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André Steiner, Le corps entre désir et dépassement, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

 Aucune photographie n’égalera quelques mesures de Jean-Sébastien Bach » avait coutume de professer André Steiner qui se considérait lui-même comme un humble artisan et non comme un artiste. Né dans une Hongrie rendue décharnée et exsangue par la première guerre mondiale mais qui, selon un réflexe ancestral, en rendait responsable les juifs, André Steiner choisit la voie de l’exil, en Autriche d’abord, puis en France.

Steiner avait une formation d’ingénieur mais le hasard l’avait mené à pratiquer un art alors à ses balbutiements, la photographie, et à bénéficier d’une innovation technique irréfutable, celle du Leica. Ce nouvel appareil offrait une liberté sans précédent pour la prise de vues et l’ingénieur, justement, se passionne pour la technologie. Steiner est avide de progrès humain : il est, et restera, profondément communiste, dans ses aspirations et ses déclarations. Il avait été membre de la brève révolution hongroise de Bela Kun, et, jusqu’à sa mort, il continuera à attendre « le grand soir ». Si l’on ajoute à ce cocktail composite, le fait que Steiner avait été, dès son plus jeune âge un sportif de haut niveau (champion du décathlon aux jeux universitaires mondiaux en 1928) on ne s’étonnera pas de ce qui va très vite devenir son sujet de prédilection : le corps humain.

L’entre deux guerres est une période où l’on magnifie le corps, l’athlète, le sportif. Qu’il s’agisse des idéologies nationalistes assoiffées de vengeance, ou des communistes qui appellent à la Révolution prolétarienne, on s’efforce d’améliorer les performances et de vouloir construire l’Homme de demain, invulnérable, rapide, puissant et efficace. C’est le début de la « mode du sport ». André Steiner participe à ce mouvement. En parallèle d’abord avec son métier d’ingénieur, puis à plein temps, il va vendre ses clichés aux différentes revues.

André Steiner bénéficie, bien entendu, du double réseau juif et hongrois à Paris, et, dans sa partie, la photographie du corps, il est efficace : non seulement, il montre des aptitudes certaines pour la prise de vue, mais il raisonne en ingénieur, explorant toutes les innovations techniques de l’époque et développant lui-même ses clichés, ce qui lui donne une vraie liberté. Les commandes affluent, celles des magazines spécialisés, « Vu » et « Voilà », mais également celles des revues sportives, des publications médicales et, enfin, la presse érotique.

Le grand sujet de Steiner, c’est le corps humain, le corps sous toutes ses formes, mais toujours sublime, sportif, musclé. D’abord, et systématiquement, le corps est pris dans le mouvement, comme si jamais l’immobilité ne pouvait exister. Chez Steiner, ça saute, ça plane, ça vole (Séance de gymnastique sur la plage, 1934 ; Acrobate sur une roue 1937 ; Nu courant 1933 ; Jeune fille sautant 1935). Les corps paraissent libérés de la pesanteur (Danseuse (Lisa Fonssagrives) 1935, Lily Steiner, 1933). On dirait que le hongrois cherche à résoudre un paradoxe : comment figer dans l’éternité le mouvement qui n’est, par définition, qu’instantané ; comment fabriquer du permanent avec ce qui n’est que fugacité ; comment poser sur papier glacé l’idée même du vent ou de la lueur ?

Le corps est photographié à l’extérieur ou en studio. A l’extérieur, il va être confronté à la nature : eau, rocher, arbre, nuage, etc. A l’intérieur, il sera façonné par la lumière, sculpté par la contradiction noueuse entre le sombre et le clair, entre le noir et le blanc. Et presque toujours, il n’y a pas de « contexte » : on ne sait pas où a été pris le cliché, même si le cartel l’indique (Piscine des tourelles 1936). Le contexte, ce sera, au mieux, la présence d’une ligne unique qui vient doubler ou contredire la ligne du corps allongé (Plongeur 1938). Le contexte importe peu à Steiner, le modèle non plus, et le fait qu’il soit nu, ce modèle, n’est qu’un détail : le modèle n’est qu’un élément naturel au même titre que l’obscurité ou la poussière.

Même s’il chérit son modèle favori (son épouse Lily), il ne se préoccupe jamais de joliesse ni de mise en valeur mais exclusivement du travail des muscles et des chairs confrontés à la rudesse de la pierre et à la palpitation magique de l’eau vive. Les nus sont comme chorégraphiés, métamorphosés par l’irruption de l’éclat lumineux, atrophiés par l’ombre, malmenés par la hache de la lumière. Steiner veut faire plier le corps à ses caprices et il s’autorise, pour ce faire, à toutes les manipulations possibles. Steiner ne raisonne jamais en artiste mais en faiseur d’effets, et, en lui, l’esthète toujours le cède au chimiste.

Une fort belle exposition, on l’aura compris, qui permet au Musée d’Histoire et d’Art du Judaïsme de s’inscrire, avec élégance et sans vulgaire opportunisme, dans la vague actuelle de l’Olympisme culturel.

De gauche à droite :
André Steiner, Lily Steiner, 1935, Chalon-sur-Saône, musée Nicéphore Niépce
André Steiner, Danseur (Serge Lifar), vers 1934 – Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais
André Steiner, Lily Steiner, 1933, Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais
© Nicole Steiner-Bajolet © Martine Husson

Exposition du 16 mai au 22 septembre 2024 au mahJ, musée d’art et d’histoire du judaïsme, Hôtel Saint-Aignan, 71 rue du Temple, 75003 Paris

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