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Cinéma : le grand écran comme antidote à l’addiction aux autres écrans ? analyse du rapport Geffray

Un rapport récent commandé par le gouvernement préconise le grand écran comme remède à l’addiction aux … écrans chez les jeunes. Mais cette assertion repose-t-elle sur des bases solides ?

Rapport Geffray : un plaidoyer pour l’éducation cinématographique

Le rapport intitulé « Offrir à chaque élève une éducation au cinéma et à l’image de qualité », rédigé par Édouard Geffray, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, a été remis le 8 septembre 2025 aux ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. Commandé dans un contexte de préoccupations croissantes sur l’exposition excessive des jeunes aux écrans, ce document de plus de 70 pages s’appuie sur une série d’entretiens avec des acteurs institutionnels, éducatifs et cinématographiques. Il met en lumière le dispositif « Ma classe au cinéma », initié à la fin des années 1980 en Normandie et étendu à l’échelle nationale, qui permet à près de deux millions d’élèves de bénéficier de projections scolaires à tarif préférentiel, entre 2,50 et 3,80 euros le billet. Geffray y voit un outil essentiel pour contrer les effets néfastes des écrans numériques, en promouvant une éducation artistique et culturelle (EAC) qui favorise la citoyenneté, l’égalité des chances et une compréhension esthétique du monde. Le cinéma y est décrit comme un art universel, capable de relier l’école, les loisirs et la famille, tout en répondant aux défis posés par l’omniprésence des algorithmes et des contenus générés par l’IA.

Ce plaidoyer n’est pas seulement descriptif ; il est ancré dans une vision pédagogique où le cinéma agit comme un vecteur de cohésion sociale. En effet, le rapport insiste sur la nécessité de préserver ce programme face à des vulnérabilités structurelles, telles que les contraintes budgétaires, l’absence d’intégration explicite dans les programmes scolaires et les risques d’autocensure chez les enseignants, craignant des réactions parentales sur des thèmes sensibles comme la nudité ou l’homosexualité. Ces éléments, bien que minoritaires, créent une « atmosphère » qui pourrait freiner l’ambition éducative du dispositif.

Les arguments du rapport : cinéma versus écrans numériques

Au cœur du rapport réside l’idée que le cinéma constitue « l’exact antidote » à l’addiction aux écrans. Geffray argue que les jeunes de 8 à 12 ans passent en moyenne 4 heures 45 minutes par jour devant des écrans, un chiffre qui dépasse les 6 heures pour les 13-18 ans, selon l’étude ESTEBAN de Santé Publique France (2020). Ces temps d’exposition, souvent consacrés à des contenus courts et algorithmiques comme les « shorts » de TikTok, enferment les adolescents dans des « bulles » isolées, favorisant une consommation fragmentée et individualisée. En contraste, le cinéma offre une expérience collective et ininterrompue dans une salle obscure, où les élèves « lèvent les yeux » vers un grand écran, partageant des émotions réelles et structurées. Cette immersion, qualifiée de « dispositif attentionnel unique », permet d’accéder à un imaginaire organisé, fictionnel ou documentaire, qui élargit les horizons physiques, sociaux et intellectuels, contrairement aux petits écrans de 30 à 50 cm² des smartphones.

Le rapport distingue ainsi les écrans : ceux du cinéma, collectifs et éducatifs, favorisent la sociabilité authentique et la nuance, tandis que les écrans numériques personnels, guidés par des suggestions algorithmiques, mènent à une désocialisation et une difficulté à discerner le vrai du faux. Edouard Geffray formule 19 recommandations pour renforcer le programme, dont l’intégration du cinéma dans les curricula scolaires (mesure 1), la préservation des formations en temps scolaire pour les enseignants (mesure 2), la création d’un diplôme interuniversitaire (mesure 3), et des initiatives comme un label « Ma classe au cinéma » pour les établissements (mesure 10) ou un statut de « professeur ami du cinéma » (mesure 11). Ces propositions visent à étendre la fréquentation des œuvres cinématographiques et à contrer les effets de substitution du « pass culture », qui pourrait détourner des fonds de l’EAC.

