Loi Duplomb et réautorisation de l’acétamipride : un débat binaire qui dénature et instrumentalise la science
Depuis le vote de la loi Duplomb le 8 juillet 2025, la France est plongée dans une controverse croissante autour de la réautorisation de l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde banni depuis 2020 en raison d’effets invoqués sur les abeilles. Soutenue par une coalition allant du centre à l’extrême droite, cette loi facilite également les méga-bassines et les élevages intensifs, mais c’est l’acétamipride qui cristallise les tensions entre science, régulation et militantisme.
Le 8 juillet 2025, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portée par le sénateur Laurent Duplomb (LR), autorisant sous conditions la réintroduction de l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018. Présentée comme une solution aux difficultés des agriculteurs confrontés à la concurrence européenne, cette mesure a déclenché une controverse virulente, opposant les défenseurs de la compétitivité agricole à ceux de la biodiversité et de la santé publique. Ce débat, souvent réduit à une opposition binaire, instrumentalise la science à travers un cherry-picking (sélection de sources qui vont dans le sens de la thèse défendue) des données pour la présenter comme un juge infaillible, déformant son rôle de processus nuancé et évolutif, et l’instrumentalisant pour soutenir des objectifs politiques ou économiques. Cet article propose une analyse des enjeux, s’appuyant sur des données scientifiques et les perspectives des parties prenantes, pour dépasser les simplifications et tenter d’éclairer une question complexe.
Contexte : L’acétamipride et les néonicotinoïdes
Les néonicotinoïdes, famille d’insecticides systémiques à laquelle appartient l’acétamipride, se diffusent dans les plantes pour lutter contre les ravageurs. Interdits en France depuis 2018 pour leurs effets sur les pollinisateurs, ils restent partiellement autorisés en Europe, où l’acétamipride est homologuée jusqu’en 2033. Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) dans son rapport de 2024, l’acétamipride présente une toxicité moindre pour les abeilles comparée à d’autres néonicotinoïdes, avec une dose létale 50 de 7,1 µg par abeille par voie orale, contre 0,0037 µg pour l’imidaclopride, soit une différence d’environ 2 000 fois. Cependant, sa persistance dans les milieux aquatiques, avec une demi-vie de 79,7 jours selon l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), et ses effets sublétaux sur les pollinisateurs, tels que la désorientation, alimentent les inquiétudes.
Arguments des défenseurs de la loi Duplomb
Les partisans de la loi, soutenus par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les producteurs de betteraves et de noisettes, affirment que l’interdiction française de l’acétamipride crée une concurrence déloyale face aux pays européens où elle est autorisée. Ils mettent en avant son efficacité contre des ravageurs comme le puceron vert, qui aurait causé une baisse de 15 % des rendements betteraviers en 2024 selon des données sectorielles non vérifiées, plaidant pour une mesure temporaire face à cette pression. Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) de 2016-2017 conclut que l’acétamipride n’a pas d’effets nocifs avérés pour la santé humaine dans les conditions d’utilisation autorisées, et l’EFSA (2024) confirme l’absence de génotoxicité ou de cancérogénicité. La réintroduction s’accompagne de mesures strictes, telles qu’une clause de revoyure après trois ans et l’interdiction de planter des cultures attractives pour les pollinisateurs sur les sols traités, visant à limiter les impacts environnementaux, notamment via des méthodes comme l’enrobage des graines, présenté comme moins invasif. Un communiqué de l’EFSA publié ce matin-même ajuste les seuils d’exposition en réponse à de nouvelles données toxicologiques, renforçant les appels à une évaluation plus poussée.
Préoccupations des opposants
Les opposants, incluant des ONG comme Générations Futures, des apiculteurs et des élus écologistes, dénoncent les risques environnementaux et sanitaires de l’acétamipride. Une étude publiée dans Scientific Reports (2020) montre qu’elle provoque des effets sublétaux sur les abeilles, comme une désorientation et une altération du microbiome, compromettant la viabilité des colonies. Dans les milieux aquatiques, sa persistance pose un risque pour les organismes comme les daphnies, selon une étude de 2021 dans Chemosphere. Sur le plan sanitaire, deux études dans Environmental Health Perspectives suggèrent un lien entre l’exposition prénatale à l’acétamipride et des troubles neurodéveloppementaux chez les enfants, comme une baisse du QI, bien que la causalité reste non prouvée. L’EFSA (2024) a reconnu des « incertitudes majeures » sur la neurotoxicité développementale, recommandant une réduction de la dose journalière admissible de 0,025 à 0,005 mg/kg. Les opposants critiquent également l’absence d’une étude demandée par l’EFSA depuis 12 ans sur ces effets. Par ailleurs, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’ANSES indiquent que des alternatives non chimiques existent dans 78 % des cas, remettant en question la nécessité de réintroduire l’acétamipride.
Hier soir, RFI a rapporté des manifestations à Paris contre « l’empoisonnement », avec des affrontements mineurs près de l’Assemblée, témoignant de la montée des tensions.
