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Cardioversion à la carte : le choix du non conventionnel

Des rapports de cas cliniques, pour ceux qui s’intéressent à la médecine par des experts de terrain ! complété de notes de la Rédaction [NDLR] pour expliciter certains termes médicaux

par James Meng*, Rathna B Veerni, Department of Medicine, NHS Tayside, Dundee, UK, Sear U Bhalraam*, Vassilios S Vassiliou*

*Norwich Medical School, University of East Anglia, Norwich, Royaume-Uni
**Department of Medicine, NHS Tayside, Dundee, Royaume-Uni

« Au milieu de la difficulté se trouve une opportunité »
Albert EINSTEIN

La cardioversion implique l’utilisation de méthodes mécaniques, pharmacologiques ou électriques pour convertir les arythmies cardiaques [troubles du rythme cardiaque, NDLR] en un rythme sinusal [rythme issu de l’automatisme du nœud sinusal, situé dans l’oreillette droite et qui est à l’origine des impulsions à la source des battements cardiaques, NDLR] normal. Elle est utilisée aussi bien de façon élective ou en cas d’urgence, sur la base de lignes directrices et de protocoles bien établis qui dictent son utilisation [1].

Il existe cependant des cas qui sortent du cadre des lignes directrices et qui nécessitent une réflexion hors des sentiers battus. Avidan et coll. [2] décrivent un tel cas, dans lequel un thermomètre rectal a été utilisé par inadvertance pour effectuer une cardioversion chez un patient de 54 ans atteint de tachycardie par réentrée nodale auriculo-ventriculaire (TRNAV) stable. Cette méthode non conventionnelle et accidentelle s’est avérée reproductible chez le même patient, et d’autant plus utile que les approches conventionnelles étaient contre-indiquées. Malgré la particularité de cette approche, les auteurs en ont exploré le mécanisme et ont conclu qu’elle était due à la stimulation des fibres nerveuses parasympathiques dans le rectum, ce qui explique physiologiquement son caractère non aléatoire et reproductible.

Il convient de féliciter les auteurs d’avoir porté ce cas unique à la connaissance de la littérature médicale, ce qui a inspiré un examen approfondi des recherches existantes. En ce qui concerne les techniques de cardioversion non conventionnelles, les auteurs ne sont certainement pas isolés ! Souvent, ces cas (exemples donnés dans le tableau1) sont identifiés par pure coïncidence, mais que serait la médecine sans coïncidences ?

Tableau 1

Exemples de cardioversion par mécanismes non habituels, classés par année de signalement

AnnéeRythmeMécanisme de cardioversionRéf
2023TRNAVThermomètre rectal (mécanique)[2]
2018Fibrillation auriculaireHyperkaliémie sévère (métabolique/pharmacologique)[4]
2010Fibrillation auriculaireExamen rectal digital[3]
2008Fibrillation auriculaireLit d’hôpital heurtant le cadre de porte (mécanique)[5]
2006Tachycardie ventriculaireFranchissement d’un dos d’âne en ambulance (mécanique)[6]
2006Fibrillation auriculairePerçage du câble électrique lors d’un bricolage (électrique)[7]
1988Tachycardie jonctionnelle permanente par rythme réciproque (TJPRR)Saut d’une hauteur significative /immersion dans l’eau froide/recul d’un fusil de chasse/clôture électrique pour bétail (mécanique et électrique)[8]

Figure 1

Comme Avidan et coll., Ruan CH a rapporté la cardioversion d’une fibrillation auriculaire (FA, ) en rythme sinusal (RS) chez un patient âgés de 29 ans à la suite d’un toucher rectal, et le patient est resté asymptomatique après un suivi de 3 mois [3].

Yan et coll. décrivent le cas d’un patient âgé de 84 ans atteint de FA, chez lequel une hyperkaliémie de 8,1mmol/l a temporairement rétabli le rythme sinusal, avant de revenir à la FA quelques jours plus tard, une fois que son potassium s’est normalisé [4]. Malheureusement, l’absence d’anticoagulation lors du passage de la FA au RS, associée à la possibilité de nombreux épisodes paroxystiques, a conduit au développement d’une thrombo-embolie artérielle au niveau du membre inférieur.

