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Comment faire vos propres recherches – Partie II

par Melanie Trecek-King et traduit par Citizen4Science, issu de son site internet anglophone Thinking is Power dédié à la pensée critique pour le grand public sur de nombreux aspects. Parcourez le blog pour retrouver de nombreuses productions de Melanie en version française sur le site de C4S.

Note : Cet article est le second d’une série de 2 articles sur « faire ses propres recherches ». Pour lire la partie I, cliquez ici.

Il semble que presque tout le monde se mette à « faire ses propres recherches » ces temps-ci. Et dans une certaine mesure, c’est compréhensible : nous voulons prendre de bonnes décisions et il y a une quantité apparemment infinie d’informations disponibles au bout de nos doigts.

Malheureusement, l’accès à l’information n’est tout simplement pas suffisant. Même si c’est difficile à admettre, nous ne sommes pas aussi bien informés ou aussi impartiaux que nous souhaiterions le croire. Nous avons souvent recours à des « recherches personnelles » lorsque nous voulons (ou ne voulons pas) qu’une chose soit vraie… et nous nous mettons donc en quête de « preuves » pour étayer nos arguments. En raison d’un mélange malheureux de raisonnement motivé et de biais de confirmation, nous finissons par nous tromper lourdement tout en étant encore plus convaincus d’avoir raison.

Inutile de préciser que ce n’est pas ainsi que fonctionne la véritable recherche. Ce que vous faites en réalité, c’est chercher les résultats des recherches de quelqu’un d’autre. La vraie question est la suivante : comment décider de la source à laquelle vous devez faire confiance ?

Dans un article précédent, j’ai essayé de mettre en évidence les dangers de faire ses propres recherches, ce qui était essentiellement un plaidoyer pour l’humilité intellectuelle et la confiance dans les experts. Mais si vous voulez « faire vos propres recherches », vous avez essentiellement deux options : trouver et faire confiance au consensus des experts ou devenir vous-même un expert et faire vos propres (vraies) recherches.

Qu’est-ce que le consensus ? Et pourquoi est-il digne de confiance ?

De nos jours, la recherche scientifique est hautement spécialisée, chaque sous-domaine ayant sa propre nomenclature, ses méthodologies, ses analyses statistiques, etc., nécessaires pour représenter et communiquer ses nuances et sa complexité. Les experts disposent des connaissances, des compétences et de l’expérience nécessaires pour évaluer la qualité des preuves fournies par une étude particulière et, surtout, pour la replacer dans le contexte de l’ensemble de la littérature. Les scientifiques qui étudient les maladies cardiaques ne sont pas formés pour comprendre la littérature sur les trous noirs, par exemple, ou même sur les affections oculaires. (Remarque : cela vaut également pour vous. La littérature scientifique est le lieu où les scientifiques spécialisés se parlent entre eux. Elle n’est pas destinée aux non-experts).

Contrairement à ce qui est souvent enseigné à l’école, il n’existe pas de méthode scientifique unique. La science est plutôt une communauté d’experts qui utilisent diverses méthodes pour rassembler des preuves et examiner les affirmations. L’aspect social de la science est l’une des principales raisons de sa fiabilité, car il existe un moyen systématique de corriger les préjugés, les erreurs et même les fraudes des scientifiques individuels.

Au cœur du processus scientifique se trouve l’examen par les pairs, dans lequel la recherche doit passer l’examen critique d’autres experts avant d’être publiée dans une revue scientifique. Cependant, une étude unique n’est jamais la réponse définitive : les conclusions doivent être reproduites et s’inscrire dans un ensemble plus large de preuves avant que les scientifiques ne les acceptent.

La littérature examinée par les pairs est le lieu où les experts partagent leurs recherches avec d’autres experts et cela peut être très difficile à lire pour les non-experts. À l’inverse, les médias populaires rendent souvent les résultats sensationnels lorsqu’ils sont « traduits » pour le grand public.
Sources: Steinberg, et al (2017); Peter Hess, Invers

Lorsque des sources de preuves indépendantes et diverses convergent vers une conclusion, celle-ci est considérée comme solide et les experts l’acceptent généralement. Le résultat est un consensus d’experts, ou la position collective des experts basée sur une évaluation de l’ensemble des preuves. Il ne s’agit pas du mot de la fin, mais du point de départ sur lequel la grande majorité des experts s’accordent. Les scientifiques peuvent ensuite s’appuyer sur les connaissances acquises par le biais du processus scientifique pour en apprendre davantage sur ce qu’ils ne savent pas.

