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Chronique estivale irlandaise (5/9) : Hilary Heron à l’Irish Museum of Modern Art

Rien ne prédestinait Hilary Heron à la carrière artistique. Née à Dublin le 27 mars 1923, unique fille et quatrième enfant d’une famille modeste, Hilary Heron parcourt un peu toute l’Irlande au gré des changements d’affectation de son père, employé de banque. Elle mène pourtant de brillantes études et remporte, dans sa spécialité, l’architecture, trois années de suite le prestigieux Taylor Art Scholarship Prize. Ainsi adoubée, elle part découvrir le monde dès l’âge de 25 ans. Ce sera Londres d’abord, puis Paris, où elle fait la rencontre de Samuel Beckett qui sera son mentor et son guide dans l’univers existentialiste parisien. Très vite, on sent, chez elle, les affinités avec ses contemporains prestigieux : Germaine Richier, Henri Moore, Giacometti, Brancusi… Mais elle s’en distingue par son élégance singulière et son sens inné de la courbe pure. Chez la jeune irlandaise surgit quelque chose de mystérieusement africain. Picasso et Calder ne s’y  trompent pas qui confessent leur admiration pour Hilary. La consécration date de 1956, date à laquelle elle est choisie, avec son compatriote Louis de Brocquy, pour représenter l’Irlande à la Biennale de Venise. Puis c’est la grande exposition de 1963 à New-York. Cependant, Hilary Heron va décéder prématurément, à l’âge de 54 ans, et, très vite, son œuvre tombe dans l’oubli. Si bien que cette exposition de l’IMMA est bien venue.

Hilary Heron, c’est, tout à la fois, le raffinement et la puissance. Ainsi, sa Fuite en Egypte de 1950 (noyer) dans
laquelle Marie et Joseph sont deux cônes dressés démesurément comme si les corps étaient déformés par le désir même de la fuite. Ou bien Shackless (les entraves) de 1947 qui représente les deux bustes d’un couple, l’un à l’autre enchainés par le cou, mais, tandis que la femme a le visage penché vers le sol, l’homme, au contraire, lève la tête et ouvre grand la bouche, dans une sorte de muette supplique, comme une troublante métaphore de l’enfermement terrible de la relation amoureuse et des liens du mariage, liens pris ici au sens strict du terme. On trouve fréquemment, chez Hilary Heron, ces images de désespoir humain tempéré par le cynisme du titre : A pint of plain is your only man (Une pinte de nature est votre seul homme) dit ainsi une œuvre de 1947.

Hilary Heron possédait, un peu à la façon de Modigliani en peinture, un sens de l’espace qui fait écho à la statuaire africaine. Le plus bel exemple, sans doute, est son Stiff necked woman (femme au cou raide) de 1958, réalisé en calcaire : le visage est une sphère traversée par un œil unique et elle est posée sur l’arc tendu de la chevelure et du cou qui se termine par les seins en guise de pieds de l’ensemble, comme si la géométrie parfaite exprimait la tension de cette féminité exacerbée. Stiff necked woman tient à la fois du totem et de la déesse : c’est la beauté pure et sans âge. A la fin de sa vie, Hilary Heron mêlait matières et matériaux, ainsi les galets ramassés sur la plage devant sa maison et qui se retrouvaient sur la plaque de bronze qu’elle était en train de travailler (Drift stones, 1963) Ou bien cette pierre tenue à bout de bras de bronze (A stone in the hand, 1963). L’artiste mélangeait ainsi son art, sa propre production, avec le travail des éléments ; elle créait la rencontre, le point de jonction entre l’art et la nature, le travail de l’homme et l’œuvre de son environnement. L’une des statues de cette époque est une forme humaine, visage et torse de pierres recueillies, membres et cou de bronze. Hilary Heron l’a intitulée Vicolith, contraction entre Vico, le nom du lieu où elle vivait, son bord de mer à elle, et Lith, lithos, la pierre en grec ancien. Hilary Heron vivait en harmonie avec elle-même et le monde.

Image d’en-tête : Vicolith II, 1963, Hilary Heron- Source : IMMA

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