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Affaire CNEWS et pluralisme de l’information : le Conseil d’État élargit les requis à tous les intervenants des chaînes audiovisuelles sous le contrôle de l’Arcom

L’exigence de temps de parole équilibré vise désormais tous les intervenants aux émissions télévisées. La liberté d’expression et la liberté d’entreprendre en danger, la surveillance généralisée à l’arrivée ?

Le 13 février; le Conseil d’État, saisi par l’association Reporters sans frontières, a publié une décision étonnante, et peut-être alarmante pour la liberté d’expression, la liberté d’entreprendre et au final, la démocratie.

Contexte législatif

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information. Elle désigne l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) comme garante du respect par les chaînes de ces obligations.
Jusqu’ici, le principe de respect de la pluralité d’opinion sur les chaînes audiovisuelles exigeait que le temps d’intervention des personnalités politiques sur les plateau de télévision soit décompté de façon à assurer un équilibre de temps de parole entre les différents mouvements politiques.

La saisine de l’Arcom pour CNEWS

Reporters sans frontières avait saisi l’Arcom, se plaignant que CNEWS ne donnait pas une diversité suffisante de points de vue à l’antenne, en particulier lors des débats et sujets objets de controverses. Elle se plaignait aussi que du fait des interventions de son actionnaire principal Bolloré, CNEWS ne respectait pas son obligation d’indépendance de l’information. L’association a donc demandé à l’Arcom de mettre en demeure la chaîne CNEWS de respecter la diversité des points de vue. Mais l’Arcom a opposé un refus en 2022, précisant que le temps de parole accordé aux personnalités politiques était équilibré ce qui est le seul critère applicable, conformément à sa doctrine. Mécontente, l’association a saisi le Conseil d’État.

Décision fracassante du Conseil d’État

Le Conseil d’État vient de décider que désormais, le principe de temps de parole équilibré devait s’appliquer de façon généralisée pour « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités« . C’est évidemment l’Arcom qui écope de faire respecter ce principe étendu.

Le Conseil d’État impose aussi, suite aux remarques de Reporters sans frontières sur l’indépendance de CNEWS mise en question, que « l’indépendance
ne s’apprécie pas seulement au regard d’extraits d’une émission spécifique mais aussi à l’échelle de l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation.
 »

L’Arcom a 6 mois pour réexaminer le cas de CNEWS en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information. On lui souhaite bon courage face à cette aussi complexe que périlleuse… Car quel dispositif l’Arcom va-t-elle donc mettre en placer pour juger et contrôler les principes d’indépendance et de pluralité étendus ? Comment et de que (télescopage de) droit va-t-elle décider à la place de chaînes détenues par des sociétés privées, de leurs orientations ?
On n’ose à peine imaginer, cela nous donne des sueurs froides. Mais il faut essayer.

Vers un « fichage » des orientations, de goûts et de couleurs appliqués à tous les individus sur un plateau TV ?

C’est quand même la première chose qui vient à l’esprit. Pour calculer des temps de parole d’un politique, on a sa couleur politique, son parti. Tous les journalistes chroniqueurs compris s’exprimant à l’antenne d’une chaîne vont donc devoir être étiquetés, de même que tous les invités des plateaux, qu’il s’agisse d’artistes, de scientifiques, d’économistes, ou de quidams. Comment faire autrement puisque leur temps de parole, quel que soit le sujet, devra être décompté en vue d’équilibre des opinions. L’Arcom va-t-elle mettre des étiquettes pour les orientations politiques de chacun, mais aussi culturelles ou philosophiques ? Faudra-t-il enquêter sur les intervenants pour connaître leur orientation en la matière quel que soit le sujet ?

Et va-t-on, de façon concomitante, demander aux chaînes et à l’Arcom de classer la nature chaque intervention de chaque intervenant sur le sujet abordé ? « pour, « contre », « ne sait pas » ? Les chaînes et l’Arcom, transformés en juge des opinions et d’expressions de toute nature ? Imaginons un débat télévisé que la chaîne va devoir décrypter pour classer les temps de paroles de chaque intervenant. Des cellules d’évaluation, sortes de ministères de la Vérité, vont-elles être créées pour décortiquer chaque propos et vue de son classement et décompte à base de minuteur ? Il semble que tout ce qui sera exprimé devra rentrer dans des cases.

L’absence de distinction entre chaînes publiques et privées

On comprend bien que les chaînes audiovisuelles qui font partie du service public, soient soumises à des règles strictes et aient des comptes à rendre détaillés : elles sont financées par nos impôts. Peut-on faire peser les mêmes obligations à des chaînes privées ? Est-il acceptable de leur imposer, outre le pluralisme de l’expression politique en vigueur jusqu’ici et bien sûr une neutralité plus ou moins stricte par équilibre parfait des expressions, comme l’exige désormais le Conseil d’État ? Un opérateur privé n’a donc plus le droit d’avoir d’orientation de pensée ou d’idées, il faut être incolore. Il faudra donc que les lignes éditoriales le soient.
C’est au final, une atteinte à la liberté éditoriale mais aussi à la liberté d’entreprendre. Pourquoi ne pas demander dans ce cas à tout restaurant gastronomique de fournir en quantité équivalente des plats diététiques ? Et inversement ? au nom de la science et de la santé publique ! On peut décliner cela à tout et n’importe quoi, tant qu’à faire

On le comprend vite, le formatage, l’uniformisation et la censure guettent La police de la pensée, en réalité. Ce dispositif dont on perçoit les contours, est-ce digne d’une démocratie ?

Une tendance inquiétante à l’autoritarisme, des activistes de réseaux sociaux en renfort

L’autoritarisme, c’est l’excès, le contraire de la raison et de l’équilibre. On ne peut, et on ne doit tout contrôler. En ce sens, la doctrine de l’Arcom, focalisée sur l’expression des politiques, semblait aussi raisonnable que réalisable.

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la loi de lutte contre les dérives sectaires, dont l’article 4 très justement censuré par le Conseil d’État – ironie du sort, notamment au nom du risque d’atteinte à la liberté d’expression – et par le Sénat, réintroduit par un second vote à l’Assemblée nationale voulu par le gouvernement qui n’avait pas apprécié qu’il soit rejeté en première lecture.
On s’inquiète aussi depuis 3 ans de la dérive idéologique d’activistes de réseaux sociaux, qui au nom soi-disant de la science, ont défendu cet article dangereux, de même qu’ils ont défendu, au nom de la science érigée en ministère de la Vérité, hygiénisme et scientisme, c’est-à-dire de la politique. Dernièrement, au nom de la lutte contre la désinformation médicale, ces activistes évoquent des ministères de la vérité scientifiques, sortes de juges locaux de la vérité scientifique dans un maillage territorial .

On nage en eaux troubles, toutes ces décisions de hautes instances et mouvements d’activistes allant dans le sens d’un totalitarisme de la pensée telle que la décrivait Orwell dans sont célèbre roman 1984. Au nom de quoi ? paradoxalement, au nom de la liberté d’expression et/ou de la protection des individus. Dystopique.

Image d’en-tête : Dessin de presse WAN, Science infuse

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