Le consensus est probablement incomplet et peut être remis en question, mais il est très peu probable qu’il soit complètement renversé. S’il y a un problème avec le consensus, vous ne le trouverez pas avec vos « recherches »… ce sera un expert qui le fera. Et comme la structure d’incitation de la science récompense les scientifiques qui découvrent de nouvelles choses ou qui prouvent que les connaissances établies sont fausses, renverser le consensus serait une stratégie qui permettrait de gagner une carrière, le genre de stratégie qui donne lieu à des prix Nobel. La probabilité que des milliers de scientifiques renoncent à la gloire et à la fortune pour maintenir une théorie complotiste, comme le suggèrent de nombreux négationnistes et promoteurs de pseudo-sciences, est quasi nulle.

La plupart des gens font généralement confiance aux experts et utilisent le consensus comme un raccourci pour prendre des décisions. Par exemple, si cinq électriciens me disaient que le câblage de ma maison risque de provoquer un incendie, je le ferais certainement réparer ! Les campagnes de déni de l’industrie, comme celles menées par les fabricants de tabac et de combustibles fossiles, savent très bien que le public fait confiance au consensus des experts, c’est pourquoi leur stratégie consiste à dire au public qu’il n’y en a pas, à utiliser de faux experts en vrac pour contrer un vrai consensus, ou même à suggérer que le consensus ne fait pas partie du processus scientifique.

L’une des raisons de la confusion autour de l’importance du consensus dans la science est que ce mot a différentes significations. Pour beaucoup d’entre nous, il s’agit d’une opinion populaire ou d’un accord général. Mais le consensus des experts n’est pas le résultat d’une réflexion de groupe, et il n’est pas démocratique. C’est le résultat d’experts hautement spécialisés qui évaluent indépendamment l’ensemble des preuves et arrivent à une conclusion similaire. Aucun autre système d’acquisition de connaissances n’est aussi fiable ou digne de confiance, et cela est dû en grande partie à la communauté d’experts qui vérifient le travail des autres.

Finalement, ce n’est pas un appel à l’autorité que d’accepter le consensus des experts. C’est la chose prudente à faire ! Ce qui est fallacieux, c’est de faire appel à ceux qui ne sont pas des experts, qui sont des experts dans un autre domaine ou qui représentent une opinion minoritaire pour soutenir une affirmation. Si vous accordez de l’importance à l’opinion des experts, le consensus devrait compter davantage qu’un « expert » choisi par cherry-picking.

En résumé le consensus des experts est la forme de connaissance la plus fiable pour les non-experts. Apprenez à leur faire confiance… ils en savent plus que vous.

En bref, le consensus des experts est la forme de connaissance la plus fiable pour les non-experts. Apprenez à leur faire confiance… ils en savent plus que vous.

« L’histoire nous montre clairement que la science ne fournit pas de certitude. Elle ne fournit pas de preuves. Ce qu’elle nous fournit est le consensus d’experts sur la base d’une accumulation organisée et l’examen des preuves »
Naomi Oreskes
« Le grand public se fie aux experts scientifiques pour guider leurs points de vue sur des sujets scientifiques complexes. C’est pourquoi communiquer le consensus scientifique (quand il y en a un) est important. Inversement, c’est la raison pour laquelle les dénialistes de la science travaillent si du pour faire douter du consensus »
John Cook, fondateur SkepticalScience

Comment trouver le consensus ?

Parfois, un consensus est mesuré en jaugeant l’opinion des experts, tandis que dans d’autres cas, c’est en évaluant les preuves. Il faut parfois beaucoup de temps et de recherche aux experts pour parvenir à un consensus, et certaines questions font l’objet d’un consensus plus large que d’autres. Cela dit, certains sujets controversés du point de vue du public (par exemple, l’évolution, le changement climatique, la sécurité des vaccins) sont aussi bien établis que la science peut l’être.

Trouver le consensus, s’il y en a un, peut être difficile, mais c’est toujours beaucoup plus facile que de faire toutes les recherches soi-même.

