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Atteinte à la liberté de la presse : le Schéma national des violences urbaines sous le feu des critiques

Le Schéma national des violences urbaines (SNVU), publié discrètement le 31 juillet 2025 par le ministère de l’Intérieur, suscite l’indignation des journalistes et de leurs représentants. Une disposition excluant les protections accordées aux journalistes dans les contextes de violences urbaines menace leur sécurité et la liberté d’informer, en contradiction avec les cadres juridiques nationaux et internationaux. La CCIJP et les syndicats exigent une révision immédiate, tandis qu’un recours en justice se prépare.

Un document publié dans l’ombre

Le 31 juillet 2025, le ministère de l’Intérieur a diffusé le « Schéma national des violences urbaines » (SNVU), un document de 52 pages destiné à encadrer l’action des forces de l’ordre face à des troubles allant de simples agitations à des « émeutes insurrectionnelles » d’une « très haute intensité ». Signé par le directeur général de la police nationale, Louis Laugier, et le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, ce texte est passé inaperçu jusqu’à sa révélation par L’Humanité le 4 septembre 2025. La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) affirme l’avoir découvert « fortuitement », soulignant l’absence de consultation des organisations de journalistes, malgré un groupe de contact existant avec le ministère. Cette opacité, en plein été, à la veille des mobilisations sociales des 10 et 18 septembre, alimente les soupçons d’une volonté de contourner le débat public.Le SNVU se distingue du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) de 2020, qui garantit la liberté de circulation et la sécurité des journalistes lors des manifestations. Une phrase du SNVU, enfouie à la page 4, suscite une vive controverse : « la prise en compte du statut des journalistes, telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre, ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines ». Cette disposition remet en cause les protections juridiques et pratiques accordées aux journalistes, ouvrant la voie à une restriction de leur droit fondamental à informer.

Une analyse juridique préoccupante

Sur le plan juridique, la disposition litigieuse du SNVU soulève de graves questions quant à sa conformité avec les cadres légaux nationaux et internationaux. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse consacre le droit d’informer comme un pilier de la démocratie française, un principe renforcé par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, qui garantissent la liberté d’expression et d’information. Le SNMO de 2021, modifié à la suite d’un recours devant le Conseil d’État, précise dans son article 2.2 que « la présence des journalistes lors des manifestations revêt une importance primordiale » et leur accorde le droit de circuler librement au sein des dispositifs de sécurité.Le SNVU, en excluant ces protections dans les contextes de « violences urbaines », crée une zone de flou juridique. La définition de ces violences, décrite comme « tout acte violent commis à force ouverte contre des biens, des personnes et/ou des symboles de l’autorité de l’État, par un groupe généralement jeune, structuré ou non », manque de précision juridique, selon le Syndicat national des journalistes (SNJ). Cette ambiguïté pourrait permettre aux autorités de qualifier arbitrairement une manifestation ou un trouble comme « violence urbaine », écartant ainsi les journalistes sans cadre légal clair. Cette disposition contrevient potentiellement à la jurisprudence du Conseil d’État (décision n°446878 du 10 novembre 2021), qui a invalidé des restrictions similaires dans le SNMO initial pour atteinte disproportionnée à la liberté de la presse.
De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a constamment rappelé l’obligation des États de protéger les journalistes dans l’exercice de leur mission, y compris dans des contextes tendus (arrêt Pentikäinen c. Finlande, 2015). En excluant les protections du SNMO, le SNVU risque de violer ces obligations internationales, exposant la France à des recours devant la CEDH. Le SNJ, soutenu par le cabinet Spinosi, prépare un recours en urgence devant le Conseil d’État pour contester cette disposition, arguant qu’elle constitue une « insulte » et une « provocation » envers la profession.

Menace à la liberté d’informer ?

