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Recours aux cabinets de conseil de l’État : triplement entre 2017 et 2021 à 270 M€, une bonne part des dépenses totalement opaque

C’est une fraction minime des dépenses (0,04 %), mais pour la Cour des comptes, elles demandent à être encadrées notamment vu leur dynamique mais aussi du manque dé délimitation des prestations, de l’absence d’une doctrine claire et du manque de traçabilité pour une fraction substantielle

Ce rapport de la Cour des comptes paru le 10 juillet est le premier issu de la consultation citoyenne lancée l’an dernier, elle permet à chacun de proposer des thèmes de contrôle et d’enquêtes pour les juridictions financières. La question est issue des interrogations marquées l’an dernier quant au recours au cabinet Mc Kinsey notamment pour conseiller le gouvernement dans la crise sanitaire.

Les chiffres

38 % des 270,5 M€ dépensées en cabinets de conseil en 2021 sont autre du seul accord-cadre interministériel pour la transformation de l’action publique, donc du conseil pour moderniser et réformer l’organisation publique. Près de 177 M€ de nouveaux contrats ont été engagés en 2022. C’est donc peu au regard des dépenses publiques globales avec une part de 0,04 %, et 0,25 % des dépenses de fonctionnement. Mais c’est la dynamique qu’il faut voir avec une multiplication par trois en l’espace de 5 ans.

Le rapport fournit un graphique des dépenses de conseil du secteur public en 2021 (M€) qui permet de relativiser celles de la France parmi d’autres pays d’Europe et le Royaume-Uni (M€) :

Source : Cour des comptes à partir des estimations de Syntec conseil

L’évolution du recours aux cabinets de conseil est assez impressionnant : il y a 8 ans, on n’y faisait quasiment pas recours :

Graphique et source : Cour des comptes

La Cour des comptes indique que ces prestations sont difficiles à suivre financièrement, en l’absence de données fiables, de définition précise des prestations de conseil, de l’hétérogénéité des pratiques, de nomenclatures variées et de modalités de traitement des missions de conseils également disparates.

Nature et fournisseurs des prestations

Pour un quart des dépenses, il s’agit de prestations de conseil intellectuelles : travaux d’études, de conception, d’accompagnement y compris portant sur la mise en œuvre de projets. La Cour des comptes a contrôlée de façon approfondie 105 marchés et bons de commande de prestations signés entre 2019 et 2022, concernant plus de 50 cabinets, cosignataires ou sous-traitants

Qui sont les fournisseurs principaux de prestations intellectuelles (2021) ?

Tableau et Source : Cour des comptes

Le deuxième « fournisseur » « Union des groupements d’achat » n’en est pas réellement un et le rapport le place lui-même entre guillemets pour l’appeler « fournisseur ». Il existe pourtant bien l’UGAP, Union des groupements d’achat public, qui a été étudié par la Cour des Comptes. Alors pourquoi la ligne reflète une agrégation de dépenses en l’absence de données permettant une analyse fine des cabinets auxquels il a été fait appel, l’incapacité aussi à identifier les ministères et entités bénéficiaires, et la nature des prestations concernées ? Cette opacité représente quand même près de 23 % des dépenses en cabinets de conseil.

En tête de liste et s’arrogeant 28 % des dépenses, Sopra Steria est née en 2015 de la fusion des 2 entreprises stipulées dans son nom (Sopra = SOciété de PRogrammation et d’Analyses, et Steria créées respectivement en 1969 et 1968), c’es est un leader européen des services numériques et de conseil en transformation numérique.

Cap Gemini date exactement de la même époque, 1967, née à Grenoble sous le nom de Sogeti par l’ex directeur régional Rhône-Alpes de la société Bull.

CGI France est une filiale de CGI, qui existe depuis près d’un demi-siècle, c’est un leader mondial du conseil en informatique et des services numériques d’origine canadienne.

Octo Technology est une société française de création de produits et services numériques fondée en 1998, elle a été rachetée en 2016 par Accenture, un grand cabinet de conseil stratégique.

Inetum est le nouveau nom de Gfi Informatique, entreprise française du numérique active depuis 1992.

On constate ainsi que la part du lion de la consommation de conseil est dédiée aux services et à la transformation numérique.

Dans ce cadre, si l’américaine Mc Kinsey a été très médiatisée, mais on voit qu’elle ne représente à peine plus de 6 % des dépenses, en queue de liste et au même niveau d’engagement financier que les 4 derniers. Elle fournit du conseil stratégique avec une organisation par pôles de compétences sectorielles.

Infographie et source : Cour des comptes à partir de données de la direction du budget

Qui sont les clients ?

Source : Rapport de la Cour des comptes à partir de données de la direction du budget et des ministères

Les ministères gros consommateurs de conseil externe sont ceux de la Transition écologique et de l’Intérieur, on trouve bien loin en volume et en troisième position le ministère de l’Économie et des finances, puis celui de la santé. La crise sanitaire a sans doute contribué à cette 5e place juste derrière les Armées..

La Cour des comptes n’exclut pas un usage parfois inapproprié des cabinets de conseil, par exemple pour remplir des fonctions relevant du « cœur de métier ».

Besoin de cadre

Pour la Cour des comptes, il est nécessaire de définir un périmètre pour ces prestations intellectuelles sous-traitées, et d’adapter les référentiels comptables et outils de suivi de ces dépenses particulières. Elle propose aussi de développer un « guide pratique » qui préciserait dans quelles circonstances il est opportun de faire appel à un cabinet de conseil les modalités pour le faire. En bref, il convient de compléter la « doctrine d’emploi du recours aux cabinet privés« . De fait selon la Cour des comptes, le pilotage interministériel du recours aux cabinets de conseil n’est pas bien assuré. Par ailleurs, il existe des contrats-cadres avec des cabinets de conseil pour le recours aux prestations externes, « une solution de facilité, parfois au détriment de la rigueur« .

Elle constate aussi des anomalies au regard du droit des marchés : recours excessifs, imprécisions, dépassements d’enveloppe, pouvant constituer des infractions notamment au code de la commande publique, sanctionnables par les juridictions financières (Cour des comptes ou chambres régionales des comptes) : il existe justement un régime de responsabilité des gestionnaires publics applicable depuis début 2023.

Pour un meilleur contrôle, elle préconise que ces missions de cabinets de conseil soient supervisés par des ressources internes, et non d’autres cabinets privés, ce qui serait également moins coûteux, et harmonisées.

Elle suggère aussi d’imputer l’intégralité des dépenses de prestations externes effectuées par le biais d’accords-cadres sur le budget des ministères concernés.

Il est à noter que le besoin de cadre et de dispositions claires avait déjà été préconisé par la Cour des comptes dans un rapport de 2015 réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat. Force est de constater que ces préconisations sont restées lettre morte, et qu’un énorme chantier est à engager.

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