La fin de Twitter ? Comment le changement de marque par Elon Musk pour X pourrait favoriser le côté obscur de la plateforme
par Leslie Hallam, professeur de Psychologie, Lancaster University, Royaume-Uni
Hélas, ce pauvre Twitter, nous le connaissions bien. Ou, du moins, nous le pensions. Bien qu’il n’ait jamais occupé plus de 10 % de la présence en ligne des réseaux sociaux, le public occidental est très conscient de l’existence de cette plateforme. Cela s’explique notamment par la manière dont les médias de masse se font l’écho et amplifient les controverses et les indignations nées sur Twitter.
Bien avant la fureur suscitée par les changements opérés par l’actuel propriétaire Elon Musk, la plateforme occupait une double position étrange dans notre conscience. Elle était le lieu des lents murmures d’une population endormie qui cancanait autour de l’é du village, mais aussi un forum d’invectives vicieuses et empoisonnées. Le chant des oiseaux nous calme et nous apaise, mais il nous met aussi en garde : « C’est mon arbre. Approchez-vous et j’attaque ! »
La disparition de la marque Twitter était donc peut-être inévitable. Une marque agit comme une cicatrice dans l’esprit d’un consommateur, un rappel des rencontres passées. Permettre à la « face cachée » d’une marque de s’exprimer nous trouble. Elle nous rappelle peut-être nos démons intérieurs – auxquels nous avons donné libre cours sur le site web.
Cette nature de Dr Jekyll et Mr Hyde de Twitter a été à la fois embrassée et affrontée par Elon Musk. Au lieu de limiter la bile, il a sans doute agi de manière à permettre son excrétion.
Twitter est né des idées de plusieurs employés de la société de podcasting Odeo en 2006. Ces employés étaient Jack Dorsey, Noah Glass, Biz Stone et Evan Williams. Après avoir encouragé un groupe influent de personnalités du secteur technologique à devenir des utilisateurs précoces, Twitter a ensuite connu une croissance rapide, si bien que début 2010, les utilisateurs publiaient 50 millions de tweets par jour.
Cette année-là, Twitter a également revu son interface, permettant pour la première fois de visualiser des images et des vidéos sur le site internet. Des célébrités ont commencé à s’inscrire, offrant aux fans de nouveaux moyens d’interagir avec leurs stars préférées.
Mais la prise de conscience par les hommes politiques que Twitter était l’endroit idéal pour diffuser des messages et des commentaires concis a donné une toute nouvelle dimension au site. Le président des États-Unis a fini par le rejoindre : Barack Obama a rejoint la plateforme en 2015, tweetant depuis le compte @POTUS.
Son successeur, Donald Trump, s’est montré tout aussi enthousiaste dans son utilisation de la plateforme, mais il a été beaucoup plus direct dans son approche, l’utilisant même pour annoncer des politiques. Il existe des éléments qui semblent même montrer que Twitter ait joué un rôle clé dans le succès de son élection.
À ce stade, Twitter était bel et bien devenu la « place publique » numérique dont Elon Musk parlerait plus tard en annonçant son projet de rachat de la plateforme en 2022.
En plus de créer une plateforme pour les hommes politiques, Twitter a également joué un rôle dans l’activisme politique à travers le monde, par exemple lors des révolutions du printemps arabe en 2011 (bien que son importance particulière ait été contestée). Le gouvernement égyptien a jugé Twitter suffisamment important pour réagir en le bloquant ainsi que d’autres plateformes.
Twitter est également devenu un amplificateur de la désinformation et de la mésinformation. Avant l’arrivée d’Elon Musk, Twitter avait déployé divers efforts pour lutter contre ce phénomène, ainsi que contre le trolling et la haine. Parmi les nombreux reproches adressés au Twitter de l’ère Musk figure le prétendu renversement de ces tendance, confirmé par la recherche mais nié par Elon Musk.
Ce que X signifie pour la marque
Cela nous amène au changement de marque de Twitter en tant que « X« . Les changements de marque vont et viennent, certains suscitant l’opprobre, d’autres passant allègrement dans la nuit des temps. Souvent, ces aventures sont sous-tendues par le besoin de tirer un trait sur les anciennes associations de marques, libérant ainsi l’entreprise pour qu’elle devienne quelque chose de nouveau, de différent et de plus grand.
Mais elles peuvent aussi mal tourner. En 2001, dans le but de se développer sur les marchés étrangers, Royal Mail a changé de nom pour devenir Consignia. Un an plus tard, après avoir accumulé des pertes financières, il a de nouveau changé pour retrouver son nom.
Dans d’autres cas, le changement de marque permet aux entreprises de s’aligner sur des exigences internationales plus larges. À la fin des années 1990, après 40 ans d’existence, la marque britannique de bonbons Opal Fruits a changé de nom pour devenir Starburst afin de s’aligner sur la façon dont le produit était connu à l’étranger.
Dans le cas de X, ces deux vecteurs semblent être en jeu, alignant la plateforme anciennement connue sous le nom de Twitter sur les ambitions de Musk pour une uber-brand « tout, partout« , tout en créant un espace pour la croissance, à la fois au sens économique et au sens d’une évolution vers un produit différent.
X est une variable indéfinie. Elle a des connotations de trésor enfoui, d’innovation « tech-bro » [néologisme : homme hypermasculin employé dans l’industrie technologique et situé de manière stéréotypée dans la Silicon Valley, NDLR}, d’explicitation racoleuse. Et, plus que tout, il est porteur d’un potentiel. L’abandon de la position de la marque Twitter en tant que divertissement léger, en faveur du côté sombre de la plateforme, sera certainement aidé et encouragé par le logo art déco.
Si l’on croit au génie d’Elon Musk plutôt qu’à la primauté de la fortune, cette direction reflète peut-être avec précision nos trajectoires actuelles vers le caractère impitoyable au mieux, ou vers le commandement et le contrôle autoritaires au pire.
Peut-être que la marque, alignée sur les autres projets d’Elon Musk, agira moins comme une cicatrice que comme une croûte, rappelant constamment au milliardaire que des rassemblements aussi importants sur la place publique ne peuvent être ni contrôlés ni apprivoisés.
Ou peut-être cela mettra-t-il en lumière la faiblesse de cette forme de communication humaine, qui s’apparente parfois à des « réseaux antisociaux« . Cela pourrait nous permettre de revenir à ce que nous sommes vraiment : des individus intégrés dans un petit groupe social de personnes collaboratives et solidaires, cherchant à s’épanouir et à se développer.
Parfois, le feu ne donne pas un phénix mais des cendres. Malgré les affirmations contraires des médias, nous, les consommateurs, avons toujours le choix. Nous ne courons pas simplement, aveuglément, lorsque nous entendons le sifflet, sautant pour la prochaine dose de dopamine. Ainsi, que Twitter soit réellement « mort » ou non, la continuité de son succès continu semble plus difficile à garantir.
Texte paru initialement en anglais dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, cet article traduit n’est pas libre de droits. Nous autorisons la reproduction avec les crédits appropriés : « Citizen4Science/Science infuse » pour la version française avec un lien vers la présente page.
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