Chronique estivale irlandaise (8/9) : Le livre de Kells et la vieille bibliothèque au Trinity College
En guise d’apéritif, une première salle, au dispositif quelque peu brouillon, nous initie aux origines de la langue et aux techniques de diffusion. Jusqu’à l’évangélisation de l’Irlande et l’apparition du latin, c’est la langue Ogham qui prédominait, succession de traits plus ou moins longs et disposés verticalement sur une pierre ou une pièce de bois pour indiquer le nom d’un clan ou d’un dignitaire. Les manuscrits, eux, sont réalisé sur une peau de veau, le velum, matériaux qui a l’avantage de pouvoir être découpé, travaillé, recousu et effaçable avec une simple lame de couteau. L’encre et les couleurs sont obtenues avec des pigments naturels, fleurs séchées, roches, matières mêlées à de l’huile ou du vin et les coloris sont si puissants qu’ils paraissent à peine altérés par les siècles.
Puis vient le trésor lui-même : le livre de Kells. L’ouvrage manuscrit et enluminé rassemble les quatre évangiles, il a été réalisé d’abord dans une île au large de l’Écosse puis dans le monastère de Kells et il date du VIIIe siècle, ce qui en fait le livre le plus ancien au monde. C’était un ouvrage destiné aux cérémonies, à l’occasion desquelles on le consultait, et, la tradition en est maintenue puisqu’une page du livre est tournée toutes les huit semaines proposant ainsi au visiteur une nouvelle consultation des 340 que compte le livre au total. On ressent une émotion véritable en découvrant le livre dans sa vitrine de verre, isolé au centre d’une pièce sombre tel un des joyaux de la couronne.
On raconte que, parfois, les jeunes moinillons chargés d’enluminer se distrayaient en griffonnant, en marge du texte, quelques remarques sur leur ennui, le temps qui ne passait guère ou le froid qui régnait. Certains d’entre eux n’avaient pas même dix-huit ans, et, de toute façon, le sacré s’accompagne du profane, voire du trivial. Il n’en est peut-être que plus émouvant encore.
Enfin, la vieille bibliothèque, appelée The long room : un immense et imposant couloir de bois sombre sur lequel donnent les niches destinées aux livres et bordées de bustes en marbre blanc d’écrivains, de philosophes ou de scientifiques célèbres, anglo-saxons ou grecs. L’ensemble date du XVIIIe siècle et fut très récemment réactualisé lorsqu’on s’avisa de faire tout de même entrer quelques bustes de femmes célèbres au milieu de tous ces hommes : quatre seulement, on est bien loin de la parité, on ne parvient qu’à un bien modeste quota.
Il est remarquable que ce lieu culturel, qui aurait pu rester austère, soit équipé d’un dispositif pédagogique et ludique de très bon goût : une scénographie imposante et un parcours habilement jalonné de vitrines, reproductions, agrandissements et vidéos d’animation, nous sensibilise à l’importance majeure des ces traces d’humanité bien antérieures à l’univers des ordinateurs et de l’intelligence artificielle. « Je pense souvent, écrivait Jorge Luis Borges, que le paradis doit être une sorte de bibliothèque ».
Image d’en-tête : Représentation enluminée des deux premières lettres du nom du Christ en grec, chi et rho, tirée du Livre de Kells, vers 800 av JC .Source : Photo.com/Thinkstock
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