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Les théories du complot sont dangereuses, même si très peu de gens y croient

par Keith Raymond Harris, postdoctoral Research Fellow in Philosophy, Ruhr University Bochum, Allemagne

Une question reste ouverte parmi les experts et les chercheurs : Les Américains sont-ils plus nombreux à croire aux théories du complot qu’ auparavant ?

Mais en tant qu’universitaire spécialiste des théories du complot et de leurs adeptes, je crains que le fait de se concentrer sur le nombre d’Américains qui croient aux théories du complot ne détourne l’attention de leurs dangers.

Même si la plupart des gens rejettent les théories du complot ou ne les acceptent que dans un sens limité, laissant un très petit nombre de vrais croyants, la grande visibilité de ces fausses idées peut toujours les rendre dangereuses.

Association sans croyance

Les philosophes supposent souvent que les gens peuvent expliquer leurs actions en fonction de ce qu’ils veulent faire ou obtenir, et de ce qu’ils croient. Cependant, de nombreuses actions ne sont pas guidées par des croyances explicites, mais plutôt par l‘instinct. Ces sentiments ne sont pas figés. Ils peuvent être influencés par l’expérience.

Ce principe est pris à cœur par les publicitaires qui cherchent à influencer les comportements, non pas en changeant la façon dont les gens pensent mais ce qu’ils ressentent. La manipulation des sentiments de cette manière peut être accomplie en associant subtilement un produit à des résultats désirables tels que le statut et le sexe.

Cela peut également prendre une forme négative, comme dans les publicités d’attaque politique qui visent à associer un adversaire à des images et des descriptions menaçantes. Forger des associations mentales similaires est l’un des moyens par lesquels les théories du complot, comme d’autres fausses informations, peuvent avoir des conséquences même sans être crues.

L’une des premières publicités d’attaque politique, diffusée par Lyndon Johnson en 1964, ne mentionne même pas le nom de sa cible.

Quelques exemples

Partons de l’hypothèse que les théories du complot alléguant que l’élection présidentielle américaine de 2020 a été truquée. Certaines personnes y croient sans doute. Mais même si les gens ne croient pas à tout le mensonge, ils peuvent toujours croire que quelque chose à propos de l’élection de 2020 « cloche », « ne semble normal » ou « ne sent pas bon ». Ils pourraient donc être plus enclins à soutenir les efforts que les politiciens prétendent déployer pour protéger l’intégrité des élections ; et ce même si ces efforts se traduisent par une suppression ciblée des électeurs.

Considérons ensuite les théories complotistes antivax. Les contenus anti-vaccination, qu’ils concernent les vaccins en général ou les vaccins contre le COVID-19 en particulier, prennent souvent la forme de photos et de vidéos censées illustrer les effets indésirables inquiétants des vaccins. Ce type de contenu peut proliférer rapidement sur les réseaux sociaux et, en s’appuyant sur des images choquantes plutôt que sur de fausses affirmations explicites, peut souvent échapper à la modération.

L’exposition à des informations anti-vaccination peut donner aux lecteurs ou aux spectateurs un vague sentiment de malaise, et donc d’hésitation vis-à-vis des vaccins, même sans susciter de convictions antivax explicites. En fait, des études antérieures ont montré que les personnes qui ont tendance à se fier à leur intuition et qui éprouvent des émotions négatives à l’égard des vaccins sont plus susceptibles de refuser la vaccination. Bien que ces recherches aient porté sur d’autres vaccins, il est probable que des facteurs similaires contribuent à expliquer pourquoi de nombreux Américains n’ont pas été complètement vaccinés contre le COVID-19, et la plupart n’ont pas reçu de rappels.

Scène du 06/01/2021 devant le Capitole, Washington D.C., États-Unis – Source : Wikipédia

Simulation et coordination

Les chercheurs suggèrent souvent que de nombreuses personnes font simplement semblant de croire aux théories du complot et à d’autres formes de désinformation afin d’exprimer leur loyauté politique. Mais même le fait de feindre peut avoir un coût. Penchons-nous sur une analogie.

Lorsqu’un enfant déclare que « le sol, c’est de la lave », peu de gens, voire personne, croient à cette déclaration. Mais cet enfant, et d’autres, commencent à agir comme si cette déclaration était vraie. Ceux qui y croient peuvent grimper sur les meubles et répéter la déclaration aux autres qui pénètre dans le lieu. Certains enfants jouent juste pour s’amuser, d’autres pour montrer leurs talents de grimpeur et de sauteur, et d’autres encore pour apaiser l’enfant qui a initié le jeu.

Certains enfants se lassent rapidement du jeu et souhaitent arrêter de jouer, mais ils aiment ou respectent l’enfant qui a initié le jeu, et ne veulent pas le contrarier en arrêtant. Au fur et à mesure que le jeu progresse, certains le prennent trop au sérieux. Les meubles sont endommagés et certains se blessent en essayant de sauter d’une surface surélevée à une autre. La lave c’est du fake, mais de vrais objets sont cassés.

Plus sérieusement, lorsque Donald Trump a affirmé que l’élection présidentielle de 2020 était « truquée », certains responsables et simples citoyens ont agi en conséquence. Que ce soit par conviction sincère, par esprit partisan, par loyauté envers Trump ou par opportunisme financier, de nombreux Américains se sont comportés comme si l’élection de 2020 était injustement décidée.

Certaines personnes agissant comme si la théorie du complot électoral était vraie se sont rassemblées à Washington, certaines ont pris d’assaut le Capitole et, dans les coulisses, d’autres ont mis au point un stratagème pour soumettre de fausses listes de grands électeurs soutenant la réélection de Trump malgré sa défaite dans les urnes. Les personnes impliquées dans ces activités pouvaient compter sur le soutien d’autres personnes qui soutenaient la thèse de l’élection truquée, même si ces soutiens étaient en grande partie hypocrytes.

Le prix de faire semblant

Les coûts liés à l’action de faire comme si l’élection de 2020 était truquée sont sans doute plus importants que ceux d’agir comme si le sol était de la lave. Les coûts liés au fait d’agir comme si l’élection de 2020 était truquée ont entraîné des millions de dollars de dommages au Capitole, des centaines d’arrestations d’émeutiers du Capitole, de multiples décès et mis en péril la démocratie américaine.

Compte tenu des risques graves encourus, il convient de se demander pourquoi des personnes qui ne croyaient pas sincèrement que l’élection avait été faussée ont pris le risque de faire semblant. Cette question met en lumière le danger unique des théories du complot soutenues par ceux qui sont au pouvoir : il peut y avoir beaucoup à gagner à faire semblant d’y croire.

Article publié initialement dans The Conversation, traduit par la Rédaction.
La traduction est protégée par les droits d’auteur, en conséquence notre article n’est pas libre de droits.

Image d’en-tête : Élément du billet d’un dollar américain figurant l’œil de la Providence 

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