-Les synthèses de recherche combinent les résultats des études pour évaluer le poids des preuves.
Les examens ou revues systématiques synthétisent la littérature et condensent ce que l’on sait sur une question donnée, tandis que les méta-analyses sont des examens systématiques qui utilisent des méthodes statistiques pour résumer les résultats.

N’oubliez pas que les études individuelles ne constituent pas le dernier mot. Si les études individuelles sont comme les pièces d’un puzzle, ce sont des articles aident à reconstituer le puzzle. Les examens ou revues systématiques et les méta-analyses nous aident essentiellement à éviter le piège d’être potentiellement induits en erreur par une seule étude.

Pour trouver des synthèses de recherche, recherchez sur la base de vos mots-clés et les mots « revue systématique » ou « examen systématique » ou « méta-analyse ». Assurez-vous de vérifier la qualité de la revue et gardez à l’esprit que la qualité des synthèses dépend de celle des recherches qui les composent.

-Les rapports de synthèse sont des synthèses de synthèses. (Oui, c’est très méta.) Des rapports de synthèse ne sont pas toujours disponibles, mais s’ils le sont, ils constituent une excellente preuve d’un consensus.

Les meilleurs exemples de rapports de synthèse proviennent de la recherche sur le changement climatique. Par exemple, Cook et al. (2016) ont synthétisé les estimations consensuelles de six études indépendantes et ont trouvé un consensus scientifique robuste selon lequel les humains sont à l’origine du changement climatique.

Études montrant l’accord scientifique sur le fait que le réchauffement climatique général est causé par l’Homme

Sept études indépendantes sur le consensus relatif au réchauffement climatique causé par l’Homme montrent toutes un fort consensus.
Cook et al. 2016). Illustration : John Cook. Source : SkepticalScience

Un autre exemple de recherche sur le changement climatique est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Tous les deux ans depuis 1988, le GIEC sélectionne les meilleurs scientifiques du monde entier pour évaluer et synthétiser des milliers d’études sur le climat afin de fournir les évaluations les plus fiables et les plus complètes sur les causes, les impacts et les risques futurs du changement climatique. (Leur évaluation la plus récente déclare : « Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et la terre »).

Pour trouver un rapport de synthèse, recherchez vos mots-clés et l’expression « rapport de synthèse » ou « synthèse de recherche ».

-Les prises de position sont des points de vue officiels sur des questions scientifiques émis par des organisations scientifiques et/ou des sociétés professionnelles réputées. Ces rapports sont généralement basés sur l’examen de la littérature publiée et constituent l’expression la plus courante d’un consensus scientifique.

Pour trouver des prises de position, recherchez vos mots clés ainsi qu’un organisme scientifique pertinent. Si vous n’êtes pas familier avec les organisations scientifiques concernant une question particulière, cela peut demander un peu de recherche. (Cependant, c’est aussi un bon indicateur que la recherche du consensus des experts est un meilleur choix que d’essayer de lire la littérature). Méfiez-vous des organisations de façade ou astroturf qui créent des sociétés peu fiables pour promouvoir la pseudoscience ou le déni de science.

Voici quelques exemples d’organisations scientifiques gouvernementales, d’organisations à but non lucratif ou de sociétés professionnelles qui font autorité :

  • Center for Disease Control and Prevention (CDC)
  • National Institutes of Health (NIH)
  • National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA)
  • National Science Foundation (NSF)
  • American Association for the Advancement of Science (AAAS)
  • American Medical Association (AMA)
  • National Academy of Sciences (NAS), especially the Based on Science section

Un indicateur très fiable de consensus est que la majorité des organisations prestigieuses sont arrivées à une conclusion similaire.

-Les lignes directrices de pratique clinique sont des recommandations produites par diverses organisations de soins de santé et des organismes professionnels médicaux pour aider les cliniciens à diagnostiquer et à traiter les patients en utilisant les meilleures preuves disponibles. Ces déclarations sont fondées sur des examens systématiques et représentent généralement les positions consensuelles d’experts dans leurs domaines médicaux respectifs.

[Trouver des lignes directrices de pratique clinique].

-Les sondages et enquêtes mesurent l’opinion des scientifiques sur un sujet. Bien qu’ils fournissent des informations utiles, surtout si les résultats sont conformes à d’autres mesures du consensus, ils ne sont pas aussi fiables que les analyses documentaires.

