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« Affaire Doliprane » : un faux débat entre inculture pharmaceutique et récupération populiste

Le rachat par un fond d’investissement américain d’Opella, la branche de Sanofi qui fabrique le célèbre Doliprane fait jaser la classe politique ; les commentaires démontrent au mieux méconnaissance de l’industrie pharmaceutique quand ce n’est pas une exploitation basée sur le populisme

Un peu d’histoire

Opella, c’est la branche santé grand public de Sanofi, laboratoire pharmaceutique créé il y a plus d’un demi-siècle (1973) par ELF Aquitaine, le pétrolier plus tard intégré dans TOTAL, qui voulait se diversifier dans la santé. Un pari réussi puisque Sanofi est la troisième entreprise pharmaceutique mondiale. Pour décrocher cette position de leader, des fusions et acquisitions françaises et internationales stratégiques ont jalonné le parcours de l’entreprise: achat quelques laboratoires français dans les années 80 mais aussi en Hongrie, puis dans les années 90, l’américain Sterling Winthrop, qui scelle l’implantation outre-atlantique et l’internationalisation d’envergure. Le début des années 2000 est marqué par la fusion de Sanofi avec Synthélabo, qui lui-même avaient acquis peu de temps auparavant les laboratoires Delagrange puis dans la foulée les laboratoires Delalande. Sanofi-Synthélabo devient le premier groupe pharmaceutique français tandis que la société est introduite à la bourse de New-York. En 2004, c’est l’acquisition de la branche pharmaceutique de l’agrochimiste français Aventis qui propulse Sanofi sur le podium des leaders mondiaux de la pharmacie, à la troisième place.
Depuis lors, les acquisitions n’ont pas failli. On peut citer notamment celles du tchèque Zentiva (fabricant de génériques), de l’américain Genzyme (maladies génétiques rares). D’autres acquisitions auront lieu pour le développement de vaccins ou de médicaments à base d’ARN et l’immunothérapie y compris l’immuno-oncologie.

Sanofi leader en médicaments en vente libre… pour mieux les céder

Ce que l’on appelle « grand public » dans le jargon, c’est cela : les médicaments vendus sans ordonnance. Sanofi, il y a 10 ans, avait récupéré ceux de l’allemand Bohringer Ingelheim en échange de sa division santé animale. L’activité grand public ne cesse de croître, sans freins à la progression, et même pas les médicaments génériques qui constituent une plaie pour les médicaments de prescription. Pour autant, Sanofi se concentre sur la recherche de médicaments innovants, et en 2019, elle crée Opella pour l’activité grand public, en vue de la céder et investir dans la coûteuse R&D pharmaceutique pour ses nouvelles aires thérapeutiques de pointe. Citons quelques marques stars de médicaments d’Opella qui en compte plus d’une centaine, outre le fameux Doliprane : Bisolvon, Buscopan, Dulcolax, Magné B6, Pharmaton,…

Cessions successives à des fonds d’investissement

Ainsi, parmi les cessions marquantes de Sanofi, il y a eu en 2018 les génériques Zentiva, déjà à un fond d’investissement américain. En 2021, c’est une gamme d’une quinzaine de médicaments sans ordonnance qui sont vendus au fond d’investissement Stada, racheté début 2024 (opérations de prise de participation depuis 2020) par le fond américain CD&R (Clayton, Dubilier & Rice) d’investissement Advent International. Et surprise : c’est CD&R qui achète Opella, spécialement créée aux fins de l’opération. On voit donc que l’opération est rondement menée en deux étapes et sans surprise pour qui s’intéresse au sujet et connaît le contexte et l’histoire.

Le faux débat de la souveraineté industrielle

On peut à juste titre s’inquiéter de l’avenir des emplois chez Opella, soit 1 700 personnes, et en particulier pour les salariés des deux usines de fabrication à Lisieux et Compiègne. On se rappelle en 2019 que Sanofi avait déjà défrayé la chronique en faisant des coupes de personnel de près de 250 personnes ; il s’agissait pourtant en grande partie de visiteurs médicaux, ces VRP controversés qui vont rendre visite aux prescripteurs pour présenter et parfois vanter les médicaments de leur employeur. Dans le cas d’Opella, le gouvernement français a pris des garanties, au moins pour un temps, dans un accord tripartite avec Sanofi et CD&R pour fournir des garanties inédites de préservation des emplois et de production pour le marché local (250 millions de boîtes réservées à la France). La banque publique Bpifrance est quant à elle entrée au capital d’Opella à hauteur de 2 %, bien que cela ressemble plus à une participation symbolique qu’autre chose.

