‘Vernon Subutex’ au théâtre de Belleville
Bien sûr, au départ, il y a la trilogie de Virginie Despentes, ce cocktail Molotov de mots, ce bâton de dynamite livresque, ce bloc de C-4 romanesque. Mais justement, dira-t-on !
Vernon Subutex et Alex Bleach sont les meilleurs amis du monde. Le premier dort paisiblement aux côtés du second qui, depuis quelques mois, depuis que Vernon a perdu son emploi, cette boutique de disquaire qui le définissait mieux qu’un long discours, a pitié de lui au point de lui payer son loyer. Mais voilà qu’Alex décède.
Que faire ? Crise d’angoisse existentielle chez Vernon : « Qui va payer mon loyer à présent ? »
Alors, il se tourne vers les ex, les amis, les proches, les amis d’amis… Xavier Fardin, le scénariste, un ancien client de la boutique, qui veut bien lui prêter son appartement un week-end à condition qu’il garde la chienne, Colette. Sylvie, une ex et qui est encore bien accroc, dont il va profiter deux nuits, le temps de lui piquer quelques Pléiades à revendre. Emilie, mais à qui on ne la fait plus, et qui veut bien, à la limite, prêter son ordi portable en échange des cassettes vidéos qu’a laissé Alex avant de mourir. Sophie, la mère de Xavier, qui aime bien Vernon et ses beaux yeux. D’autres encore…
Tous ceux-là n’empêchent pas Vernon de glisser peu à peu sur la pente glissante et spectaculaire du déclassement social : la perte d’emploi, la fin des droits, la détresse financière, les petites combines, la mendicité, puis, tout au bout, inexorablement, la rue. Vernon Subutex c’est le récit inexorable d’une clochardisation.
Mais cette déchéance d’un homme, Virginie Despentes nous la raconte comme étant également celle de la société française contemporaine. L’histoire de ce disquaire devenu clochard, c’est l’histoire d’un monde qui s’est inexorablement enlisé. Les vinyles des années 70 sont devenus C.D. puis sont devenus rien du tout. De la même manière, Vernon croise, sur sa route, Olga SDF depuis plusieurs années parce que son métier, laborantine dans une boutique de développement photo, n’existe plus : elle est, comme lui, représentante d’un univers défunt, l’argentique comme les vinyles. « Il n’y a plus rien » comme chantait jadis Léo Ferré. Les utopies de Révolution sociale sont devenus le désir boulimique de s’enrichir à tout prix. L’espoir est devenu La spéculation, la foi l’intérêt et le rêve l’agiotage.
Ils sont six sur la scène, cinq comédiens et un musicien, à nous donner à voir ce monde en déréliction. Six qui ne disposent pas de grand-chose mais on n’a pas de besoin de décor, pas besoin de costumes pour dire le monde tel qu’il est. Hormis le musicien derrière sa batterie et ses instruments, et Jean-Christophe Laurier qui campe Vernon, les autres changent de rôle en permanence : il leur suffit d’un accessoire, d’un bout de vêtement qu’on enlève ou qu’on enfile, d’un accent que l’on prend, d’une posture, d’un déhanchement, et c’est là, parfois de façon quasi instantanée. Tous jouent, bougent, dansent, chantent, récitent, avec un dynamisme des plus contagieux, la grande partition Despentienne de la société en pleine crise existentielle. Ils n’ont besoin de rien pour que ça tourne, que ça groove, que ça swingue, et que ça vomisse à la fois de dégoûts et d’illusions encore à perdre.

Au départ, il y a la trilogie de Virginie Despentes. C’est tout dire. Et ces six-là réussissent l’invraisemblable pari de nous faire partager la rage et l’essentielle vitalité de la reine du Punk littéraire.
D’après Virginie Despentes
Mise en scène Elya Birman et Clémentine Niewdanski
Avec : Elya Birman, Jean-Christophe Laurier, Nolwenn Le Du, Pauline Méreuze, Clémentine Niewdanki, Vincent Hulot
Durée : 1h30
Théâtre de Belleville, 16 passage Piver – 75011 Paris
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