrait figurer sur la liste de lecture de tous les avocats qui travaillent dans les méandres de la science détournée pour les litiges. On ne sait jamais à quel moment le témoin expert de votre adversaire sera présenté dans les pages du Digest !

La Dr Bik n’est pas un ranger solitaire ; d’autres scientifiques se sont engagés à nettoyer la littérature scientifique. Après une illustre carrière de rédacteur en chef de revues prestigieuses et de directeur de la Rockefeller University Press, le Dr Mike Rossner a fondé la société Image Data Integrity, Inc. pour éradiquer la fraude et les erreurs d’images dans les publications scientifiques.

Le 16 mars 2020, un groupe d’auteurs français, dont le Dr Didier Raoult, a téléversé sur medRxiv un pre-print d’un article sur l’hydroxychloroquine (HCQ) et l’azithromycine chez des patients atteints de la maladie Covid-19. Les auteurs ont soumis leur manuscrit le jour même à l’International Journal of Antimicrobial Agents, qui l’a accepté en 24 heures ou moins, le 17 mars 2020. Le journal a publié l’article en ligne, trois jours après son acceptation, le 20 mars. L’examen par les pairs, dans la mesure où il a eu lieu, a été abrégé[3].

Le titre trompeur de l’article, « Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial » (Hydroxychloroquine et azithromycine pour le traitement du COVID-19 : résultats d’un essai clinique ouvert et non randomisé), a pu faire croire à certains observateurs non initiés que l’article présentait une étude élevée dans la hiérarchie des preuves. Il s’agissait plutôt d’une étude observationnelle plutôt imparfaite, ou peut-être simplement d’une concaténation d’anecdotes. Quoi qu’il en soit, les auteurs ont indiqué que les patients qui avaient reçu les deux médicaments ont éliminé le SRAS-CoV2 le plus rapidement.

Quatre jours après la publication en ligne dans une revue censée faire l’objet d’un examen par les pairs, Elisabeth Bik a publié une analyse perspicace de l’article de Raoult[4]. S’il s’agissait d’un examen par les pairs, son billet de blog a souligné l’échec de l’examen en identifiant un conflit d’intérêts apparent et diverses failles méthodologiques, notamment des données manquantes sur six patients (sur 26), dont un patient décédé et trois dont l’état s’est aggravé sous traitement.

L’article de Raoult et son plaidoyer trop zélé pour le HCQ ne sont pas passés inaperçus dans le monde des excentriques, des spéculateurs et des fraudeurs. Elon Musk a tweeté sur l’article de Raoult et Fox News a amplifié le tweet de Musk, qui s’est retrouvé dans le marais de la désinformation, dans l’esprit de Trump et dans sa twittosphère[5].

Raoult s’est apparemment emporté contre les critiques de Bik et la démystification de sa surinterprétation de son étude défectueuse sur l’HCQ. Le mois dernier, Raoult a déposé une plainte auprès d’un procureur français, ce qui a marqué le début d’une procédure judiciaire contre Bik pour harcèlement et « extorsion ». L’accusation d’extorsion n’est basée sur rien d’autre que le fait que Bik ait un compte Patreon pour soutenir sa recherche de fraude et d’erreur dans la littérature médicale publiée[6].

L’expression initiale de l’indignation face au mauvais comportement de Marseille Raoult est venue de Citizen4Science, une organisation française à but non lucratif qui œuvre pour la promotion de l’intégrité scientifique. La Dr Fabienne Blum, présidente de Citizen4Science indique que l’organisation a publié son communiqué de presse le 5 mai 2021 pour demander aux autorités d’enquêter et d’intervenir au sujet le harcèlement des scientifiques par Raoult. Leur communiqué de presse sur « le scandale français » a été signé par des scientifiques et des non-scientifiques du monde entier ; il reste actuellement ouvert aux signatures, qui en compte plus de 4 000. « Harcèlement des porteurs de la parole scientifique et des défendeurs de l’intégrité scientifique : Citizen4Science demande aux autorités d’intervenir de toute urgence » (5 mai 2021). La Dr Blum et Citizen4Science sont maintenant harcelés sur Twitter, où ils ont été qualifiés de « gang de Bik ». Inévitablement, ils seront également poursuivis en justice.

