Le CNRS face à ses paradoxes : un rapport inquiétant de la Cour des comptes
Entre gestion financière (trop ?) prudente et inertie administrative rapportées par la Cour, nous ajoutons des dérives persistantes de chercheurs
Le rapport de la Cour des comptes du 25 mars 2025 analyse en profondeur la gestion du fleuron de la recherche française, et dévoile une machinerie lourde à la dynamique qui s’essouffle et inquiète pour la qualité et l’avenir de la recherche en son sein ; des stigmates en sont certainement quelques dérives récentes
Santé financière marquée par l’inertie
La Cour des comptes révèle une trésorerie de 1,4 milliard d’euros pour le CNRS fin 2023, en augmentation de 900 millions sur onze ans, grâce aux fonds obtenus via des appels à projets. Or le CNRS n’est pas une entreprise commerciale. De façon inquiétante, cette situation de sous-exécution des dépenses de 442 millions d’euros en 2023, révèle l’incapacité de la structure à mobiliser ces ressources de manière pluriannuelle. La Cour critique ce manque de pilotage stratégique, notant que ces fonds restent peu investis dans des priorités comme les équipements ou le soutien aux chercheurs. Une mutualisation de 10 % des ressources propres par institut a été initiée en janvier 2025, mais elle est jugée insuffisante.
Bureaucratie étouffante
Avec 1 130 unités de recherche et 32 000 employés, le CNRS souffre d’une gestion décentralisée qui engendre un poids administratif important. Le rapport indique que 20 à 30 % du temps des chercheurs est consacré à des tâches bureaucratiques, un chiffre en augmentation ces dernières années. Les systèmes informatiques, fragmentés et vulnérables aux cyberattaques, accentuent cette inefficacité. La Cour appelle à une simplification des procédures et à une modernisation des outils pour libérer du temps scientifique, soulignant que ces lourdeurs freinent l’agilité de l’organisme.
Attractivité en chute libre
Le CNRS fait face à une crise d’attractivité : les candidatures de chercheurs ont diminué de 36 % en dix ans, tandis que les postes offerts n’ont reculé que de 18 %. Fin 2023, 32 % des effectifs permanents sont âgés de plus de 55 ans, ce qui démontre un renouvellement insuffisant. Le rapport attribue cette tendance à des facteurs structurels dans la recherche publique française, recommandant des dotations de démarrage pour les jeunes chercheurs et une modulation des rémunérations pour contrer la concurrence internationale.
Des chercheurs embarqués dans la tourmente politique
Ces dernières années, rappelons que le CNRS a été éclaboussé par des prises de position politiques de certains chercheurs. Pendant la crise sanitaire, Laurent Mucchielli, sociologue, a publié en juillet 2021 un billet antivaccin sur Mediapart, retiré pour désinformation. Notre éditeur Citizen4Science, association de médiation scientifique lanceur d’alerte de premier plan pendant les « années Covid » avait publié une ouverte au CNRS le 21 août 2021, relayée en exclusivité par le Journal du Dimanche. Dénonçant son attitude et son discours hors de son champ d’expertise et jouant de l’argument d’autorité comme chercheur au CNRS, l’association réclamait action et sanctions. Le CNRS avait répondu sur Twitter (désormais X) le 4 août 2021, se désolidarisant sans nommer Mucchielli, suivi d’un rappel déontologique le 24 août. Plus récemment, en 2025, l’opération HelloQuitteX, incitant les chercheurs et le public à quitter X en mettant à disposition des moyens du CNRS, avait été l’objet d’un article dans ces colonnes en début d’année, dénonçant l’instrumentalisation politique de la science et l’utilisation de l’argent public à ces fins.. Le CNRS n’a pas réagi officiellement.
Quatorze recommandations et un avenir incertain
La Cour des comptes recommande d’optimiser la trésorerie de 1,4 milliard d’euros via un comité stratégique et une mutualisation accrue des ressources propres. Elle propose de simplifier les procédures administratives et de moderniser les systèmes informatiques vulnérables. Pour l’attractivité, elle suggère des dotations de démarrage pour les jeunes chercheurs et une modulation des rémunérations. Le rapport appelle à renforcer l’interdisciplinarité, à mieux programmer les investissements (équipements, soutien aux talents), et à clarifier les relations avec les unités mixtes de recherche (UMR). Enfin, il insiste sur une gouvernance plus agile pour répondre aux défis structurels et maintenir le rayonnement scientifique du CNRS face à la concurrence mondiale.
Si l’on pouvait ajouter une recommandation, à la lumière des dérives éthiques que nous avons évoquée Renforcer le cadre déontologique et les mécanismes de contrôle interne pour prévenir les prises de position publiques de chercheurs qui dévient de leur champ d’expertise ou nuisent à la crédibilité scientifique de l’institution, avec des rappels réguliers des obligations liées à leur statut et des sanctions claires en cas de manquement, comme illustré par les controverses de 2021 et 2025.
Cette proposition reste ancrée dans les faits (épisodes Mucchielli et HelloQuitteX, entre autres ) et s’aligne sur l’objectif implicite du CNRS de préserver son image et sa neutralité scientifique, ainsi que de lutter contre l’instrumentalisation politique de la science.
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