Plus l’expertise en matière de climatologie est élevée, plus le consensus sur le changement climatique causé par l’homme est fort.

Comme toujours, il est important d’utiliser des instituts de sondage crédibles. En outre, faites attention à qui a été sondé. S’agissait-il de tous les scientifiques ? Des scientifiques de haut niveau, comme ceux de l’AAAS ? Étaient-ils des experts dans leur domaine ?

Quelques conseils supplémentaires pour vos recherches

Nous sommes plus enclins à nous laisser prendre au piège de la désinformation lorsqu’elle confirme ce que nous croyons déjà. Si vous cherchez des preuves que vous avez raison, vous pourrez absolument les trouver en ligne ! Donc, au lieu de poser une question tendancieuse (ou tendancieuse) à Google, utilisez des termes de recherche neutres. Ou mieux encore, rompez avec le biais de confirmation en essayant de trouver des preuves que vous avez tort.

Il est essentiel de vérifier la fiabilité des sources. Si les journaux évalués par des pairs sont la source la plus fiable d’informations scientifiques, ils ne sont pas tous égaux. Une façon de vérifier la qualité d’une revue est de rechercher son journal de facteur d’impact (Journal of Impact Factor, JIF), qui calcule son influence dans la communauté scientifique en fonction du nombre de fois où ses articles sont cités.

Malheureusement, les formes les plus dangereuses de tromperie en ligne consistent à créer de fausses revues ou organisations scientifiques pour promouvoir la pseudoscience ou le dénialisme, et il peut être facile de se laisser prendre à des « études » qui semblent être scientifiques mais qui sont de qualité nettement inférieure. Méfiez-vous en particulier des revues prédatrices qui publient des informations fausses ou trompeuses et n’ont pas de pratiques de publication de qualité, ainsi que des revues pseudoscientifiques qui prétendent être scientifiques mais sont créées dans le seul but de publier de la fausse science.

Si vous utilisez des sources d’information qui ne sont pas évaluées par des pairs, il est encore plus important de vérifier leur fiabilité. Ne perdez pas de temps sur la section « À propos » d’un site inconnu, mais regardez plutôt de façon latérale ce que d’autres sources fiables ont à dire à ce sujet.

[En savoir plus : Ne vous laissez pas berner… vérifiez les faits !].

Le message à retenir

Si beaucoup d’entre nous aiment se considérer comme des penseurs indépendants, la plupart de nos croyances dépendent des sources auxquelles nous choisissons de faire confiance. Malheureusement, certains ont décidé que « penser par soi-même » signifie automatiquement ne pas faire confiance aux informations provenant du gouvernement, des médias ou même des universités, ce qui les rend vulnérables à la désinformation qui renforce leurs croyances ou leurs préjugés.

Nous faisons tout le temps confiance aux experts, pour cultiver notre nourriture, piloter nos avions, câbler nos maisons, etc. Ce n’est que lorsque l’opinion des experts entre en conflit avec nos croyances profondes que nous avons recours au déni… et à la nécessité de « faire nos propres recherches » pour trouver la « vraie vérité ». Au lieu de sélectionner des études ou des experts pour essayer de soutenir vos croyances les plus chères, soyez honnête avec vous-même sur ce que vous croyez et pourquoi… et pourquoi vous faites confiance aux sources que vous utilisez.

Mais vous ne pouvez pas dépasser les experts en matière de recherche. Il faut être un expert pour le faire. Si vos « recherches » vous conduisent à des sources qui vous disent que les experts se trompent ou mentent, vous vous trompez. Vous n’avez pas trouvé de sources dignes de confiance que les experts ont toutes manquées. Vous avez été induit en erreur par une propagande qui a fait appel à vos émotions ou à vos préjugés.

L’essentiel est que : Si vous voulez croire en des choses qui sont « vraies », au mieux des capacités humaines à connaître « la vérité », apprenez à faire confiance aux experts, car ils ont les connaissances et les compétences nécessaires pour évaluer les preuves.

Toutefois, si vous êtes vraiment convaincu(e) que presque tous les experts du monde ont tort, devenez un expert et faites vos propres recherches (réelles).

Pour en savoir plus

Merci à Lynnie Bruce, Jonathan Stea et John Cook pour leurs commentaires.

Traduction : Citizen4Science – lien vers l’article original

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