Effet placebo : quand l’esprit devient chimiste
L’effet placebo, ce mystère où une pilule sans substance active soulage des maux, intrigue la science depuis des siècles. Explorons ce phénomène, entre rigueur scientifique qui sait en contourner l’écueil et les ambiguïtés légales qui le consacre, comme l’illustre le cas de l’homéopathie
C’est un article publié le 7 avril dans Mescape Medical News qui est à l’origine du nôtre. Il a attiré notre attention par son titre : « Pourquoi un placebo peut-il mieux fonctionner si vous savez que c’est un placebo ? (traduit de l’anglais). L’idée est assez contre-intuitive de ce qui est communément admis sur l’effet placebo.
Les essais cliniques en double aveugle : un must méthodologique
Pour évaluer un médicament, rien ne vaut les essais cliniques randomisés en double aveugle. Les participants sont répartis aléatoirement : un groupe reçoit le traitement actif, l’autre un placebo, une substance inerte, c’est-à-dire sans substance active d’un point de vue pharmacologique, à l’aspect identique au médicament actif. Le « double aveugle » garantit que ni les patients ni les chercheurs ne savent qui reçoit quoi, évitant les biais d’évaluation.
Cette modalité méthodologique est cruciale pour isoler les effets réels du médicament de ceux liés à l’attente ou à la suggestion des participants et des chercheurs. Sans cela, un patient pourrait se sentir mieux simplement parce qu’il se sent l’objet d’une attention et d’une prise en charge ou « croit » au traitement, faussant les résultats. Il élimine aussi l’influence des chercheurs, qui pourraient biaiser les données par leur avis préconçu sur les résultats attendus. Enfin, la randomisation équilibre les différences entre les groupes (âge, sexe, état de santé,…), assurant des analyses plus fiables. C’est cette rigueur qui permet de dire si un médicament agit vraiment, au-delà des illusions de l’esprit.
Le placebo : un pouvoir caché
Pourtant, dans ces essais, le groupe placebo montre parfois des améliorations. L’effet placebo repose sur une idée fascinante : croire en un traitement peut modifier notre état de santé. Un comprimé de sucre ou une injection de liquide physiologique peut réduire la douleur, l’anxiété ou certains symptômes digestifs. Des études ont révélé que des patients souffrant de migraines ou de stress rapportent un soulagement après la prise d’un placebo dépourvu d’ingrédient actif. Cet effet s’explique comme on l’a vu par la prise en charge et les attentes, qui déclenchent des réponses neurochimiques comme la libération d’endorphines, et par le rituel thérapeutique, qui renforce le sentiment de soin.
Les placebos en connaissance de cause : une révélation
L’article de Medscape met en lumière une découverte intrigante : les placebos peuvent fonctionner même quand les patients savent qu’ils en prennent un. Ces
« placebos en ouvert » (« open-label« , par opposition à la méthodologie en aveugle évoquée plus haut) ont été évalués dans des études sur le syndrome de l’intestin irritable, les douleurs chroniques ou la dépression. Les participants, informés qu’ils reçoivent une substance inerte, ressentent malgré tout des améliorations. Medscape cite des recherches où des patients atteints des douleurs lombaires ont vu leurs symptômes diminuer après avoir pris un comprpimé clairement étiqueté comme placebo.
Pourquoi cela marche-t-il ? Même en connaissant la vérité, les patients conservent une attente positive, surtout si on leur explique que le placebo a aidé d’autres personnes. Le rituel thérapeutique semble aussi activer des réponses physiologiques. Des IRM montrent des changements dans les zones cérébrales liées à la douleur ou au bien-être, suggérant une base biologique à cet effet.
