L’hypothèse de la cascade amyloïde de la maladie d’Alzheimer mise en question en raison d’une suspicion d’anomalies majeures dans les publications de recherche, révèle l’enquête du journal ‘Science’
Des images douteuses dans de nombreux articles scientifiques sèment le doute sur le modèle physiopathologique considéré comme clé dans la démence sénile
La revue ‘Science » vient de publier une enquête qui fait l’effet d’une bombe. Il met en cause des images qui pourraient être frauduleuses, qui illustrent des articles scientifiques et servent de preuves pour démontrer l’implication d’un amas de protéines bêta-amyloïdes comme facteur déclencheur de la maladie d’Alzheimer.
En particulier, cet article célèbre publié par une équipe de chercheur de l’université du Minnesota aux États-Unis et paru dans la revue ‘Nature’ en 2006 est à la base de près de 20 ans de recherche, a été consulté près de 20 000 fois et cité près de 2300 fois, est concerné :
Ces travaux ont consisté en l’injection de protéines bêta-amyloïde à des rats ce qui a permis de constater qu’ils ont par la suite développé des troubles de la mémoire; À la clé, la confirmation de l’hypothèse amyloïde comme facteur causal de la maladie d’Alzheimer, avec la formation de ce que l’on appelle des « plaques séniles » formés d’amas de ces protéines dans le cerveau.
On sait que c’est sur la base de ce mécanisme de plaques amyloïdes dans le cerveau des malades atteints de la maladie d’Alzheimer qu’a été développé Adulhem, nom de marque de la molécule aducanumab du laboratoire Biogen. Sa commercialisation dans le traitement de la maladie d’Alzheimer débutante en juin dernier fait polémique en raison de la faiblesse de ses preuves cliniques à l’appui du dossier de mise sur le marché ce qui n’empêche un prix de vente particulièrement élevé. Sur cette base, le médicament ne bénéficie que d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle à la fourniture de données complémentaires d’utilisation. Cela n’a pas empêché le lancement d’une enquête interne il y a un an par la FDA, sur base de soupçons de collusion entre des responsables de la FDA et le laboratoire.
Le lanceur d’alerte, les images falsifiées et Cassava Science
C’est l’objet des révélations de Science après de nombreux mois d’enquête et avec l’implication d’un lanceur d’alerte, neurologue, Matthew Shrag de la Vanderbilt University. Il a été mis initialement sur « l’affaire » par un avocat concernant des investigations sur la molécule simufilam développée par le laboratoire Cassava Science dans la maladie d’Alzheimer, le laboratoire affirmant avoir prouvé que sa molécule bloquait le processus de dépôt amyloïde considéré comme facteur causal de la maladie.
Le jeune neurologue fait partie des scientifiques qui critiquent publiquement la faiblesse du dossier d’Adulhem de Biogen. Pour 15 000 euros, il a expertisé les images à l’appui des essais cliniques de Cassava Science, découvrant de nombreuses images falsifiées ou dupliquées. C’est en consultant le site PubPeer qui recueille et discute les erreurs dans les publications scientifiques qu’il a pu étudier des publications douteuses sur le thème de la maladie d’Alzheimer, impliquant souvent Cassava Science qui s’est lancée de façon récente (2019) dans ce domaine thérapeutique.
Ce qu’il a amené à se pencher sur la fameuse étude Nature de 2006, et à son auteur principal, le français Sylvain Lesné, professeur de Neuroscience à l’université du Minnesota, qui a fait ses études à l’université de Caen et dont l’ascension a été fulgurante sachant qu’il a été considéré comme le découvreur de l’hypothèse amyloïde considérée comme causale de la maladie d’Alzheimer.
Confirmation d’experts
Si Matthew Shrag s’est abstenu de toute accusation de fraude qui nécessitent l’accès aux documents et données source des études mais a fait part dès le début de l’année de ses doutes au NIH (National Institute of Health) américain dans un rapport, et plus récemment aux journaux ayant publié les études questionnables récemment dont Nature, les journalistes ont interrogé des experts indépendants dont des analystes d’images reconnus tels que George Perry de l’Université du Texas, quant à ces clichés douteux qui confirment les doutes. Les équipes de recherchent elles, notamment celles de l’étude majeure de 2006 affirment n’avoir rien falsifié. Le problème est que ces images justifient les résultats.
La spécialiste des falsifications d’image de recherche a également été interrogée et déclare : « Il semble avoir composé des figures en assemblant des parties de photos provenant de différentes expériences. » « Les résultats expérimentaux obtenus pourraient ne pas être les résultats souhaités, et ces données pourraient avoir été modifiées pour … mieux correspondre à une hypothèse « .
Matthew Shrag et Elisabeth Bik ont identifié à eux deux plus de 20 publications scientifiques suspectes signées Sylvain Lesné dont la moitié sur les protéines bêta-amyloïde. Il semble, rapporte Science, que les doutes concernant la validité des travaux de Sylvain Lesné ne soient pas nouveaux, comme attesté par l’un de ses collègues à Caen co-auteur de publications avec lui.
L’implication d’Elisabeth Bik
Contactée par la Rédaction, Elisabeth Bik nous confirme que si elle n’est pas le lancer d’alerte initial, elle a détecté des problèmes supplémentaires et les a publiés sur PubPeer et sur un blog qu’elle a créée pour l’occasion. « Depuis lors, cela fait presque un an que je suis harcelée par les fans et les actionnaires de Cassava Science. » nous a-t-elle expliqué. Très présente sur Twitter, on peut facilement y retrouver ses posts au sujet des travaux incriminés sur lesquels elle a fait largement part de ses doutes et le cyberharcèlement que cela occasionne.
Une affaire à suivre de près.
Vous pouvez consulter l’article de Science rapportant son enquête ici.
Image d’en-tête : Micrographie avec immunocoloration montrant une zone de protéines bêta-amyloïdes (en brun) formant des plaques séniles dans le cortex cérébral (en haut à gauche de l’image) et des vaisseaux sanguins (à droite). Source : Wikipédia
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