ActualitésArtsCinémaCritique cinématographiqueCultureFranceNetflixPolitique

Cinéma : « Flo », l’histoire de Florence Arthaud. Comme un loup (de mer)

C’est une première réalisation pour la comédienne et romancière Géraldine Danon, épouse du navigateur Philippe Poupon et donc du « sérail » des navigateurs. On sera donc indulgent mais le film, malgré son bouquet émotionnel final, peine à convaincre

Le problème avec les « Biopic »

Biopic est un anglicisme qui désigne un film qui retrace la vie d’une personnalité. On pense immédiatement à une biographie. C’est bien le cas, mais cela n’a pas valeur de documentaire. C’est une œuvre artistique, un genre cinématographique. Cela peut générer des frictions. Récemment, la mini-série Netflix sur Bernard Tapie a fait parler d’elle car son épouse Dominique Tapie a témoigné dans le Figaro : « Ce n’est pas mon mari, et jamais je n’ai été cette femme ».
Le constat est pour le moins cruel.
Dominique Tapie avait pourtant été approchée par les réalisateurs mais finalement, la série a été faite sans l’impliquer, ce qui l’a choquée, au prétexte qu’il s’agissait d’une fiction.

Avec « Flo » qui retrace librement la vie de Florence Arthaud la navigatrice, on est dans la même « ambiance ». Un film de fiction d’autant qu’il est inspiré d’un roman de l’écrivain et navigateur breton Yann Queféllec. Il s’agit d’un récit romanesque inspiré par Florence Arthaud, paru 5 ans après son décès accidentel en mars 2015, où elle périt tragiquement à bord d’un hélicoptère lors du tournage de l’émission- jeu d’aventures sportives »Dropped« . Elle y participait pour financer son projet de régate réservée aux femmes.

Pour Tapie comme pour Arthaud, les instigateurs sont des proches, qui ont connu leur héros ou héroïne. Et comme dans toute relation humaine, chacun sa relation unique, chacun sa perception. Dans les deux cas, les survivants intimes se sont sentis trahis quant à la mémoire de leur disparu(e). Pour Florence Arthaud, c’est sa fille, Marie Lingois (dont le père est le navigateur Loïc Lingois) qui est montée au créneau. Elle a tenté d’empêcher la sortie de « Flo » avec une procédure judiciaire qui est… tombée à l’eau. Elle a considéré que le film exposait la vie de sa mère « de manière dégradante de nature à porter atteinte à sa mémoire ». En avril dernier le tribunal de Paris a rejeté son action.

De fait, la réalisatrice Géraldine Danon cosigne le scénario avec Yann Queféllec et est mariée avec le navigateur Philippe Poupon. Le couple a été proche de Florence Arthaud, qui faisait partie de leur cercle amical.

Cheminement manquant

Le film démarre sur un accident de la route de Florence âgée de 17 ans, sur fond d’excès d’alcool. Une addiction au breuvage qui est plus que suggérée par son omniprésence dans le film. On aurait préféré comprendre comment Florence Arthaud, issue de la bourgeoisie parisienne, chemine vers cette vocation de navigatrice. Ce n’est pas clair dans le film. Certes, on la voit enfant faire du bateau avec son frère, on la voit rencontrer des navigateurs et éventuellement s’éprendre d’eux et des virées en mer à leurs côtés. Puis on la voit plus tard vendre son projet de trimaran de compétition et s’entraîner à l’épreuve de la Route du Rhum où elle veut s’embarquer. Mais ses motivations et son basculement d’un attrait pour la navigation de plaisance vers un projet de compétition en mer n’est pas clair, et c’est bien dommage.

Un côté Tabloïd

Dans le film, on évoque beaucoup le côté fêtard de Florence Arthaud et très longuement ses relations tumultueuses avec des navigateurs, tels que Hervé Kersauzon, Loïc Linois and co. Peut-être que ceci explique cela, son attrait pour la mer serait-il liée aux loups de mer rencontrés à base de romances intenses ? Le film suggère cela, à défaut de parler d’autre chose. Peut-être est-ce le cas, mais cela semble un peu réducteur pour évoquer la passion d’une femme qui va accomplir des exploits en tant que navigatrice professionnelle. Les scènes de rencontre, de séduction sont omniprésentes et traînent parfois un peu en longueur. On voudrait comprendre le « déclic » de Florence Arthaud, on reste sur notre faim. À moins que l’on veuille nous faire comprendre que Florence choisit de devenir navigatrice en réaction à toute cette bande de machos navigateurs ? On se pose la question, car il est facile de le percevoir comme le parti-pris du film.
Que retenir par ailleurs des centres d’intérêt de Florence Arthaud dans ce film ? On la perçoit comme aimant faire la fête, plutôt dans l’excès. Ce n’est pas la débauche, mais quand même l’impression d’une vie débridée axée sur le « fun ». Est-ce vraiment elle ? Car il y a de la rigueur et de l’abnégation quand on veut conquérir la mer. On ne l’entrevoit guère dans le film, hormis donc quelques minutes d’entraînement sportif entre rameur et jogging sur la plage.
Tout cela donne une impression de légèreté, d’approche un peu « people » et d’inclination sur les relations intimes comme moteur. C’est peut-être vendeur mais on est ébranlé par ce côté tabloïd au regard de l’image de personnalité puissante et d’authenticité qu’inspire la navigatrice.