Un débat binaire qui instrumentalise politiquement la science
Le débat autour de la loi Duplomb reflète un dilemme entre productivité agricole et protection de l’environnement, mais il est souvent réduit à une opposition binaire où la science est instrumentalisée à travers un cherry-picking des données pour la présenter comme un juge infaillible. Certains opposants, comme des élus écologistes, accusent les défenseurs de la loi d’« empoisonner » la population, mettant en avant des études d’Environmental Health Perspectives sur la neurotoxicité tout en occultant leurs limites, comme l’absence de causalité établie, tandis que des déclarations minimisant les préoccupations agricoles exacerbent la fracture. À l’inverse, des défenseurs s’appuient sélectivement sur les conclusions de l’ANSES (2016-2017) et de l’EFSA (2024), qui n’ont pas identifié de risque clair pour la santé humaine ou la biodiversité après examen de vingt études, minimisant les faiblesses méthodologiques de certaines recherches militantes et ignorant les incertitudes sur les effets sublétaux des pollinisateurs (Scientific Reports, 2020 ou la persistance aquatique (ECHA, 2024). Certains vont jusqu’à valoriser la dose comme seul critère décisif, négligeant les lacunes des études à long terme, tandis que d’autres rejettent les alternatives bio par des généralisations historiques douteuses. On note aussi que l’utilisation domestique de l’acétamipride (897 kg) dépasse son usage agricole (758 kg selon l’ANSES), et que l’imidaclopride, plus toxique, reste autorisé dans des colliers pour animaux, un aspect souvent négligé dans ce débat biaisé.
Cette sélection partiale des données, des deux côtés, déforme l’appui sur la science, qui reste un processus évolutif marqué par des nuances et des lacunes, comme le souligne l’INRAE (2023) avec les progrès et limites des alternatives non chimiques.
Désinformation et polarisation
Le débat a été marqué par des accusations croisées qui exacerbent la polarisation. Certains opposants lient l’acétamipride à des « milliers de cancers pédiatriques », une affirmation sans fondement selon la professeure Virginie Gandemer, qui explique dans une interview au Point (2025) que les cancers pédiatriques ont des causes complexes et une incidence stable. À l’inverse, des défenseurs, comme la ministre Annie Genevard, ont minimisé les risques en affirmant à tort que l’acétamipride est présente dans tous les insecticides domestiques, alors qu’elle ne concerne que 21 % des biocides insecticides. Ces exagérations et simplifications, alimentées par le cherry-picking des données scientifiques à l’appui, nuisent à un débat rationnel et renforcent la défiance envers les institutions scientifiques et politiques, déjà fragilisées par une communication souvent sensationnaliste.
Perspectives pour une approche équilibrée
La controverse autour de la loi Duplomb illustre les tensions entre compétitivité agricole et impératifs écologiques, mais aussi la nécessité de dépasser les approches binaires et l’instrumentalisation de la science. Renforcer les recherches, notamment en réalisant l’étude demandée par l’EFSA depuis 12 ans sur la neurotoxicité développementale, permettrait de lever les incertitudes sur les effets sanitaires, surtout face à la pression juridique exercée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 janvier 2025 jugeant illégales les dérogations précédentes.
Investir dans les alternatives non chimiques, identifiées par l’ANSES et l’INRAE comme viables dans 78 % des cas, pourrait réduire la dépendance aux pesticides tout en répondant aux besoins des agriculteurs confrontés à des pertes comme celles des betteraves en 2024.
Une harmonisation des politiques européennes pourrait éviter les disparités qui alimentent l’argument recevable de la concurrence déloyale du fait de régulations variables selon le pays.
Enfin, une communication transparente et pédagogique, intégrant les nuances scientifiques, est essentielle pour restaurer la confiance. Pour cela, il convient de prendre du recul avec les militants politisés de réseaux sociaux, au discours invariablement binaire.
Conclusion
La loi Duplomb, avec la réautorisation de l’acétamipride, illustre un compromis fragile entre impératifs économiques et écologiques, mais sa gestion actuelle souffre d’une polarisation qui déforme les données scientifiques. Alors que les défenseurs misent sur des régulations strictes et les opposants sur des risques potentiels non encore prouvés, une approche équilibrée nécessitera des investissements dans la recherche et les alternatives, ainsi qu’une communication qui respecte les nuances de la science. Les tensions croissantes amènent à envisager que l’avenir de cette loi dépendra de la capacité des institutions à répondre aux incertitudes sans céder à la pression des narratifs simplistes et populistes.
La France fait cavalier seul en Europe dans son approche en étant amenée à réautoriser l’acétamipride via la loi Duplomb en raison d’une combinaison de son interdiction initiale stricte, de pressions agricoles pour combler un désavantage concurrentiel, d’une mobilisation écologique intense, et d’une approche nationale plus prudente face aux évaluations européennes. Alors que 26 autres pays s’alignent sur l’EFSA, la France navigue entre compromis locaux et divergences politiques, un choix qui alimente les débats actuels, qui ont l’a vu ont pour moteurs l’économie et la politique et non seulement la science, comme beaucoup, des deux côtés du débat, tentent de le faire croire.
Illustration d’en-tête : Mrt Ziolko
Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0329 X 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.
Non subventionné, notre média dépend entièrement de ses contributeurs pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section site d’actualité et d’analyse reste d’accès gratuit !
avec J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante


