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L’homme (atteint de drépanocytose avec un traitement) qui valait 3 millions : Quand la fiction devient réalité avec la thérapie génique conventionnelle ou les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9

Une fantastique avancée scientifique et médicale, mais qui s’avère aujourd’hui totalement inabordable pour les patients

Les « ciseaux CRISPR-Cas9 », révolutionnaires, sont moléculaires. Ils ont valu le prix Nobel 2020 de chimie à la française Emmanuelle Charpentier (expertise : bactéries pathogènes) et à l’américaine Jennifer Doudna. Il aura fallu presque 10 ans deux chercheuses pour mettre au point une méthode d’édition du génome. Ce dernier est l’ensemble des gènes d’un individu, à savoir son « mode d’emploi ».

Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna (en 2015 et 2016) – Source : Wikipédia

Dès lors, et chacun le comprend, pouvoir « éditer » (anglicisme ici, traduisons plutôt par « modifier ») les gènes avec CRISPR, c’est pouvoir réécrire le code de la vie. Imaginons donc que ce code soit altéré, d’origine (maladie génétique) ou au cours de la vie (beaucoup de cancers). Une erreur dans le mode d’emploi en somme. Chacun perçoit le potentiel : Guérir une maladie génétique (innée), ou une maladie acquise en raison d’une modification génétique au cours de la vie.

Des maladies génétiques, on en recense à ce jour plus de 10 000, qui affectent 1 % des naissances. Pour utiliser CRISPR-Cas9, encore faut-il avoir déterminé précisément le ou les gènes défaillants pour programmer l’outil spécifiquement et les réparer. Un travail de couture avec une technologie particulièrement complexe, donc plutôt un travail d’orfèvre qui prend du temp et coûte très cher en recherches supplémentaires. En 2020, Emmanuelle Charpentier expliquait que l’utilisation de l’outil allait dans un premier temps bénéficier à l’agriculture, voyant les bénéfices pour la santé humaine dans un avenir plus lointain, associé à la thérapie cellulaire.

CRISPR Therapeutics, une société co-fondée en 2014 par Emmanuelle Charpentier

Pour faire de la recherche, des découvertes majeures, de traitements innovants, il faut de l’argent. Et l’opposition public-privé, très prégnante en France est un obstacle fondamental au progrès médical. CRISPR Therapeutics, dont le siège de la R&D est aux États-Unis à Boston, avec une usine à Framingham non loin et un autre site de R&D à San Francisco, a installé son siège social international à Zoug, en Suisse.
La société est une société d’édition de gènes, avec la technologie CRISPR, bien sûr. Elle a levé 25 millions d’euros pour développer ses recherches. Bien évidemment, cela a contribué aux travaux entamés en 2012 par les futures nobélisées. Elle se donne l’ambition de la développer pour le traitement des maladies génétiques, selon une organisation fédérée en quatre franchises : hémoglobinopathies (traitement par édition de gènes), immuno-oncologie (édition de cellules immunitaires allogéniques pour le traitement du cancer, que l’on appelle cellules « CART-T »), médecine régénérative (édition de cellules bêta provenant de cellules souches pour le traitement du diabète, il s’agit de thérapie de remplacement cellulaire) et approches in vivo (une dizaine de programmes précliniques sont en développement).

Exa-cel, premier traitement de technologie CRISPR approuvé par la FDA pour la drépanocytose et la bêta-thalassémie

L’autorité de santé américaine a donné son approbation le 8 décembre pour l’exa-cel, nom abrégé de exagamglogene autotemcel. Il s’agit d’une thérapie mise sur le marché par CRISPR Therapeutics conjointement avec le laboratoire pharmaceutique Vertex Pharmaceuticals. Il est commercialisé sous le nom de CASGEVY™;

Environ 16 000 patients atteints de drépanocytose sévère, âgés de 12 ans et plus, ont participé au développement clinique. La drépanocytose, maladie héréditaire du sang, est due à la production d’une hémoglobine anormale, qui aboutit à des globules rouges déformés et fragiles, qui deviennent rigides. Il s’ensuit un défaut d’oxygénation des tissues, des crises vaso-occlusives douloureuses, une hémolyse chronique et une anémie.

Il s’agit donc du premier produit issu de la franchise hémoglobinopathies, qui traite des maladies génétiques avec un traitement administré une seule fois par patient, au moyen d’une transplantation à base des propres cellules souches hématopoïétiques (CD34+) du patient qui ont été modifiées par les ciseaux moléculaires de la plateforme CRISPR.

L’agence de réglementation sanitaire du Royaume-Uni a également donné une autorisation conditionnelle de mise sur le marché.

On attend désormais l’approbation de l’EMA (Agence européenne des médicaments).

La drépanocytose et la bêta-thalassémie bénéficient aussi de l’approbation par la FDA le même jour d’une thérapie génique conventionnelle avec le médicament LYFGENIA™ du laboratoire pharmaceutique BlueBird Bio. Ici, des cellules souches des patients sont modifiées pour produire une hémoglobine fonctionnelle (pas la même pour les 2 thérapies cependant) mais pas avec CRISPR-Cas9 qui coupe l’ADN des gènes pour supprimer, ajouter ou remplacer des morceaux de celui-ci.

Satisfaction teintée de craintes

Les agences sanitaires ont considéré ces médicaments comme sûrs et efficaces. Mais le nombre de patients inclus dans les études cliniques est faible.

En outre, on ne dispose pas de données de sécurité d’emploi sur le long terme, alors que l’on est sur des technologies nouvelles (et pour cause).

Même si la drépanocytose est une maladie rare (mais très invalidante qui met la vie en danger), c’est la maladie héréditaire la plus fréquente dans le monde. Touchant principalement les populations d’Afrique centrale et occidentale, elle est en croissance dans le monde en raison des flux migratoires de populations. C’est ainsi qu’on retrouve la maladie tout autour du bassin méditerranéen, mais aussi en Inde, en Europe et aux États-Unis. En France, l’augmentation de la prévalence est constante depuis 2010, avec plus de 500 nouveau-nés dépistés par an depuis 2018.

Et puis, il y a le prix, exorbitant : Vertex Pharmaceuticals et CRISPR Therapeutics évoquent un coût par patient de 2,2 millions de dollars, pour Lyfgenia on dépasserait 3 millions de dollars. Quels sont donc les patients qui pourront accéder à ces traitements ?

Il faut de plus mettre en face le coût du traitement classique qui est une transplantation « simple » (hétérologue, venant de donneurs, avec tous les inconvénients associés) de cellules souches, dont le coût ne dépasse guère 300 000 euros.

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