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Transition écologique : bilan en demi-teinte de la Cour des comptes

Dans son premier rapport annuel sur la transition écologique publié le 16 septembre 2025, dresse un constat alarmant : malgré des avancées notables dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la France peine à transformer ses ambitions en résultats concrets. Freinée par une gouvernance fragmentée et des financements insuffisants, le rapport appelle à une accélération urgente de la politique environnementale pour éviter des coûts exorbitants à l’horizon 2050.

Contexte et urgence d’une évaluation annuelle

La publication de ce rapport marque une étape clé dans la mise en œuvre de la loi Climat et résilience de 2021, qui impose à la Cour des comptes une analyse annuelle des politiques de transition écologique. Adoptée en réponse à l’urgence climatique, cette loi vise à évaluer les résultats obtenus, les leviers d’action disponibles et les défis persistants, en s’appuyant sur des contrôles approfondis, des enquêtes terrain, des consultations d’experts et des auditions. Le document, fruit d’un travail collégial et indépendant, s’inscrit dans un cadre réglementaire riche, initié dès 2012 avec la définition officielle de la transition écologique comme un modèle économique soutenable intégrant six axes thématiques : la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité, la réduction des pollutions, la gestion des déchets, l’économie circulaire et la préservation des ressources en eau. Sans aborder les engagements internationaux, le rapport met l’accent sur la cohérence nationale, soulignant que l’absence de suivi rigoureux risque de compromettre les objectifs européens et mondiaux. À l’heure où le réchauffement climatique a déjà atteint +1,24 °C sur la dernière décennie en France, cette évaluation arrive à point nommé pour corriger la trajectoire avant qu’il ne soit trop tard.

Les avancées mesurables face à une dégradation accélérée

Le rapport met en lumière des progrès indéniables, mais soulignés par une urgence environnementale croissante. Sur le front des gaz à effet de serre (GES), la France a réduit ses émissions de 30 % entre 1990 et 2023, un effort porté par la décarbonation du secteur électrique et les gains d’efficacité énergétique. Cependant, cette baisse reste insuffisante pour viser les -55 % requis d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2050, comme le prévoit la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). L’empreinte carbone totale, qui intègre les émissions importées, continue même de progresser depuis 1990, sans objectif chiffré pour la contenir. Dans d’autres domaines, les résultats sont plus mitigés : la biodiversité subit une érosion dramatique, avec une réduction de 80 % des populations d’insectes pollinisateurs en Europe sur deux décennies, tandis que 9 % des terres agricoles françaises sont contaminées par le cadmium. Les pollutions atmosphériques persistent, et la gestion des déchets avance lentement, malgré des initiatives locales. Le rapport quantifie les coûts : 300 milliards d’euros en 2024 pour les seuls impacts directs des dérèglements climatiques au niveau mondial, en hausse constante depuis 2015. En cas d’inaction, la Banque de France estime une perte de 11,4 points de PIB pour la France d’ici 2050, contre seulement 7 points si des politiques d’atténuation sont déployées. Ces chiffres soulignent une déconnexion entre les ambitions déclarées et la réalité terrain, où le manque de données fiables et d’indicateurs clairs entrave toute évaluation précise.

Une gouvernance renforcée mais fragilisée par les priorités concurrentes

Au cœur des dysfonctionnements identifiés figure une gouvernance encore trop éclatée. La création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) en 2022 représente un pas en avant, en centralisant la coordination interministérielle et en intégrant les enjeux environnementaux dans les décisions publiques. Pourtant, son influence reste limitée par des priorités géopolitiques – comme les conflits internationaux – et des contraintes budgétaires qui relèguent l’écologie au second plan. Le rapport critique l’absence d’objectifs chiffrés transversaux et d’un pilotage unifié, notant que les six axes thématiques souffrent d’une silosation des compétences entre ministères. Par exemple, la Stratégie nationale pour la biodiversité manque de financement dédié, et les plans de gestion des ressources en eau peinent à intégrer les projections climatiques futures. La Cour des comptes recommande une réforme pour renforcer le rôle du Premier ministre dans l’arbitrage, avec un suivi annuel des indicateurs de performance. Sans cela, les efforts dispersés risquent de diluer l’impact global, comme l’illustre le cas des aides aux ménages pour la rénovation énergétique, souvent mal ciblées en raison d’une analyse insuffisante des capacités financières des bénéficiaires.

