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Picasso iconophage, au Musée Picasso

Organiser une exposition Picasso en 2024, c’est un peu comme publier un nouvel Astérix : il semblerait que le seul suspens se limite au nombre de menhirs ou de romains puisqu’on sait qu’il y aura de la potion magique et un banquet final. Pourtant le musée Picasso est parvenu à proposer un opus intéressant parce que constitué à partir des archives personnelles du maître qui viennent, par ailleurs, d’être numérisées et mises à la disposition du grand public. Le titre, vaguement parodique, le dit quelque peu : Picasso comme « mangeur d’images ».

Sa vie durant, Picasso a collectionné à peu près toutes les images qui lui parvenaient. Il regarde autant qu’il crée, et son œil lui sert autant à lire qu’à produire. Cette « collectionnite aigüe » nous est raconté à travers quatre thèmes récurrents : le héros, le minotaure, le voyeur et le mousquetaire. Le parti-pris systématique de Picasso consiste à s’ouvrir le plus possible à toutes les influences, à les amalgamer, et à ensuite ajouter du sens au sens. « Je peins contre les tableaux qui comptent pour moi. Mais aussi avec ce qui leur manque. ».

On le voit ainsi reprendre inlassablement le thème de L’enlèvement des Sabines de Poussin, qu’il mélange d’ailleurs à un autre Enlèvement des Sabines, celui de David. Ou bien, dans son Massacre en Corée de 1951, L’exécution de Maximilien de Manet (1884). Ou bien, les infinies variations qu’il propose des Ménines de Vélasquez, l’une des toiles les plus mystérieuses au monde puisqu’on ne peut savoir exactement ce que l’auteur a voulu présenter, d’une scène faite, à venir, déjà dépassée. Ou bien encore, à la fin de sa vie, dans les autoportraits en torero ceux (autoportraits) de Rembrandt.

Et, ce qui est, à chaque fois, remarquable, c’est que Picasso ne crée aucune hiérarchie entre les époques : il s’intéresse et copie et reprend aussi bien les arts premiers (qu’on ne nomme pas encore ainsi à l’époque), que la peinture classique, la statuaire grecque et romaine, la production africaine ou océanienne, le cubisme ou l’art contemporain.

Il n’y a pas non plus, dans son esprit et son approche, de hiérarchie entre les genres. La troisième salle de l’exposition esquisse ce qu’était l’atelier de Picasso : un vaste fourre-tout d’images qui comprenait aussi bien des affiches, des publicités, des dessins de presse, des bandes dessinées, des illustrations, des panneaux, des tracés, de la calligraphie, bref tout ce qui, en matière d’image, fait signe et sens.

Enfin, il n’y a pas non plus de hiérarchie entre original et reproduction. Bien sûr Picasso se rend dans les musées et il admire, bien sûr il achète à ses amis, ses contemporains ou dans les ventes aux enchères, mais, tout aussi bien, il va travailler à partir d’une simple photographie en noir et blanc, pas forcément de la meilleure qualité. L’image parle, peu importe qu’elle soit originale ou reproduite, qu’elle soit authentique ou recopiée : l’important, c’est ce qu’elle dit, ce qu’on lui
faire dire, ce qu’on peut lui ajouter, de valeur et de sens.

Sont-ce ses origines qui s’expriment ainsi ? Picasso vient d’un pays où le soleil tient lieu d’identité et où l’on est surtout catalan ou basque ou juif ou arabe avant de revendiquer la clôture mentale de la nationalité. Est-ce son parcours personnel d’immigré longtemps malmené, effrayé, rejeté, incompris, soupçonné, avant la reconnaissance ?

En tout cas, à l’évidence, le prix de l’image lui importe peu : la gravure, le dessin, la lithographie, l’esquisse, le croquis, la toile, tout parle et lui parle. Et à partir de ce discours du monde imagé, lui, Picasso produit son propre discours mental et pictural. Il lit le Monde avant de produire son univers. Une part de son génie tient au fait d’avoir dit l’essence même de l’humanité en n’ayant, sa vie durant, parlé que de lui-même.

Picasso iconophage, du 11 juin au 15 septembre 2024 au Musée national Picasso-Paris

© Musée national Picasso-Paris, Voyez-Vous, Chloé Vollmer-Lo
© Musée national Picasso-Paris
La Flûte de Pan, Pablo Picasso, 1923, MP79
© Succession Picasso 2024

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