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Les scientifiques qui bombardent les faits ne changent ni les cœurs ni les esprits. En revanche, une communication scientifique adéquate le permet

par Tom Carruthers, Co-president, Australian Science Communicators, and Adjunct Lecturer, Science Communication, The University of Western, Australie, Heather Bray, Senior Lecturer in Science Communication, The University of Western Australia, Australie et Matthew Nurse, Associate lecturer, Australian National University, Australie

Note de la Rédaction : nous avons sélectionné cet article en lien avec une problématique prégnante sur les réseaux sociaux : des scientifiques hors de leurs domaines de compétence et non formés à la communication scientifique, qui réuisent à l’image de la science et attisent la haine, regroupés en clans sectarisés, instrumentalisant la science à des fins personnelles ou politiques

Fin novembre 2023, un article intitulé « Les communicants en matière de science doivent cesser de dire à tout le monde que l’univers est un vide insignifiant » a suscité un vif émoi au sein de la communauté australienne de la communication scientifique. Dans les réunions et sur les canaux de communication en ligne, nous nous sommes écriés » : pas TOUS les communicants scientifiques ! ».

En tant qu’experts en communication scientifique, nous pensons que l’article a mis le doigt sur quelques points notables, mais pour autant que ce n’est pas exhaustif. Comme les chercheurs en communication scientifique le reconnaissent depuis des décennies, certaines personnes qui communiquent sur la science ne tiennent pas vraiment compte de leur audience. Au lieu de cela, ils s’appuient sur le « modèle du déficit« , qui suggère à tort que l’on peut changer les croyances et les comportements des gens simplement en leur donnant des faits pour combler les lacunes qu’ils perçoivent dans leurs connaissances.

Or, ce n’est pas la norme. Les communicants en matière de science ne sont pas des évangélistes de la vision du monde exclusivement scientifique du scientisme. De nombreux communicateurs scientifiques réfléchissent en profondeur aux valeurs qui comptent pour les gens et à la manière d’atteindre leur public.

Les bons communicateurs scientifiques consacrent beaucoup d’efforts à la compréhension des publics. Parfois, nous entreprenons des programmes de recherche pour comprendre les attitudes, les valeurs et les visions du monde afin de pouvoir communiquer avec empathie avec les publics, et pas seulement transmettre des informations. Pourtant, une grande partie de ce travail est invisible pour le public, et il est clair qu’il n’est pas largement reconnu.

Qu’est-ce que la communication scientifique ?

La communication scientifique est parfois qualifiée de marketing scientifique, mais nombre d’entre nous rejetteraient cette étiquette. Nous aimons partager notre passion pour la science, mais nous n’en sommes pas des supporters inconditionnels.

Nous considérons que la science fait partie du grand projet de l’humanité visant à résoudre de nombreux problèmes. Nous n’ignorons pas le contexte social plus large. La plupart d’entre nous ne croient pas que la science soit tout, et nous parlons de ses limites. Nous reconnaissons également la nécessité de donner de l’espoir, même face à des prédictions catastrophiques.

Beaucoup d’entre nous seraient d’accord pour dire que certains vulgarisateurs scientifiques (nous utilisons ce terme à dessein) devraient cesser de dire aux gens que leurs croyances intuitives fondées sur des valeurs sont prouvées inutiles par la science. D’une part, dire aux gens que leurs croyances sont erronées est une manière tout à fait inefficace de communiquer la science, particulièrement en temps de crise.

La science a un rôle crucial à jouer dans l’information du public et des décideurs. Vlad Tchompalov

La plupart des communicants en science travaillent dans l’ombre, en aidant les scientifiques à partager leurs travaux ou en menant des campagnes de lutte contre la désinformation. Certains d’entre nous sont des traducteurs, qui rendent l’information plus accessible aux décideurs. D’autres sont des interprètes, qui aident à définir le sens et la pertinence des idées scientifiques. Certains d’entre nous sont des conteurs professionnels de la science.

