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Quels sont les liens entre changement climatique, santé mentale et bien-être ?

Par Valérie Masson-Delmotte, PhD, climate scientist @IPSL/LSCE, Paris Saclay; co-présidente du groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) WGI

Cet article s’appuie sur l’évaluation de l’état des connaissances du rapport du groupe 2 du GIEC (vulnérabilités, impacts, risques, adaptation). Je l’ai rédigé parce que l’attention médiatique est largement orientée vers l’éco-anxiété, mais ce n’est qu’une des multiples facettes (la partie émergée de l’iceberg ?) des multiples aspects liés à la santé mentale.
Je l’ai rédigé parce que l’attention médiatique est largement orientée vers l’éco-anxiété, mais ce n’est qu’une des multiples facettes (la partie émergée de l’iceberg ?) des multiples aspects liés à la santé mentale.

Dans le monde, le changement climatique, dû à nos rejets de gaz à effet de serre, a déjà des effets néfastes sur la santé physique, la santé mentale et le bien-être, qui sont interconnectés.

La frontière entre la santé mentale et le bien-être en général est perméable. Ici, le terme santé mentale fait référence aux troubles diagnosticables, qui perturbent ou altèrent le fonctionnement normal par des effets sur l’humeur, la pensée ou le comportement.

Dans le monde, le changement climatique (dû à nos rejets de gaz à effet de serre) a déjà des effets néfastes sur la santé physique, la santé mentale et le bien-être, qui sont interconnectés. Dans un climat qui a accumulé de la chaleur du fait de nos rejets de gaz à effet de serre, certains évènements extrêmes (chaleur, précipitations, sécheresses agricoles) deviennent plus fréquents et plus intenses.

Certains problèmes de santé mentale sont associés à l’augmentation des températures, aux traumatismes dus aux évènements extrêmes, ainsi qu’à la perte de moyens de subsistance et des effets sur la culture. L’exposition peut être directe (expérience d’un évènement extrême ou de températures élevées prolongées), indirecte (dénutrition, déplacement), et par procuration (en observant les impacts sur d’autres personnes ou en s’informant sur le changement climatique). Selon la personnalité de chaque individu, les conditions pré-existantes, le soutien social et les inégalités structurelles, des évènements climatiques similaires peuvent entraîner une série de conséquences possibles sur la santé mentale :
anxiété, dépression, stress traumatique aigu, syndrome de stress post-traumatique, suicide, abus de substances psychotropes (alcool, drogues), problèmes de sommeil, les troubles pouvant être légers ou nécessiter une hospitalisation. Ces effets peuvent être directs (conditions climatiques), ou via les perturbations des écosystèmes et des conditions économiques et sociales.

Des températures élevées sont associées à l’observation d’une détérioration de la santé mentale : visites aux urgences pour troubles mentaux, expériences d’anxiété, dépression, stress aigu, suicides, admissions en hôpital psychiatrique…

Les extrêmes chauds entraînent ainsi des impacts négatifs sur la santé mentale, le bien-être, la satisfaction dans la vie, le bonheur, les performances cognitives, l’agressivité des populations exposées. entraînent ainsi des impacts négatifs sur la santé mentale, le bien-être, la satisfaction dans la vie, le bonheur, les performances cognitives, l’agressivité des populations exposées.

Les conséquences négatives des extrêmes sur la santé mentale (syndrome de stress post traumatique, anxiété et dépression) sont documentées, notamment en Amérique du Nord & Sud, Asie, Europe, dans de petits états insulaires en développement (manque d’études en Afrique). 20 0 30% des personnes ayant vécu un ouragan ou une inondation développent une dépression ou un syndrome de stress post traumatique dans les premiers mois qui suivent l’évènement.

Six mois après le passage d’un cyclone tropical en Australie, les conséquences sur la santé mentale étaient plus fréquentes chez les personnes dont l’accès aux systèmes de santé et de protection sociale avaient été interrompu.

En Amérique du Nord, le changement climatique est associé à de fortes réactions émotionnelles ; de dépression et d’anxiété ; de sentiments de perte et chagrin / deuil écologique ; à une augmentation de la consommation de drogues et d’alcool ; de stress familial et de violence domestique ; une augmentation des idées suicidaires et de suicides ; et une perte de connaissances culturelles, d’identités et connections liées au lieu de vie.

En Europe, ces effets (troubles de stress post-traumatique, anxiété et dépression) sont davantage documentés pour les inondations (notamment au Royaume-Uni) que pour les autres types d’évènements. Les résidents déplacés pendant au moins 1 an suite à des inondations ont davantage été affectés par des effets, plus marqués en absence d’alerte précoce.