Le 1er juin, le Dr Raoult a publié son point de vue intéressé sur la controverse sur ce forum savant qu’est YouTube. Une traduction anglaise de la diatribe de Raoult est disponible sur le site de Citizen4Science. D’autres personnes ont peut-être remarqué que Raoult se réfère à Bik en tant que « Madame » (ou Mrs.) Bik, plutôt que Dr. Bik, ce qui laisse supposer que Raoult a du mal à accepter la critique de femmes intelligentes.

Ayant projeté ses pires caractéristiques sur ses adversaires, Raoult a porté contre Bik des accusations qui, en fait, reflètent étroitement ses propres comportements. N’avons-nous pas vu quelqu’un dans la vie publique qui fonctionne exactement comme ça ? Raoult a critiqué Bik dans les médias profanes, et il a divulgué des informations personnelles sur elle, notamment son adresse de résidence. Les attaques personnelles intempestives et inappropriées de Raoult contre Bik ont conduit plusieurs centaines de scientifiques à signer une lettre ouverte de soutien à Bik[7].

[1] George Andrew Olah Nobel Prize Speech (1994) (quoting from George Von Békésy, Experiments in Hearing 8 (1960).

[2]Elisabeth M. Bik, Arturo Casadevall, and Ferric C. Fang, “The Prevalence of Inappropriate Image Duplication in Biomedical Research Publications,” 7 mBio e00809 (2016); Daniele Fanelli, Rodrigo Costas, Ferric C. Fang, Arturo Casadevall, Elisabeth M. Bik, “Testing Hypotheses on Risk Factors for Scientific Misconduct via Matched-Control Analysis of Papers Containing Problematic Image Duplications,” 25 Science & Engineering Ethics 771 (2019); see also Jayashree Rajagopalan, “I have found about 2,000 problematic papers, says Dr. Elisabeth Bik,” Editage Insights (Aug 08, 2019).

[3] Philippe Gautret, Jean-Christophe Lagier, Philippe Parola, Van Thuan Hoang, Line Meddeb, Morgane Mailhe, Barbara Doudier, Johan Courjon, Valérie Giordanengo, Vera Esteves Vieira, Hervé Tissot Dupont, Stéphane Honoré, Philippe Colson, Eric Chabrière, Bernard La Scola, Jean-Marc Rolain, Philippe Brouqui, and Didier Raoult, “Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial,” 56 Clinical Trial Internat’l J. Antimicrob. Agents e105949 (2020).

[4] Bik, “Thoughts on the Gautret et al. paper about Hydroxychloroquine and Azithromycin treatment of COVID-19 infections,” Scientific Integrity Digest (March 24, 2020).

[5] Charles Piller, “‘This is insane!’ Many scientists lament Trump’s embrace of risky malaria drugs for coronavirus,” Science Mag. (Mar. 26, 2020).

[6] Melissa Davey, “World expert in scientific misconduct faces legal action for challenging integrity of hydroxychloroquine study,” The Guardian (May 22, 2021); Kristina Fiore, “HCQ Doc Sues Critic,” MedPage Today (May 26, 2021).

[7] Lonni Besançon, Alexander Samuel, Thibault Sana, Mathieu Rebeaud, Anthony Guihur, Marc Robinson-Rechavi, Nicolas Le Berre, Matthieu Mulot, Gideon Meyerowitz-Katz, Maisonneuve, Brian A. Nosek, “Open Letter: Scientists stand up to protect academic whistleblowers and post-publication peer review,” (May 18, 2021).

Traduit par Citizen4Science – lien vers le billet original

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