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Ostéopathie : le succès d’une pseudoscience comme symptôme d’un système de soins déphasé

Julia de Funès, dans une chronique du 1ᵉʳ décembre 2025 publiée par L’Express sous le titre « L’ostéopathe, nouveau dieu de nos existences modernes », a réussi une chose que personne n’avait su faire jusqu’ici : s’extirper de la polarisation « pro_science vs anti-science » qui empoisonne le débat français sur l’ostéopathie depuis vingt ans pour suggérer des causes plus profondes

Pendant deux décennies, le sujet est un ring où s’affrontent deux camps également bruyants et également stériles : d’un côté les militants du rationalisme scientifique, souvent issus des cercles sceptiques, pas toujours formés en santé, qui dénoncent la pseudoscience avec une condescendance parfois méprisante ; de l’autre, les syndicats d’ostéopathes et une bonne partie de la mouvance « bien-être », qui répondent par l’accusation d’obscurantisme médical et brandissent le vécu du patient comme un bouclier absolu. Ce face-à-face, fortement politisé comme malheureusement beaucoup de sujets sur la science et sans cesse remis sur le métier des réseaux sociaux, n’a jamais rien produit d’autre que des invectives.

La médecine française décrie l’ostéopathie …. sauf si pratiquée en son sein

L’un des points de critique soulevés par des institutions scientifiques et médicales en France est précisément l’institutionnalisation de l’ostéopathie, notamment lorsqu’elle est associée à des médecins labellisés ostéopathes avec, pour ce faire, une intégration dans des formations médicales. L’Académie nationale de médecine a ainsi été réduite à dénoncer la confusion entre le “titre” d’ostéopathe et une véritable compétence médicale validée, avertissant que cela peut laisser croire aux patients qu’il s’agit d’une discipline médicale solide et scientifiquement établie … alors que ce n’est pas le cas selon ses propres dires.
Ainsi, cette même Académie a rappelé que l’ostéopathie n’est pas une discipline médicale à proprement parler, mais une méthode empirique sans bases scientifiques éprouvées, et a critiqué la création de formations parallèles dispensées par des médecins qui risquent d’« abuser » du cadre de l’enseignement médical. On comprend vite que cette situation contribue à brouiller les repères pour le grand public : quand des médecins formés à l’ostéopathie affichent ou pratiquent cette discipline, beaucoup peuvent en déduire que l’ostéopathie a un fondement scientifique incontestable.

Le nouveau paradigme posé par Julia de Funès

Julia de Funès n’est pas du tout sur ce terrain ni sur le ring de pure polarisation stérile précédemment cité.
Dans sa chronique, Julia de Funès explique que l’attrait pour l’ostéopathie reflète moins une demande de soins scientifiquement validés que l’esprit de notre époque : on valorise une approche globale du corps, on préfère le ressenti aux preuves, et l’ostéopathe apparaît comme une figure plus accessible et horizontale que le médecin traditionnel. Elle voit dans cette vogue un symptôme culturel où le sensible prime sur le rationnel et la hiérarchie du savoir est abaissée.

Elle ne traite personne de charlatan, de crétin ou de crédule. Elle nous amène, pour ce qui nous concerne et sans l’exprimer à aucun moment pour autant, à nous poser une question autrement plus dérangeante : et si le succès massif de l’ostéopathie n’était pas d’abord la preuve d’une crédulité collective, mais celle d’un échec partiel de la médecine à répondre à des attentes humaines élémentaires ? En déplaçant ainsi le curseur, elle accomplit une rupture de paradigme. Elle oblige les « sachants » (médecins, professeurs, tutelles …) à cesser de regarder les patients qui « dérapent » vers les thérapies alternatives uniquement comme des ignorants à rééduquer, pour se demander enfin ce que le système leur refuse et qu’ils vont chercher ailleurs.

Du point de vue de la science

Le constat scientifique, lui, reste implacable. Les prétendus liens entre manipulation vertébrale et pathologies viscérales, les chaînes lésionnelles à distance, l’ostéopathie crânio-sacrée : aucune de ces hypothèses n’a résisté aux études scientifiques solides et revues systématiques rigoureuses en la matière. L’effet réel, quand il existe, se limite à un soulagement symptomatique de certaines douleurs musculo-squelettiques, le plus souvent indistinguables d’un placebo bien administré ou d’un programme d’exercices bien conduit. Pourtant, on l’a vu, des médecins sont formés à l’ostéopathie et leur « titre » est protégé.
Et puis surtout, 53 % des Français ont consulté un ostéopathe au cours des cinq dernières années et le volume annuel de consultations dépasse les 25 millions. Le paradoxe est total.

La quête du patient

C’est précisément parce qu’il est total que l’explication purement cognitive de type « les gens sont irrationnels » est insuffisante. Ce que les patients vont chercher chez l’ostéopathe, c’est d’abord une consultation qui dure, des mains qui se posent sur le corps, un regard qui embrasse la posture et l’histoire globale plutôt que l’organe ou le symptôme isolé. Ils y trouvent le sentiment d’être entendus dans la complexité de leur vécu, là où le médecin de ville, écrasé par la charge administrative et la pénurie de temps, ne peut plus toujours l’offrir. Le succès de l’ostéopathie n’est donc pas un symptôme d’irrationalité collective ; il est un symptôme de rationalité douloureuse : les patients comparent ce qu’on leur propose et choisissent ce qui soulage vraiment leur souffrance, y compris la souffrance d’être réduit à un dossier.

Et ailleurs ?

La France, avec ses 30 000 ostéopathes pour 68,5 millions d’habitants, détient un ratio unique en Europe, très loin devant le Royaume-Uni ou l’Allemagne, où cette activité reste encadrée et numériquement contenue. Cette exception n’est pas seulement l’héritage d’une réglementation historiquement permissive ; elle est la traduction chiffrée d’un besoin que le système de santé n’a pas su capter.

Recadrer le débat

Julia de Funès nous a donc donné le seul cadre intellectuel fécond : cesser de se battre sur le terrain de la scientificité, où l’ostéopathie perdra toujours, pour se battre sur le terrain de l’écoute et de l’organisation des soins, où la médecine conventionnelle, chargée de ses contradictions, a tout à perdre si elle reste immobile.

La réponse ne passe pas par l’interdiction ou la moquerie. Elle passe par le retour, au cœur de la médecine scientifique, de ce qu’elle a progressivement abandonné : des consultations qui prennent le temps nécessaire, des parcours réellement coordonnés, une formation sérieuse des médecins à l’approche biopsychosociale et à la communication thérapeutique, le développement d’une médecine manuelle et d’une kinésithérapie validées scientifiquement pour répondre au besoin légitime de contact physique.

Tant que ces transformations structurelles ne seront pas engagées, dénoncer la pseudoscience risque de rester un exercice de bonne conscience qui confortera les patients dans leur choix plutôt que de les ramener vers un système qui aura enfin compris la leçon.

L’ostéopathe est devenu, comme l’écrit Julia de Funès, « le nouveau dieu de nos existences modernes » non parce que nous sommes devenus fous, mais parce que la médecine, dans sa forme actuelle, a parfois oublié d’être humaine. C’est la leçon la plus dure, et la plus utile, qu’un philosophe pouvait adresser aux soignants. Il serait tragique qu’elle reste lettre morte.

Illustration d’en-tête : Photo Julia de Funès en 2018 – Source Wikipédia

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