Les enfants et les adolescents sont particulièrement vulnérables au stress post-traumatique après des événements météorologiques extrêmes, avec et une susceptibilité accrue aux problèmes de santé mentale qui peut persister à l’âge adulte. Les impacts pour la santé mentale des incendies de forêt sont dus au traumatisme de l’expérience immédiate et/ou des évacuations et déplacements ultérieurs. Les conséquences signalées après les incendies (augmentation de l’anxiété, troubles du sommeil, abus de substances psychotropes) sont + prononcées pour ceux qui ont subi les pertes les plus importantes ou sont plus directement exposés ; cela peut inclure les secouristes. Les personnes dont la profession est susceptible d’être affectée par le changement climatique signalent qu’il s’agit d’une source de stress associée à des abus de substances psychoactives et des idées suicidaires. Les impacts économiques des sécheresses ont été associés à une augmentation du nombre de suicides, en particulier chez les agriculteurs. La perte de membres de la famille, par exemple à la suite d’un événement climatique, augmente le risque de maladie mentale.

Le changement climatique contribue à la malnutrition sous toutes ses formes (dénutrition, suralimentation et obésité) dans de nombreuses régions.

La dénutrition peut accroître la susceptibilité aux problèmes de santé mentale et altérer les performances cognitives et professionnelles, avec les conséquences économiques qui en découlent. Les enfants et femmes enceintes subissent ces effets de manière disproportionnée. Les études sur les peuples autochtones décrivent souvent l’insécurité alimentaire ou la baisse de l’accès aux aliments traditionnels comme un lien entre le changement climatique et la réduction de la santé mentale. L’insécurité en eau, et le manque d’accès aux services de base (eau, assainissement, hygiène) augmentent le risque de maladie, le stress, la dégradation de la santé mentale, l’insécurité alimentaire, et ses effets néfastes (nutrition, performances cognitives, naissances).

Solastalgie

Les personnes vivant dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires peuvent être plus gravement touchées en raison d’un accès plus limité aux services de santé mentale et de ressources financières plus faibles pour aider les victimes par rapport aux pays à revenu élevés. Le chagrin associé aux changements environnementaux liés au climat #solastalgie entraîne une détresse qui peut altérer la santé mentale.

Ainsi, la santé mentale des habitants de Tuvalu, de l’Alaska, du Honduras, a souffert de l’expérience d’impacts du changement climatique sur les écosystèmes océaniques et côtiers (ex. vie marine, pêcheries), et de l’anticipation d’autres impacts à venir (montée niveau mer). Le blanchiment et la mortalité des coraux de la Grande Barrière de Corail ont induit un « deuil de récif  » mesurable, un type de solastalgie, chez les visiteurs du récif et les scientifiques qui l’étudient.

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En Arctique, le changement climatique a d’importantes répercussions sur les pertes et les dommages intangibles, les impacts négatifs allant des moyens de subsistance à la spiritualité en passant par la solastalgie.
En Europe, le recul des glaciers peut créer un sentiment d’inconfort, de perte du sentiment d’appartenance à un territoire, de déracinement et d’anxiété. Cela peut aussi provenir d’une perte de pratiques traditionnelles et de patrimoine culturel.

L’anxiété à l’égard des risques potentiels du changement climatique et la conscience du changement climatique lui-même peuvent affecter la santé mentale même en l’absence d’impacts directs.

Écoanxiété

Il est nécessaire de disposer de plus d’éléments probants sur la prévalence ou la gravité de l’anxiété liée au changement climatique, parfois appelée écoanxiété.

Des enquêtes aux États-Unis, en Europe et en Australie montrent que les gens expriment des niveaux élevés d’inquiétude et de détriment perçu liés au changement climatique.

En Europe, des éléments émergent pour indiquer une anxiété des jeunes vis à-vis du changement climatique, sans que l’on ne sache clairement ni l’ampleur et la gravité de ce phénomène.

Certaines études (USA, Philippines) suggèrent que le stress écologique perçu (défini comme un stress personnel associé à des problèmes environnementaux) ou l’anxiété climatique sont associés à des symptômes dépressifs et une moins bonne santé mentale, mais des études contradictoires existent sur les relations entre inquiétudes liées au changement climatique et problèmes de santé mentale. La perspective de pertes (chagrin anticipé) du fait de changements hydrologiques liés au changement climatique, comme les inondations ou relocalisations, affectent les communautés locales, les peuples traditionnels et les peuples autochtones. Ces communautés sont plus susceptibles de subir des impacts négatifs sur leur santé mentale en raison des implications du changement climatique sur leurs traditions culturelles ancrées sur leurs terres, et de processus de dépossession de leurs terres et de leur culture.