La disposition du SNVU représente potentiellement une atteinte directe à la liberté d’informer. En privant les journalistes de leur statut protecteur, elle les empêche de documenter les événements, y compris d’éventuelles dérives policières, comme celles observées lors des émeutes de 2023 après la mort de Nahel Merzouk. « Cette mesure vise à invisibiliser les abus potentiels des forces de l’ordre », dénonce Soraya Morvan-Smith, secrétaire générale adjointe du SNJ-CGT. Dans un contexte où la désinformation, amplifiée par des contenus générés par intelligence artificielle prolifère sur les réseaux sociaux, la présence de journalistes professionnels, identifiables par leur carte de presse, est essentielle pour garantir une information fiable.
La CCIJP souligne que la carte de presse, délivrée depuis 90 ans au nom de la République, atteste de la qualité de journaliste professionnel et doit garantir leur libre exercice, quel que soit le contexte. En l’absence de protections claires, les journalistes risquent d’être exclus des zones de troubles, limitant le droit des citoyens à une information indépendante. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une « zone de flou » propice à des « positions arbitraires », notant que les journalistes n’ont pas été consultés lors de l’élaboration du SNVU, contrairement aux engagements pris lors de la rédaction du SNMO.

Risques accrus pour la sécurité des journalistes

Au-delà de l’entrave juridique, le SNVU expose les journalistes à des dangers physiques. Sans statut protecteur, ils pourraient être assimilés à des manifestants ou à des fauteurs de troubles, augmentant les risques d’arrestations arbitraires ou de violences. Des incidents récents, comme l’arrestation d’Enzo Rabouy le 1er juillet 2025 à Paris, illustrent ces craintes. « Les journalistes peuvent être tabassés par la police ou par des émeutiers, sans distinction », alerte Soraya Morvan-Smith. La mobilisation d’unités d’élite comme le RAID, prévue par le SNVU pour des « situations très dégradées », accentue ces risques, ces unités étant formées pour des interventions contre des criminels armés, et non pour gérer des foules incluant des reporters. La police nationale, contactée par l’AFP, a tenté de minimiser la portée du texte, affirmant que « la doctrine sera modifiée pour éclaircir le point concernant les journalistes » et que l’objectif n’est pas de « restreindre leur présence ». Elle argue que les violences urbaines, par leur caractère imprévisible, diffèrent des manifestations encadrées par le SNMO. Cependant, cette explication ne rassure pas, car l’absence de définition juridique claire des « violences urbaines » laisse la porte ouverte à des interprétations abusives.

Une mobilisation collective pour défendre la presse

La réaction des acteurs de la presse a été rapide et unanime. La CCIJP a écrit au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pour exiger la suppression de la disposition litigieuse. Le SNJ prépare un recours en urgence devant le Conseil d’État et un dossier de fond d’ici fin septembre. RSF, la Fédération européenne internationale du journalisme et 29 sociétés de journalistes appellent à un dialogue urgent avec les autorités. Les Écologistes dénoncent une « dérive extrêmement préoccupante » et demandent une audition du ministre devant la commission des lois de l’Assemblée nationale pour garantir la transparence. Cette mobilisation s’inscrit dans un contexte de vigilance accrue, après des précédents comme l’annulation partielle du SNMO de 2020 par le Conseil d’État. Les organisations rappellent que la liberté de la presse, conquise de haute lutte, ne peut être sacrifiée sous prétexte de gestion des crises. À l’approche des mobilisations des 10 et 18 septembre, elles appellent à une mobilisation citoyenne pour défendre le droit à l’information.

Un recul démocratique à contrer ?

Le SNVU, par son flou juridique et son exclusion des protections des journalistes, constitue un recul démocratique majeur. En limitant le regard indépendant de la presse, il risque de priver les citoyens d’une information fiable, renforçant la défiance envers les institutions. La société civile, les syndicats et les éditeurs appellent à une vigilance collective pour garantir que les journalistes puissent exercer leur métier en sécurité, quel que soit le contexte, et que la transparence l’emporte sur l’arbitraire.

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