Narcotrafic : des dealers de carfentanil, opioïde 100 fois plus puissant que le fentanyl, jugés en France
Le 26 mars s’est tenu à Bobigny le procès de trois hommes soupçonnés d’avoir organisé le trafic de cette drogue vers la France, qui fait des ravages aux États-Unis
Des « go fast » (anglicisme, signifiant aller vite). C’est une technique utilisée par les trafiquants de drogue pour assurer la livraison d’un stock au moyen d’un convoi de voitures de grosse cylindrée afin d’éviter les contrôles routiers. C’est ce à quoi se seraient adonnés trois hommes âgés de 20 à 28 ans pour relier les Pays-Bas à la France chargés de carfentanil.
Trio de narcotrafiquants franciliens
Les trois personnes, originaires de Montfermeil, ont été arrêtés mi-février avec un chargement des drogues diverses en provenance de Hollande. La prise, pesant 34 kg, a une valeur marchande sur le marché du trafic de drogue de 1,4 million d’euros. Les produits illicites étaient cachés dans les portières des voitures : ectasy, kétamine, MDMA, 3MMC… mais aussi une autre drogue non identifiée sur le champ. Il s’agissait de carfentanil. L’équipe était constitué d’un commanditaire, les deux autres hommes ayant le rôle de convoyeurs. Arrivée à Montfermeil (92), la drogue avait pour destination finale Asnières-sur-Seine (92) en proche banlieue ouest.
Un tranquillisant pour éléphant
Pourquoi le nom carfentanil est-il plus utilisé que carfentanyl et non le contraire ? Cela aurait le mérite de rappeler que le premier est bien un analogue du second, à la triste réputation et aux ravages bien connus dans le monde en premier lieu aux États-Unis. Mais peut-être vaut-il en fait mieux marquer la distinction, car la puissance des deux drogues n’a rien de comparable. C’est donc aussi un opioïde de synthèse.
Mais pourquoi donc vous parler d’éléphant ? Et bien parce cle carfentanil est à l’origine une molécule développée pour la pharmacie vétérinaire et plus précisément la sédation des très gros animaux Qui dit grosse bête dit besoin d’effet puissant : ici, on recherchait un effet anesthésiant massif. En pratique, 10 mg de carfentanil tue le plus gros animal sur Terre : un éléphant d’Afrique adulte qui pèse 3 à 6 tonnes.
C’est il y a bien longtemps, en 1974, qu’a été commercialisé le carfentanil en médecine vétérinaire, et non humaine car il est 100 fois plus puissant que le fentanyl, et a minima 10 000 fois plus puissant que la morphine.
Explication pharmacologique
Un peu de pharmacologie ne fait jamais de mal, car cette science, celle du pharmacien, est le secret de la compréhension du mode d’action des médicaments et de leurs effets ; Et par voie de conséquence, la clé de l’invention de nombreux médicaments, comme c’est le cas pour le carfentanil. Son secret est donc que cette molécule possède des caractéristiques biochimiques qui font qu’au niveau moléculaire, elle se lie bien plus fortement aux récepteurs cellulaires aux opiacées de catégorie µ que le fentanyl, qui se lie lui-même beaucoup plus fortement à ces récepteurs que la morphine. On a ainsi des opiacées faibles et puissants, et ici, un carfentanil super-puissant.
Détournement comme drogue depuis 2016, inflation récente
Cela fait donc presque une décennie que l’on a observé les premiers détournement d’usage du médicament vétérinaire. La carte du narcotrafic s’est construite historiquement sur un axe Chine (fabricant) pour une exportation vers l’Amérique, qu’il s’agisse du Nord (États-Unis et Canada) ou du Sud particulièrement avec le Mexique.
À dose faible, les opioïdes apportent un effet qui va de simplement relaxant à euphorisant. En augmentant la dose, on obtient des effets anesthésiants ; en surdose (overdose), les effet indésirables sont notamment des nausées, une dépression respiratoire, sans oublier des lésions au niveau du cerveau. Une issue fatale peut survenir. Un problème sournois viens s’ajouter : le carfentanil peut être stocké par l’organisme dans le tissu adipeux, étant libéré ensuite progressivement dans la circulation, entraînant la recrudescence d’effets jusqu’à 24h après la disparition des symptômes initiaux.
Décès en hausse, antidote en peine
Comme la plupart des drogues, le danger ne réside pas que dans la molécule seule : on y coupe pas, les produits peuvent être coupés par trafiquants et mélangés avec d’autres drogues. Mélanger des substances pharmacologiquement actives, c’est dangereux car on ne maîtrise pas le résultat. C’est déjà le cas pour les médicaments dont on maîtrise bien les effets individuels, alors on imagine bien que le danger est décuplé pour les drogues.
Le carfentanil tue, c’est bien documenté, hélas. Les cas sont hausse, cela va de pair avec l’augmentation de la consommation. Aux États-Unis, pays le plus touché par le carfentanil, on évalue ainsi que les décès ont été multipliés par plus de 7 entre 2023 et 2024, alors que globalement, le nombre de décès dus à la drogue à baissé de près de 15 % sur la même période.
Il existe bien un antidote, la naloxone, en cas de surdose. Mais les effets indésirables du carfentanil sont tellement puissants et sournois (stockage et libération prolongée vue plus haut), que l’intervention des sauveteurs est souvent trop tardive, ou insuffisante car il faut réitérer l’administration de naloxone.
Illustration d’en-tête : Mart Production
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