L’homéopathie : un placebo vendu légalement comme médicament
L’homéopathie illustre un cas controversé où l’effet placebo se mêle à une pratique médicale. Basée sur des dilutions extrêmes – au point qu’il ne reste souvent aucune molécule active –, elle est fréquemment comparée à un placebo sophistiqué. Des études rigoureuses, comme celles publiées dans The Lancet, n’ont pas démontré d’efficacité supérieure à celle d’un placebo. Pourtant, elle reste populaire et prescrite par certains médecins. En France, le Code de la santé publique, dans son article L.5111-1, définit les « médicaments par présentation » comme tout produit « présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales ». Cette définition autorise l’homéopathie à être classée comme médicament, même sans substance active, car elle est présentée comme thérapeutique, laissant supposer que son effet repose sur le placebo.
Ce statut est renforcé par l’article L.5121-1 (11°) du Code de la santé publique qui définit un « médicament homéopathique » comme « tout médicament obtenu à partir de substances appelées souches homéopathiques, selon un procédé de fabrication homéopathique décrit par la pharmacopée européenne, la pharmacopée française ou, à défaut, par les pharmacopées utilisées de façon officielle dans un autre État membre de l’Union européenne« . En 2021, l’homéopathie a été déremboursée par la Sécurité sociale après un avis de la Haute Autorité de santé concluant à son manque d’efficacité. Pourtant, elle reste largement enseignée dans les facultés et surtout, prescrite par des médecins.
La prescription médicale comme socle de la validité
Ces prescriptions sont possibles grâce à des formations spécifiques. Bien que l’homéopathie ne soit pas une spécialité médicale officielle reconnue par l’Ordre des médecins (article L.4111-1, qui réserve l’exercice de la médecine aux docteurs en médecine), des diplômes universitaires (DU) ou interuniversitaires (DIU) en homéopathie existent. Accessibles aux médecins diplômés, ces cursus, proposés par des universités comme Paris, Lille ou Lyon, leur permettent de prescrire des remèdes homéopathiques dans le cadre légal de leur activité. Ces médecins, souvent généralistes, se désignent parfois comme « homéopathes », mais cette qualification reste une compétence supplémentaire, non une spécialité au sens strict. Cette situation entretient une ambiguïté et teinte l’homéopathie de validité médicale : vendre un placebo comme un médicament légitime peut tromper les patients, mais les prescrire enfonce le clou de la validité aux yeux du grand public.
Reconnaissons tout de même un bienfait à l’existence légale du médicament par présentation : vanter des propriétés thérapeutiques de produits non médicamenteux ouvre la voie à des poursuites pour exercice illégal de la pharmacie.
Limites et perspectives
Les placebos, qu’ils soient administrés « en ouvert » ou « en aveugle » dans le cadre de la recherche clinique, ou masqués comme avec l’homéopathie, ont des limites. Ils ne fonctionnent pas pour tous, et leur impact varie selon les conditions. Une infection grave ne guérira pas avec une pilule de sucre, bien que la douleur associée puisse être atténuée. Leur efficacité reste aussi souvent modeste et temporaire.
Boiron, le laboratoire pharmaceutique français qui a construit son succès sur les médicaments homéopathiques, a subi de plein fouet le déremboursement de ces médicaments i y a quelques années. Pourrait-il s’appuyer sur une nouvelle communication ou il revendique son homéopathie comme du placebo « en ouvert » ? On peut en douter, car autant coller une étiquette « placebo » sur sa bouteille ou de jus d’orange.
Une affaire de chimie quand même, après tout ?
L’effet placebo semble défier la médecine moléculaire. Pourtant, tout semble finalement être une affaire de chimie à l’arrivée. La « psychologie du placebo », entre attentes, confiance, rituel de la prise en charge se traduit par des effets chimiques réels dans l’organisme. Quand un patient croit en un comprimé, son cerveau libère des substances comme la dopamine ou les endorphines, apportant des effets positifs même si non spécifique de la pathologie ciblée. Les IRM mentionnées dans Medscape confirment ces changements cérébraux mesurables, tout comme ceux induits par des traitements actifs. Ainsi, que ce soit via un déclencheur sous forme de placebo-« médicament » granule homéopathique ou un placebo avoué « tout court’, l’esprit peut agir comme un chimiste sur l’organisme, comme le font les médicaments à substance active.
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