Le surréalisme – exposition au Centre Pompidou
Certes, en soi, l’idée de commémorer les cent ans du premier manifeste du surréalisme était excellente. Et l’on est d’emblée accueilli sous les meilleures augures, la reproduction grandeur nature de la fameuse porte
du cabaret « L’enfer » qui se trouvait jadis située sous les fenêtres d’André Breton et qui le fascinait : rien moins qu’un visage de monstre, bouche grande ouverte. Et l’on entre dans la bouche du monstre, autant dire dans la gueule du loup.
Et puis, tout de suite, dès qu’on a passé le rideau rouge, le couloir au long duquel sont disposés quelques-uns des « photomatons fantaisistes » que chérissaient les amis de Breton : Aragon, Magritte, Dali, les frères Prévert, Tanguy et d’autres nous font des grimaces de l’au-delà. Tout cela est joyeux, iconoclaste et prometteur.
Vient ensuite une grande pièce circulaire avec, au plein centre, le manuscrit original du premier manifeste et quelques exemplaires des premiers collages dont la présence ne peut pas ne pas provoquer d’émotion. Tandis que, sur les murs, est projeté un court film dans lequel sont évoqués les origines-mêmes du mouvement : des jeunes gens, de
très jeunes gens, qui viennent d’échapper à la pire des guerres, celle de 14, et en plus en qualité de médecins, c’est-à-dire au plus proche de la souffrance, de la maladie et de la mort. Le vieux monde, désormais, ne leur disait plus rien : alors, ils se mirent à parler, à sa place et contre lui, à crier, à vociférer, à hurler. Et ce fut une révolution. Dans les cœurs et
dans les esprits.
Puis commence l’exposition proprement dite. Elle est en forme de labyrinthe, forme chère au cœur de Marcel Duchamp, pour son aspect inattendu, inachevé, tortueux, et pour les symboles que recèle le labyrinthe : Minotaure ou autres monstres. Tout serait-il parfait ?
Mais le labyrinthe en question est fort timoré et il faudrait faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour s’y perdre. Certes les salles ne sont pas réellement numérotées mais la déambulation est toute faite, académique, simpliste, bref tout sauf surréaliste. Chaque salle est placée sous le signe d’un concept, d’une idée, d’un symbole, rapidement expliqué et autour duquel sont, à chaque fois, rassemblés des œuvres de tous les artistes, toutes les périodes, tous les pays. L’unité peine à se faire sentir. On navigue à vue dans un océan de gens qui se réclamèrent (ou non, ou peu, ou à peine) du mouvement.
Même s’il est très agréable de revoir quelques œuvres majeures de Dali (Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade, une seconde avant l’éveil 1944 ; Visage du grand masturbateur, 1929) ou de René Magritte (Les valeurs personnelles 1952 ; L’Empire des lumières 1954).
Même si l’on découvre ou redécouvre certains artistes moins mondialement célèbres : Dora Maar et ses photos montages (Sans titre [Main-coquillage], 1934), Leonora Carrington (Green tea 1942) Dorothea Tanning (Birthday 1942) ou encore Remedios Varo et ses personnages noyés dans une architecture terrifiante (Papilla estelar/Celestial Pablum 1958), l’ensemble donne le sentiment d’un accrochage de hasard, sans ordre ni raison. Une longue suite de toiles, de sculptures, d’objets qui entretiennent un rapport, parfois des plus ténus, avec le mouvement évoqué.
De toute façon, les jeux sont d’emblée pipés par la chronologie initiale de l’exposition qui institue 1969 comme date de mort du mouvement. Si le mouvement est de fait mort avec son fondateur, il ne peut plus dès lors représenter la révolution évidente qu’il a été dans notre regard artistique : s’il est vivant, si son influence a été décisive, si plus jamais on
ne peut penser l’art comme avant le surréalisme, alors celui-ci ne peut pas se contenter du sage labyrinthe et des alignements corrects du Centre Pompidou.
Surréalisme – exposition au Centre Pompidou, Paris, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025
Image d’en-tête : : « Green Tea » (1942), Leonora Carrington (1917- 2011) Crédit : Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence Réf. image : CARRINGTON_GREENTEA_1942
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