Ce que disent les études scientifiques : une comparaison nuancée

Si le rapport Geffray avance des arguments convaincants sur le plan éducatif, une revue des études scientifiques révèle un paysage plus nuancé concernant les bénéfices du visionnage en salle de cinéma par rapport aux écrans internet et smartphones. De nombreuses recherches confirment les effets négatifs d’une exposition excessive aux écrans numériques sur les enfants et adolescents. Par exemple, une étude publiée en 2021 par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur les effets des écrans chez les jeunes indique que les comportements excessifs commencent dès 12-13 ans, avec des risques accrus de troubles du sommeil, d’obésité et de problèmes cognitifs comme une réduction de la concentration. De même, une méta-analyse de l’OMS en 2024 met en évidence une augmentation des problèmes mentaux liés à l’usage problématique des médias sociaux, affectant l’attention et la santé émotionnelle.

Cependant, les comparaisons directes entre le cinéma en salle et les vidéos courtes en streaming sont rares. Une étude de 2023 dans JAMA Pediatrics souligne que le type de contenu compte autant que le temps d’écran : les contenus éducatifs structurés sont associés à moins de problèmes mentaux chez les enfants de 3-6 ans, contrairement aux vidéos courtes et divertissantes. Cela soutient indirectement l’idée d’un « imaginaire structuré » via le cinéma, mais sans preuve spécifique sur l’expérience collective en salle. D’autres recherches, comme celle de Nature en 2023, lient le temps d’écran excessif à une impulsivité accrue et une connectivité fronto-striatale affaiblie, affectant le contrôle inhibiteur. Le cinéma, avec sa durée prolongée et son absence d’interruptions, pourrait théoriquement contrer cela en favorisant une attention soutenue, mais des études empiriques manquent pour valider cette hypothèse chez les jeunes. Une revue de 2019 par l’Inserm note que limiter les écrans est bénéfique, mais sans opposer explicitement salle de cinéma et streaming. En somme, si les effets négatifs des écrans numériques sont bien documentés, les vertus uniques du cinéma restent plus intuitives que scientifiquement démontrées.

La lecture, une alternative sous-estimée face au cinéma ?

Si le rapport met l’accent sur le cinéma comme antidote privilégié, une question se pose : pourquoi ne pas placer la lecture en balance, voire la considérer comme la grande gagnante dans la lutte contre l’addiction aux écrans ? Contrairement au cinéma, qui reste une expérience visuelle et passive bien qu’immersive, la lecture engage activement l’imagination, obligeant le cerveau à construire des images mentales sans le soutien d’éléments préfabriqués. Des études montrent que le temps passé à lire des livres augmente la connectivité cérébrale chez les enfants, contrairement à l’exposition aux écrans qui la diminue, favorisant ainsi une meilleure attention et un développement cognitif plus robuste. De plus, la lecture stimule l’imagination de manière plus efficace que le visionnage d’images sur écran, selon des recherches récentes, en encourageant une pensée créative autonome et en réduisant les effets négatifs sur le langage et les comportements observés avec les écrans. Le cerveau des enfants réagit différemment lors de la lecture d’un livre par rapport à l’écoute via un écran, avec des activations plus prononcées dans les zones liées à la compréhension et à l’empathie. Accessible sans infrastructure coûteuse, la lecture pourrait être intégrée plus facilement aux programmes scolaires, offrant une alternative individuelle et portable qui contre l’isolement des bulles algorithmiques. Peut-être que le focus sur le cinéma reflète un biais culturel vers l’image, mais scientifiquement, la lecture émerge comme une championne sous-estimée, boostant le développement cérébral dès la petite enfance et rivalisant avec, voire surpassant, les bénéfices collectifs du septième art.

Perspectives futures : vers une éducation aux images renforcée ?

Prospectivement, la mise en œuvre des recommandations pourrait transformer l’éducation française, en intégrant le cinéma dès le cycle 4 du collège et en soutenant les enseignants via des formations préservées. À l’horizon 2026-2030, avec des labels et statuts dédiés, « Ma classe au cinéma » pourrait toucher plus d’élèves, contrecarrant l’essor des contenus générés par l’intelligence artificielle (IA). Cependant, des défis persistent : budgets contraints, inégalités territoriales et évolution des habitudes numériques. Si des études futures confirment les bénéfices attentionnels du cinéma, cela pourrait inspirer des politiques internationales, renforçant une éducation aux images comme pilier de la résilience cognitive face à la numérisation. En fin de compte, le rapport ouvre un débat fertile, invitant à une prospective où le septième art redevient un outil de libération plutôt qu’un simple divertissement.

Illustration d’en-tête : Nathan Engel

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