Notre influence dans les coulisses nous amène parfois à lutter pour être reconnus comme des experts à part entière, pour que nos qualifications et notre formation spécialisée soient valorisées et pour avoir un siège à la table des négociations lorsque les gouvernements et d’autres organisations prennent des décisions impliquant la communication scientifique.

La question de savoir si la communication scientifique est une discipline à part entière fait l’objet d’un débat. Quoi qu’il en soit, nous savons, par la pratique et la recherche, que le bombardement de faits par des experts n’a jamais été un moyen efficace d’intéresser les communautés à la science.

Qu’est-ce qu’un communicant en science ?

Pour certains, la clé d’un communicant en science compétent réside dans l’éducation et la formation aux « concepts de base », notamment :

  • la communication centrée sur l’auditoire (qui repose sur la compréhension de l’auditoire)
  • le passage d’une communication basée sur un modèle déficitaire à l’engagement.

Les scientifiques eux-mêmes peuvent ne pas avoir été exposés à ces concepts. Si certaines universités enseignent ces compétences dans le cadre de diplômes scientifiques, la profondeur et l’orientation de ces cours sont variables.

En Australie, il n’existe que deux programmes niveau Master en communication scientifique (contre sept aux Pays-Bas). Ces programmes visent à développer des compétences professionnelles, mais ils s’appuient également sur l’histoire, la philosophie et la sociologie de la science, afin que les communicateurs puissent réfléchir de manière approfondie et critique aux choix qu’ils font.

La communication dite « fondée sur les valeurs » est au cœur de ces programmes.

Au fond, il s’agit d’une question d’audience

La communication fondée sur les valeurs exige des communicateurs qu’ils reconnaissent que les publics ont un éventail de bases de connaissances, d’attitudes, de perceptions, d’expériences et de valeurs. Tous ces éléments influencent la manière dont ils abordent les différentes questions scientifiques.

Un professionnel de la communication scientifique tiendra compte des systèmes de valeurs de son public lorsqu’il réfléchira à l’objectif de sa communication.

Un communicant en matière scientifique pourrait décider de faire remarquer à certains publics qu’un virus ne se soucie pas de qui nous sommes, afin de mettre l’accent sur le risque et la responsabilité personnels. Une approche différente peut être nécessaire pour un public qui croit que la maladie est due à la volonté d’un dieu.

Il incombe à celui qui communique de trouver un équilibre entre le préjudice potentiel que sa communication peut causer et les bénéfoces qu’il peut en retirer en soutenant différents publics. Il n’y a pas de communicant qui puisse s’adapter à tout le monde.

Les bons communicants comprennent les valeurs humaines

De nombreuses personnes travaillant dans le domaine de la communication scientifique n’ont pas de formation ou de qualifications en communication scientifique. Cependant, la grande majorité d’entre elles communiquent avec empathie et transparence sur leurs propres valeurs. Elles reconnaissent les limites de la science et son interaction avec la politique, la culture, l’histoire et l’économie.

Nous réfléchissons profondément aux questions éthiques soulevées par nos activités et, pour ceux d’entre nous qui travaillent avec des sciences particulièrement controversées ou litigieuses, seul le temps nous dira si nous avons été efficaces.

Il ne fait aucun doute que certaines parties de la communauté scientifique communiquent sans tenir compte des valeurs des gens. Toutefois, cela va à l’encontre des connaissances actuelles et des meilleures pratiques.

La plupart des professionnels de la communication scientifique prennent soigneusement en compte ces éléments. Nous le faisons parce que c’est le meilleur moyen d’obtenir de meilleurs résultats sociétaux et de faire une meilleure science qui reflète réellement les besoins des communautés dans lesquelles nous vivons.

Image d’en-tête : capture d’écran du clip de Now and Then incluant John Lennon et George Harrisson aux côtés de Paul Mc Cartney et Ringo Starr au moyen d’incrustation d’images vidéos anciennes

Texte paru initialement en anglais dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, cet article traduit n’est pas libre de droits. Nous autorisons la reproduction avec les crédits appropriés : « Science infuse/Citizen4Science » pour la version française avec un lien vers la présente page.

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