‘Le repas des fauves’ de Vahé Katcha, au théâtre Hébertot
La soirée avait pourtant si bien commencé : les Pélissier, Victor et Sophie, recevaient cinq amis pour fêter l’anniversaire de madame. On est, certes, en 1942, dans un pays occupé par le nazisme, mais on est tout de même dans les beaux quartiers et entre gens du beau monde : Victor et Sophie sont libraires, spécialisés dans les éditions rares, Vincent enseigne la Philosophie à Janson de Sailly, Jean-Paul est médecin, Françoise veuve de guerre, Pierre pensionné car mutilé de 14 et André est un homme d’affaires très prospère. Malgré l’occupation, on arrive à « s’en sortir », grâce au marché noir et aux trafics divers, aux petits arrangements et aux grandes compromissions. On peut bien, tout de même, faire la fête…
Et puis voilà qu’en pleine rue, juste devant l’immeuble, un inconscient vient d’abattre à bout portant, d’un coup de revolver, deux officiers SS. Aussitôt, un officier allemand, le Commandant Kaubach, surgit et réclame deux otages parmi les sept présents : à eux de désigner lesquels.
Tel est le point de départ de la très cruelle pièce de Vahé Katcha datant de 1960, sujet d’un film de Christian Jacques en 1964 puis de l’adaptation de Julien Sibre en 2009, et qui est régulièrement reprise.
Comment sept êtres humains parfaitement sociables et civilisés, des plus aisés et habitués, jusque là, à des rapports de sympathie voire d’amitié, se transforment en bêtes féroces. Comment le repas de fête devient un repas de fauves.
Car, sitôt l’annonce de cette échéance, l’obligation de «donner » deux des leurs, les masques tombent, les amitiés se désagrègent, les politesses s’effondrent. La pièce, tout en conservant un aspect de comédie cynique, se place sur un terrain philosophique ( le commandant Kaubach était, dans le civil, enseignant de Philosophie, tout comme Vincent) : jusqu’où l’homme est-il capable d’aller, dans les mensonges, les hypocrisies, les concessions, les agressions, lorsque sa survie est en jeu ? Y a t-il des limites précises au mensonge destiné à éviter la mort ? L’homme se révèle le pire des animaux : prêt à sacrifier l’autre pour ne pas être lui-même sacrifié. Et les règles de tolérance et de politesse n’ont plus cours. Tous les prétextes sont bons pour dénoncer l’autre, la moindre particularité, le plus petit défaut (ou considéré socialement comme tel) : le célibat de l’une, le handicap de l’autre, l’homosexualité, la faiblesse, le statut de femme…
Le texte, la mise en scène efficace de Julien Sibre et les liens vidéo-graphiques de Cyril Drouin nous offrent une vision très sombre de la France de l’occupation, et sans doute très authentique : la débrouillardise individuelle élevée au rang de système de survie, la compromission faite principe moteur, et l’hypocrisie devenue règle absolue. Le tout dans l’indifférence la plus totale au nom du fameux « On ne fait pas de politique ». l’ensemble, en 2025, en notre période trouble où, peut-être l’extrême droite risque de se glisser au pouvoir, laisse songeur et amer. Comme s’exclame le commandant allemand : « La politique, vous allez être contraints d’en faire malgré vous. »
avec Thierry Frémont, Cyril Aubin, Oliver Bouana, Stéphanie Caillol, Sébastien Desjours, Benjamin Egner, Geoffroy Guerrier, Jochen Hägele, Stéphanie Hédin, Jérémy Prevost, Julien Sibre, Barbara Tissier, Alexis Victor et Caroline Victoria
Reprise le 17 septembre 2025
du jeudi au samedi à 21h dimanche 16h
À partir du 1er décembre
du mercredi au samedi à 21h, le samedi et le dimanche à 16h
Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris
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