Des mécanismes mécaniques ont été décrits par Perruchoud [5] et Ehtisham [6]. Dans le premier cas, une collision entre le lit d’hôpital d’un patient et le cadre de la porte, alors qu’il se rendait à une cardioversion élective pour une FA, a facilité la procédure prévue sans qu’aucun choc ne soit nécessaire. Malheureusement, aucune analyse coût-efficacité n’avait été réalisée ! Et malgré les pressions hospitalières dans le monde entier, on ne se sentirait pas à l’aise en recommandant une « étude de collision contre un mur » avant de propose un traitement définitif ! Dans ce dernier cas, un moniteur cardiaque installé à l’arrière d’une ambulance surveillait un patient atteint de tachycardie ventriculaire stable, et le patient passa en RS après avoir franchi un dos d’âne à 8 km/h. Ce cas est assurément inhabituel, mais il ne doit être pris en compte que s’il est possible de le faire. Il s’agit dont bien d’un cas inhabituel, et si le moniteur était tombé sur la poitrine du patient, entraînant une cardioversion, que ce cas aurait pu être encore plus inhabituel ! Existe-t-il des mécanismes expliquant ces cas ? Oui, car dans ces deux cas, il a été émis l’hypothèse que l’énergie cinétique des collisions, fournissant l’énergie équivalente à un coup de poing précordial, a conduit à une cardioversion réussie.

En outre, McGavin et coll. ont rapporté en 2006 le cas d’un patient atteint de FA qui avait refusé la cardioversion par courant continu parce qu’il ne voulait pas de sédation [7]. Lors d’un projet de bricolage à domicile, le patient a été en contact par inadvertance un câble secteur alors qu’il tenait une perceuse, ce qui a provoqué un choc électrique de 240 joules. Il a été rapidement placé sous cardioversion en RS, état qu’il a maintenu lors du suivi effectué dix semaines plus tard.

La palme de la cardioversion inhabituelle (Fig. 1) revient peut-être à un fermier nord-irlandais de Craigavon, comme l’ont rapporté Knight et coll. [8]. Dans les années 1980, ce fermier a inventé son propre protocole de méthodes progressives pour traiter sa tachycardie supraventriculaire. Pendant de nombreuses années, il a pratiqué la cardioversion en sautant du haut d’un tonneau et en faisant frapper brutalement ses pieds sur le sol. En cas d’échec, il grimpait à l’aide d’une échelle jusqu’à un niveau plus élevé, puis sautait à nouveau… et en cas d’échec, il tirait avec un fusil de chasse de calibre 12 pour obtenir la cardioversion. Au fil des ans, ces méthodes ont rencontré moins de succès ; c’est ainsi qu’il s’est rendu compte que le fait de sauter dans un bain d’eau très froide lui permettait également d’obtenir une cardioversion. Cet agriculteur ne reculait vraiment devant rien pour obtenir une cardioversion. Si aucune des méthodes décrites ici ne fonctionnait, il passait alors à la… clôture à bétail électrique de 6 V, qu’il saisissait avec des bottes à clous. Aussi inhabituelles que soient ces méthodes, elles ont fonctionné, du moins pendant un certain temps…

Notre exploration de certains cas non conventionnels de cardioversion montre que malgré leur nature d’événements exceptionnels, leurs mécanismes peuvent être expliqués grâce à nos connaissances actuelles en physiologie. Bien qu’il soit déconseillé de tenter de reproduire les techniques, Avidan et coll. ont mis en évidence un cas unique dans lequel une observation étrange peut conduire à un traitement sûr et reproductible. Comme l’a dit Isaac Asimov, écrivain américain et professeur de biochimie, la phrase la plus enthousiasmante qu’il soit possible d’entendre en science n’est pas « Eurêka« , mais « C’est drôle ! ». Le cas rapporté par Avidan et coll. souligne pourquoi il devrait nous incomber à tous, en tant que cliniciens et scientifiques, de garder un œil curieux sur ce qui est inhabituel, particulier et étrange chez les patients que nous examinons.

Image d’en-tête : Karolina Grabowska

Article paru initialement ©The Author(s) 2024. et publié par Oxford University Press., traduit et annoté par la Rédaction.

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