Casting fragile

Stéphane Caillard a le rôle titre, elle incarne Florence Arthaud de son adolescence a la quarantaine marquée. Physiquement, l’actrice évoque clairement la navigatrice dans les années 70 et 80, en tant que jeune femme. Néanmoins, l’actrice est svelte, presque aérienne au physique qui peut paraître un peu fragile par rapport à la mer, et on a parfois du mal a faire le lien avec Florence Arthaud la navigatrice, véritable marin à forte carrure au propre et au figuré, caractéristiques qui s’accentuent au fil du temps.
Que l’on soit clair : le jeu de l’actrice n’est pas en cause. Stéphane Caillard s’approprie le personnage. Pour peu que l’on connaisse un peu le monde de la voile, on voit également un vrai travail technique réalisé sur les scènes en mer à bord de bateaux, les gestes sont parfaits et on constate que tout est réalisé « sans filets » y compris l’ascension d’un mat de trimaran impressionnant.

Les autres acteurs n’impressionnent pas particulièrement non plus, notamment les parents de Florence Arthaud dont son père incarné par Charles Berling , et même Oliver de Kersauzon très présent dans le film et joué par Alexis Michalik. Mention spéciale néanmoins pour Pierre Deladonchamps, convaincant dans le rôle de Jean-Marie, frère de Florence.

À gauche, Florence Arthaud à la Une de Elle en 1991, à droite en 2014 (Crédit photo : BALTEL/SIPA)

Marques du temps suspendues

Florence Arthaud, on l’a vue évoluer physiquement au fil du temps, et sur 3 décennies, le temps justement fait son œuvre, surtout quand on prend la mer…
Or dans Flo, l’héroïne est la même physiquement durant 30 ans. À l’exception du seul jalon du temps qui passe, sur son visage, une cicatrice sous l’œil droit stigmate de son accident de voiture inaugural du film à l’adolescence. C’est à l’évidence un choix de la réalisatrice que de se passer de tout artifice pour marquer le passage du temps, mais c’est quand même un pari bien risqué pour la crédibilité. Géraldine Danon a tout misé sur le jeu de l’actrice et dans le dossier de presse, déclare être bluffée à ce titre. On ne l’est pas vraiment. La petite cicatrice de plus en plus visible sur le visage de Florence au cours du temps ne fait pas son effet et on ne distingue pas de variation du jeu de Stéphane Caillard. Et cela concourt malheureusement à la difficulté à croire au personnage. Florence Arthaud a changé physiquement sur 30 ans et les épreuves de vie qu’elle a vécues rien d’étonnant. Rien ne transparaît de cela dans le film. C’est perturbant, ça déboussole.

Scènes finales émotionnelles

La dernière partie du film est particulièrement riche en émotions et tranche avec tout ce que l’on a vécu auparavant, qui était plutôt sous le signe de la légèreté laissant dubitatif. Il s’agit maintenant de l’évocation de la route du Rhum, avec de vraies scènes filmées en merà bord du vrai bateau rapatrié pour l’occasion et rebaptisé « Flo ». C’est un événement historique : en 1990, Florence Arthaud s’engage et gagne la compétition mythique de la Route du Rhum, une traversée en solitaire. Elle reste à ce jour la seule femme à avoir décroché le trophée. Les péripéties de la traversée, la surprise de la navigatrice quand elle apprend qu’elle a gagné, son arrivée à bon port dans une fête impressionnante, sa joie et celle de ses proches, tout cela est vraiment puissant.

Mais cela ne sauvera pas l’impression générale : on a du mal à faire coller le personnage et son histoire telle qu’elle est racontée à la carrure du loup de mer Florence Arthaud.

Flo, un film de Géraldine Danon, avec Stéphane Caillard, Alison Wheeler, Alexis Michalik, Pierre Delaonchamps – Date de sortie : 1er novembre 2023 – Durée : 2h05

Cet article GRATUIT de journalisme indépendant à but non lucratif vous a intéressé ? Il a pour autant un coût ! Celui de journalistes professionnels rémunérés, celui de notre site internet et d’autres nécessaire au fonctionnement de la structure. Qui paie ? nos lecteurs pour garantir notre ultra-indépendance. Votre soutien est indispensable.

Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0324 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.

Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit, et abonnez-vous à la newsletter gratuite également !

ou via J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante

Abonnez-vous à la Newsletter de Science infuse !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
5 + 24 =