Financements : un effort massif requis pour combler l’écart

Le chapitre sur les ressources financières est l’un des plus alarmants du rapport. Pour atteindre les objectifs d’atténuation climatique, la France devra mobiliser 110 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici 2030, un montant qui reste à évaluer précisément pour l’adaptation aux impacts déjà engagés. Actuellement, les dépenses publiques s’élèvent à environ 50 milliards d’euros annuels, mais elles sont fragmentées entre budgets d’État, collectivités et fonds européens, sans évaluation systématique de leur efficacité. Le secteur privé, qui représente 80 % des investissements nécessaires, est sous-exploité : le rapport plaide pour des analyses de rentabilité approfondies et des scénarios prospectifs afin de mieux orienter les subventions. Par exemple, les aides à la mobilité durable pourraient être conditionnées à des modélisations d’émissions évitées, évitant ainsi des gaspillages observés dans les programmes de prime à la conversion automobile. À l’international, le cadre onusien – de Stockholm en 1972 à l’Accord de Paris en 2015 – impose une vigilance accrue, avec le risque d’un dépassement du seuil de +1,5 °C dans trois ans si les rythmes actuels persistent, selon le GIEC. La Cour insiste sur la nécessité d’un budget pluriannuel dédié, intégrant les puits de carbone (forêts, sols) pour passer des émissions brutes (373 MtCO₂e en 2023) aux nettes, et appelle à une transparence accrue sur les coûts de l’inaction pour justifier des hausses fiscales ciblées.

Recommandations pour une accélération décisive

Face à ces constats, le rapport formule 25 recommandations précises, axées sur la cohérence et l’efficacité. Parmi les plus structurantes, la mise en place d’un tableau de bord national unifié pour suivre les indicateurs des six axes thématiques, avec des objectifs chiffrés annuels. La Cour préconise également une évaluation ex ante des impacts environnementaux pour tout projet public, et une réforme des incitations fiscales pour favoriser l’innovation verte, comme dans l’économie circulaire où les déchets pourraient générer 20 % d’emplois supplémentaires d’ici 2030 si les filières sont mieux soutenues. Pour l’adaptation, elle urge une cartographie des vulnérabilités régionales, intégrant les outre-mer souvent oubliés dans les analyses métropolitaines. Ces mesures, si adoptées, pourraient non seulement réduire les risques climatiques mais aussi stimuler une croissance inclusive, en alignant les politiques sur les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.

Perspectives : vers une résilience renforcée ou un surcoût inévitable ?

Prospectivement, le rapport ouvre des horizons encourageants si une mobilisation collective s’opère. À l’horizon 2030, une gouvernance recentralisée et des financements hybrides (public-privé) pourraient permettre d’atteindre 70 % des objectifs SNBC, évitant ainsi les 300 milliards d’euros de coûts annuels projetés en cas de dérapage. Cependant, sans réforme profonde, la France risque de se retrouver en queue de peloton européen, avec des impacts socio-économiques amplifiés : migrations climatiques internes, pertes agricoles et hausses des primes d’assurance. L’avenir dépendra de la capacité à intégrer l’écologie dans toutes les décisions, transformant la contrainte en opportunité pour une économie décarbonée et résiliente. Ce rapport n’est pas qu’un diagnostic ; c’est un appel à l’action pour que la transition ne reste pas un slogan, mais devienne le socle d’une France durable.

Illustration d’en-tête : Galina Nelyubova pour Unsplash

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