Par exemple, les craintes de perte culturelles se manifestent par de l’inquiétude, de l’anxiété et de la tristesse parmi les habitants de Tuvalu, de Fidji et d’autres îles du Pacifique. Comme la perception de la menace du changement climatique est basée sur des perceptions subjectives du risque et de la capacité d’adaptation, ainsi que sur des expériences et des connaissances, même les personnes qui n’ont pas été directement touchées peuvent être stressées par la perception d’un danger imminent. ll n’est pas surprenant que ceux qui ont subi directement certains des effets du changement climatique soient + susceptibles de montrer de telles réactions.
La vulnérabilité aux effets du changement climatique sur la santé mentale varie donc selon les régions et les populations.

Les peuples autochtones, les communautés agricoles, les secouristes, les femmes, les enfants, les seniors, les ménages aux revenus les + faibles, les membres des groupes marginalisés, notamment les réfugiés, subissent des impacts + importants que les autres. Beaucoup de mesures d’adaptation utiles pour la santé et le bien-être proviennent d’autres secteurs (ex alimentation, moyens de subsistance, protection sociale, eau et assainissement, infrastructures).

De plus en plus d’éléments probants démontrent que passer du temps dans un environnemental naturel est bénéfique pour la santé physique et mentale et le bien-être, soulignant les bénéfices des solutions fondées sur la nature.

L’amélioration de la qualité de l’air résultant de la décarbonation, les mobilités actives (à pied, à vélo), les systèmes alimentaires soutenables associés à une alimentation + saine offrent des bénéfices pour la santé mentale. Par exemple, l’agriculture urbaine et péri-urbaine offre des bénéfices sociaux (loisirs, interactions sociales) et sanitaires (santé physique et mentale). L’importance de l’adaptation dans le secteur de la santé est maintenant reconnue comme une composante clé, mais l’action reste lente. Dans le monde entier, les systèmes de santé disposent généralement de peu de ressources et leur capacité à répondre au changement climatique reste faible, l’aide à la santé mentale étant particulièrement inadéquate.

Les options d’adaptation efficaces pour réduire les risques pour la santé mentale incluent une amélioration de la surveillance, de l’accès aux soins de santé mentale, et du suivi des impacts psychosociaux des évènements extrêmes. Précision sur les changements de tempêtes dans un climat qui se réchauffe …

Et à l’avenir?

Le changement climatique continuera à avoir des effets négatifs sur le bien-être, dont certains seront suffisamment graves pour menacer la santé mentale, mais les conséquences seront fortement influencées par l’adaptation mise en œuvre et restent difficiles à quantifier. L’augmentation de la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes dégradera la santé mentale, et augmentent l’anxiété.
Les répercussions sur la santé mentale vont résulter de l’exposition aux évènements extrêmes, aux déplacements subis, aux migrations, à la malnutrition ou la famine, à la dégradation des systèmes de santé et de protection sociale, aux pertes économiques et sociales liées au climat, ainsi que l’anxiété et la détresse associées à l’inquiétude que suscite le changement climatique.

Il y a des éléments contradictoires concernant les éventuels effets positifs pour le bien-être et la santé mentale associés à moins de jours très froids en hiver.

Le changement climatique pourra modifier les pratiques d’activité physique et de mobilité, ce qui entraînerait des modifications des états de santé mentale favorisés par l’activité physique régulière. Le changement climatique affectera la capacité de travail, car la chaleur peut compromettre l’aptitude à effectuer un travail physique, ainsi que le fonctionnement cognitif, ce qui peut avoir des conséquences sur le statut économique des ménages individuels et des sociétés. es migrations et les déplacements causés par le changement climatique dégradent le bien-être des personnes touchées. Le changement climatique peut accroître les agressions par des mécanismes directs et indirects.
L’insécurité alimentaire présente de graves risques pour la santé mentale et les fonctions cognitives. Les facteurs démographiques qui augmentent la vulnérabilité sont l’âge, le sexe et le faible statut socio-économique, bien que l’effet de ces facteurs varie en fonction de la manifestation spécifique du changement climatique. Les problèmes de santé mentale, notamment l’anxiété et le stress, devraient s’amplifier avec la poursuite du réchauffement planétaire, dans toutes les régions évaluées, en particulier pour les enfants, les adolescents, les personnes âgées et les personnes souffrant de problèmes de santé sous-jacents.
Les projections suggèrent que les enfants et les adolescents d’Afrique sub-saharienne, en particulier les filles, sont extrêmement vulnérables aux impacts négatifs directs et indirects sur leur santé mentale et leur bien-être.

Dans l’ensemble, le changement climatique devrait accroître les inégalités en matière de santé mentale dans le monde entier.

Une motivation supplémentaire pour agir pour en limiter l’ampleur, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, notamment issues de l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Pour en savoir + sur l’état des connaissances sur le changement climatique, les risques et les options d’action, les rapports du GIEC sont dispos en anglais ici, et j’avais aussi fait des fils spécifiques à chaque rapport en français.

Prenez soin de vous et de votre santé mentale , demandez de l’aide si cela ne va pas, aidez les autres. Et prenez soin du climat.

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