Mais surtout, la souveraineté industrielle en matière de médicaments ne passe pas par le soldat Doliprane (450 millions de boîtes fabriquées par an). Pourquoi ? parce que Doliprane n’est qu’une marque de médicament pour un principe actif : le paracétamol. Or cette substance est dans le domaine public depuis fort longtemps : on peut l’acheter comme générique en demandant du « paracétamol » à la pharmacie, en exigeant un produit générique (divers fabricants) si l’on ne veut pas se voir fourgué un produit conseil comme le Doliprane ou autre et payer ainsi la marque.

Principe actif versus conditionnement

Le nerf de la guerre pour la souveraineté industrielle, ce n’est pas la marque, c’est le principe actif. La bonne question est donc : où est fabriqué le paracétamol ? Et bien en Chine principalement, et en Inde. La délocalisation est ancienne, et c’est bien la délocalisation des principes actifs, le problème. Aussi, le fait que Doliprane français ou américain ne change pas grand-chose à la question de la délocalisation. Que l’usine soit en France ou en Belgique non plus.
L’inculture sur les médicaments est telle qu’on a vu des personnes tenter d’en rassurer d’autres en mode « savant », assurant qu’on avait d’autres marques bien françaises de paracétamol, citant les marques Dafalgan et Efferalgan des laboratoires UPSA. Or, si UPSA est un laboratoire familial bien français à l’origine, il est américain depuis un quart de siècle, acquis par le géant américain Bristol Myers Squbb (BMS). Depuis peu il est passé sous pavillon japonais, racheté par Taisho Pharmaceutical.
À propos d’Efferalgan, qui est un comprimé effervescent de paracétamol, il convient de rappeler qu’il existe parfois des exceptions à la souveraineté basé sur le principe actif, à savoir quand le conditionnement est hautement technique. C’est le cas par exemple des vaccins à ARNm développés à l’occasion de la pandémie de Covid-19, la préparation nécessite un vrai savoir-faire et en fait une étape stratégique.
Pour le paracétamol, on lit dans les médias et les réseaux sociaux que le paracétamol, n’importe qui peut le conditionner. Certes, quand il s’agit de « vulgaires » comprimés ou gélules. Pour les comprimés effervescentes, il faut rappeler qu’UPSA a développé un véritable bijou technologique dans l’usine d’Agen : la tour à effervescence, permettant la fabrication des comprimés à dissoudre 24h/24 avec une automatisation hors-norme à l’époque.

L’histoire populiste du Doliprane « cocorico » volé par les Américains

En attendant, ce faux débat dans la sphère publique a des retombées désagréables pour Sanofi : l’opération préparée et rondement menée de cession stratégique de sa branche grand public a enrayé la progression du cours de l’action pourtant en progression depuis le début de l’année, avec même une chute notable. La firme va devoir travailler pour expliquer les tenants et aboutissants de son opération pour contrer les interprétations et exploitations populistes douteuses par les politiques. En réalité, elle ne fait rien que de respectueux, à l’instar de la concurrence : se donner les moyens de réinvestir dans la R&D innovante pour offrir les médicaments de demain. Cela n’a pas empêché par exemple Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste le 23 octobre à Lisieux (Normandie) devant l’usine Sanofi pour soutenir les grévistes, évoquant une « trahison ». Hier, les députés de la commission des affaires économique ont décidé d’auditionner Sanofi, en la personne de la présidente de Sanofi France et vice-présidente exécutive du groupe Sanofi, Audrey Duval. Il n’est pas toujours facile de voir la frontière entre la préservation du tissu économique national et l’ingérence dans les sociétés privées, ni la pertinence quand on ne maîtrise pas les enjeux de l’écosystème concerné. À ce titre, l’industrie pharmaceutique a toujours été mal lotie en France.

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