Médicaments pour la migraine : les incontournables « triptans » sont-ils en passe d’être détrônés par les challengers « gépants » et « ditans » ?
Ces nouveaux venus promettent de soulager les crises de migraine quand les triptans échouent ; entre espoir, limites et critiques sur leur évaluation, un point sur ce que change vraiment ces molécules
Alors que la migraine gâche la vie de millions de personnes, de nouvelles armes thérapeutiques entrent dans l’arène. Pour les 10 millions de Français touchés par la migraine, majoritairement des femmes, le traitement des crises aiguës pourrait connaître un tournant. Si les triptans règnent en maîtres depuis 35 ans, deux nouvelles classes de médicaments, les gépants et les ditans (notamment le lasmiditan), entrent en scène. Mais entre promesses d’innovation et limites pratiques, que changent-ils vraiment ? Une vaste méta-analyse récente remet les pendules à l’heure.
Triptans : une révolution née dans les années 1990
Introduits en Allemagne dès 1993, les triptans ont transformé la prise en charge des migraines aiguës. Développés à partir des recherches sur la sérotonine, ces vasoconstricteurs ciblent les récepteurs 5-HT1B/1D pour stopper la douleur en court-circuitant les mécanismes vasculaires et neurologiques de la crise. Leur succès a été fulgurant : aujourd’hui, le sumatriptan, pionnier du genre, reste le plus prescrit, suivi par l’élétriptan ou le rizatriptan. Disponibles sous formes pharmaceutiques variées (comprimés, pulvérisateurs nasaux, injections), ils dominent un marché mondial évalué à plusieurs milliards d’euros, bien que leur usage reste limité . Une étude publiée en 2020 (« Acute treatment patterns in patients with migraine newly initiating a triptan » par Lipton et al. dans Headache: The Journal of Head and Face Pain) révèle que parmi les nouveaux utilisateurs de triptans, 51 % ne renouvellent pas leur prescription dans les 12 mois, et 44 % dans les 24 mois, suggérant une sous-utilisation ou un abandon fréquent. En cause, les effets indésirables des triptans parfois peu compatibles avec certaines pathologies sous-jacentes notamment cardiovasculaires.
Gépants : l’alternative ciblée
Les gépants, comme le rimégépant (Vydura®, Pfizer) ou l’ubrogépant (Ubrelvy®, Abbvie), bloquent les récepteurs du CGRP, un peptide clé dans la douleur migraineuse. Leur avantage ? Une action rapide par voie orale sans vasoconstriction, contrairement aux triptans, ce qui les rend adaptés aux patients à risque cardiovasculaire. Le rimégépant, disponible en France mais non remboursé, soulage la douleur en deux heures chez 20 % des patients à 75 mg, contre 11 % sous un placebo (études publiées dans The Lancet, New England Journal of Medicine). Les effets indésirables (nausées, étourdissements) sont rares et proches de ceux observés sous placebo.
Pour les patients chez lesquels les triptans échouent ou ceux présentant des contre-indications, les gépants sont donc une bouffée d’air.
Lasmiditan : un ditan sous surveillance
Le lasmiditan (Reyvow®, Eli Lilly), premier et unique représentant de la classe des ditans, cible les récepteurs 5-HT1F dans le cerveau, évitant la vasoconstriction. Une méta-analyse de quatre études montre qu’il double les chances d’être sans douleur en deux heures et réduit le besoin de traitements d’urgence. Une aubaine pour les patients exclus des triptans. Mais ses effets indésirables, principalement à type de vertiges, fatigue et paresthésies ainsi que et son impact sur la conduite posent problème. Un risque de syndrome sérotoninergique en cas d’interaction médicamenteuse est aussi noté.
Une méta-analys parue en septembre 2024 dans le British Medical Journal (BMJ) initulée « Comparative effectiveness and tolerability of treatments for acute migraine: network meta-analysis » a évalué 137 essais cliniques randomisés portant sur plus de 89 000 patients. Elle compare l’efficacité et la tolérance de divers traitements de la crise migraineuse, dont les triptans (comme le rizatriptan), les gépants (comme le rimégépant), et le lasmiditan, en utilisant le critère de la disparition de la douleur à deux heures. Les triptans, notamment le rizatriptan, se sont révélés nettement plus efficaces que les nouveaux traitements comme le rimégépant.
Mais ces résultats sont-ils bien suffisants ? C’est là qu’au-delà des chiffres, intervient la méthodologie.
« Placebomania » : un gâchis méthodologique ?
La question se pose, car sans études comparatives avec les triptans, il est difficile de trancher. Mais rendons à César le terme placebomania, que nous avons emprunté à notre confrère la revue Prescrire, connue depuis des décennies pour son indépendance et libre critique des laboratoires pharmaceutiques, passant à la loupe le véritable rapport bénéfices/risques des médicaments commercialisés. Nous sommes ainsi bien d’accord avec Prescrire : les nouvelles molécules, évaluées uniquement contre placebo, n’ont pas été confrontés aux triptans, référence établie.
L’Agence européenne du médicament (EMA) justifie ce choix par « l’importance de l’effet placebo » dans la migraine. Un argument qui laisse perplexe sur sa pertinence, puisque dans un essai bien conçu est en double aveugle (ni les patients ni le personnel médical qui mène l’étude ne savent ce que chaque patient prend entre le médicament testé et le produit de contrôle), cet effet placebo est similaire entre les groupes donc éliminé. Ainsi, la comparaison à un traitement éprouvé est pertinente, et la justification de l’EMA pour justifier le manquement ne tient pas la route. Les esprits critiques férus de méthodologie et d’éthique comprennent dès lors que la placebomania prive les patients de données solides sur les progrès réels, dessert les soignants dans leurs choix et au final les patients et la santé publique.
Quel avenir pour les patients atteints de migraine ?
Les gépants et le lasmiditan élargissent l’arsenal thérapeutique, un espoir pour ceux que les triptans laissent sur le carreau. Mais leur coût élevé et leur efficacité moindre freinent leur essor. Certains experts médicaux jugent que les triptans restent sous-utilisés malgré leur rapport efficacité-prix imbattable. Les nouveaux traitements, eux, se positionnent comme des recours précieux, pas comme des remplaçants. Le fait qu’ils n’aient pas été comparés directement aux triptans est cependant problématique, alors que d’autres gépants en spray nasal comme l’ubrogépant et zavégépant sont en attente d’approbation européenne.
Illustration d’en-tête : Aarón Blanco Tejedor
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