Les investissements financiers présentés comme un jeu d’argent : l’AMF met en garde sur les dangers de la gamification dont le copy trading
L’Autorité des marchés financiers a communiqué ce mois-ci sur une technique marketing qui pousse les particuliers embarqués à prendre des risques financiers inconsidérés
« Gamification « est un mot intégré au dictionnaire, néologisme à base du mot anglais « game » (jeu). Certains lui préfèreront son synonyme « ludification ». Le jeu, c’est attractif. On peut donc utiliser la gamification dans de nombreux domaines hors de celui du jeu. Cela peut être à bon escient, par exemple à des fins didactiques pour enseigner des sujets avec une mécanique ludique, ou encore managériales en entreprise pour stimuler l’activité ou l’esprit d’équipe et la cohésion.
Dans le commerce, on l’utilise à des fins marketing pour vendre des produits ou services aux consommateurs.
Il est question donc de techniques d’engagement et de fidélisation. Les ouvrages fleurissent, comme celui-ci qui enseigne les principes de base des techniques de gamification et fournit des méthodes pour développer ses propres systèmes en la matière, pour ses équipes en entreprise ou pour sa clientèle :
Expérience en laboratoire universitaire
Cette étude, réalisée à la demande de l’AMF et dont la coordinatrice fait partie du comité scientifique, a impliquée 366 étudiants et a été réalisée par le Laboratoire d’économie expérimentale de Strasbourg (LEES) qui fait partie de l’université de Strasbourg au printemps dernier. Elle visait à identifier les comportements des étudiants mis dans la peau d’un investisseur, face à différents stimuli dits « hédoniques » assimilables aux techniques de gamification, comme la remise de trophées virtuels (médailles or, argent, bronze, platine), des animations de confettis tombant sur l’écran, des messages d’encouragement ou de félicitations. Les stimuli ont été étudiés en mode « social » (accès des étudiants aux stimuli présentés aux autres) ou en privé.
Les étudiants avaient en moyenne 22 ans et en 3e année d’études universitaires, et le groupe était proche de la parité de genre.
Chacun dans un box individuel avec un ordinateur au cours de 16 session, ont reçu initialement une dotation de 22 euros à investir sur un choix de supports d’actifs pour l’un à prise de risque élevée et pour l’autre sans risque (épargne). À chaque session, les étudiants choisissaient la répartition de leur capital entre l’actif risqué et l’actif sans risque au moyen d’un curseur de 0 à 100.
Une option était en outre offerte aux étudiants : ils avaient la possibilité de copier automatiquement les choix d’investissement de l’étudiant ayant obtenu la meilleure performance lors des 4 sessions antérieures. Cette technique est bien connue, on l’appelle le « copy trading ».
Résultats
Le graphique ci-dessous présente les proportions moyennes investies dans l’actif risqué dans chacun des traitements
par blocs de 4 périodes :
À droite apparaissent les noms de code des 4 traitements gamifiés conçus pour l’expérience : le suffixe se rapport à l’actif risqué (RISK) ou à l’actif sans risque (SAFE) alors que le premier mot se rapporte aux trophées sociaux (SOC) ou privés (PRIV). À cela s’ajoute le copy trading.
L’expérience a montré des résultats fort intéressants : les trophées ont un effet valorisant, et ce tant pour le produit d’investissement à risque (stimulation de la prise de risque) que pour le produit non à risque (stimulation de l’épargne sans risque). Le copy trading augmente la prise de risque pour tous les participants, et même pour ceux qui ne s’y adonnent pas. En outre, les femmes y ont plus recours.
Autres techniques de gamification inspirés des jeux vidéo
Il existe d’autres techniques de gamification pour inciter les investisseurs à prendre des risques inconsidérés, notamment sur les plateformes de trading en ligne ou les investisseurs passent du temps à étudier les graphiques boursiers. L’univers du « gaming » y est très en vogue : ordinateurs et écrans dernier cri pour suivre les cours de bourse en temps réel et même à la milliseconde pour réaliser des investissements à rythme ultra-rapide, utilisations de trackballs ultrarapides pour cliquer aussi vite que son ombre, ou encore de consoles de passages d’ordres sous formes de tablettes.
L’émulation de groupe et la compétition y sont d’ailleurs développées par de véritables gourous autoproclamés investisseurs experts, qui se présentent souvent comme des as de l’analyse technique des graphiques, presque présentée comme une science pour donner confiance aux victimes et les inciter à prendre des décisions d’investissement à haut risque.
Pour aller plus loin
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