‘Panique dans le seizième’ au Théo Théâtre
Un couple de sociologues français, Michel Pinçon et son épouse Monique Pinçon-Charlot, se rendent dans le XVIe arrondissement parisien, en bordure du bois de Boulogne. Nous sommes dans un quartier chic, à deux pas de la villa Montmorency où demeurent quelques unes des grandes fortunes françaises ou des personnalités telles l’ancien président Sarkozy et son épouse. C’est ici, le 14 mars 2014 que doit se tenir une réunion publique concernant l’implantation d’un centre d’hébergement pour les immigrés. Sont présents les responsables du projet, des représentants des pouvoirs publics, le député maire, des conseillers municipaux, des élus, des notables et, bien évidemment, les riverains.
L’événement est d’importance : décider de la construction d’un tel centre dans le XVIe arrondissement, c’est poser une verrue sur le visage d’une femme splendide sans même lui demander son avis. Même si, en théorie, l’arrondissement est soumis aux mêmes lois démocratiques que l’ensemble du territoire en ce qui concerne les logements sociaux ou les éléments d’une solidarité nationale, dans la pratique, c’est nettement plus compliqué.
Les deux comédiens présents sur scène, David Ruellan et Béatrice Vincent, campent naturellement le couple de sociologues mais également ils vont nous mimer, signifier, jouer, présenter les réactions des participants à cette réunion. Et elles sont, ces réactions, caricaturales, démesurées, grotesques et affligeantes.
Dès le début, les responsables du projet sont hués, conspués, insultés. Les insultes à caractère sexuel, raciste, misogyne, homophobe, fusent en permanence : le polo Lacoste et le sac Vuitton ne préservent pas de la vulgarité. On crie, on hurle, on peste et l’on provoque un vacarme qui gêne à la compréhension, qui empêche la prise de paroles, qui noie les débats. Et ce, au nom de l’intérêt des habitants du XVIe, de leur sérénité, de leur calme ; au nom du bois de Boulogne menacé de devenir « une jungle » (Mon Dieu, on risquerait de vivre Koh Lanta en bas de chez soi).
Naturellement, personne ne va, officiellement, contester le bien fondé de la solidarité, l’Église elle-même nous invite au partage des richesses, et l’on admet qu’il soit nécessaire de créer des logements sociaux et des centres d’hébergement, mais à condition que ceux-ci soient édifiées ailleurs, loin du XVIe, dans d’autres quartiers, d’autres villes, et pourquoi pas au fin fond de la Lozère.
Les sociologues racontent la réunion, puis ils racontent les étapes de leur enquête (Rendez-vous en terre bien connue!) jusqu’à l’ouverture officielle du centre, en novembre 2016 et la cohorte infinie de tracasseries administratives, de recours en justice, de protestations officielles, de mises en demeure, d’interventions médiatiques que le projet a fait naître. La bourgeoisie n’apprécie guère de côtoyer la misère et le prix du mètre carré est supposée la préserver de la fréquentation des pauvres. C’est « l’en soi » que dénoncent, dans leurs ouvrages, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : condition essentielle au bien-être de classe.
Outre les qualités évidentes de ce spectacle, la belle énergie communicative des comédiens, la mise en scène intelligente et subtile d’Anne Veyry, ce texte nous interpelle obligatoirement. Sans doute parce que ce qui est mis en évidence consiste en une sorte de nouvelle donne politique apparue depuis quelques années. Non seulement la lutte des classes n’est pas un concept obsolète mais elle est devenue une vraie « guerre des classes ». Le grand capital ne se contente plus de contenir les élans des classes laborieuses, il prend désormais l’initiative. Les bourgeois du XVIe refusant d’accueillir des migrants, c’est une situation logique dans une France qui accueille à l’Élysée un représentant des grandes banques d’affaire ou dans laquelle le fils d’un ex président condamné pour malversations se permet d’organiser une manifestation de soutien à son père.
Michel Pinçon : Auteur
Monique Pinçon-Charlot : Auteur
Anne Veyry : Metteur en scène
David Ruellan : Comédien
Béatrice Vincent : Comédien
Durée : 1h
Du 29 octobre au 17 décembre 2025
Théo Théâtre, 20, rue Théodore Deck, 75015 Paris
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