« Au fil de l’or, l’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant » au Musée du quai Branly
Une Chronique Culture d’Alain Girodet
L’or n’est pas de ce monde. On raconte que, voici fort longtemps, 4,6 milliards d’années environ, deux étoiles à neutrons entrèrent en collision, quelque part dans l’immense cosmos, et que, de ce choc monstrueux, jaillit une pluie de matière qui se répandit sur le sol terrestre, au fond des océans, dans le lit des fleuves et dans le silence des grottes. Ainsi naquit l’or dont la couleur évoque celle du soleil peut-être parce qu’il en fut longtemps le proche voisin.

Est-ce cette origine céleste, autant que sa rareté, qui, depuis des temps immémoriaux, poussent les humains à chercher de l’or, l’entasser, le cacher, s’en vanter, s’en revêtir et s’affronter pour sa possession ? La ruée vers l’or est de toujours et de partout.
Le fil (d’or) de la dernière exposition du musée Branly est une série de créations de mode dues à la styliste Guo Pei, célèbre depuis mai 2015 et sa fameuse « robe omelette » portée par Rihanna au Met Ball. L’artiste chinoise a décliné, à travers toute l’exposition, une dizaine de robes de haute couture comme autant de variations sur le thème de l’or.
Chacune des salles est consacrée à une région de l’univers où œuvrèrent de concert orfèvres et tisserands : Inde, Pakistan, Bengladesh, Perse, Chine, Japon, Oman, Iraq, Yémen, Arabie Saoudite, Egypte, Syrie, … C’est l’Orient qui est à l’honneur car c’est en Orient que furent presque exclusivement développés les procédés les plus ingénieux et les plus divers de création à partir du métal aurifère : c’est normal, le nom même l’indique, l’Or, c’est l’Orient.
Dès le 5e millénaire avant notre ère, les hommes sont attirés par l’aspect singulier de l’or et par sa malléabilité. Il le transforme en martelant les pépites d’or en bractées que l’on peut coudre sur les vêtements. A partir du troisième millénaire apparaissent les premiers galons de fils d’or aplatis et tressés. Mais il faut attendre le premier siècle avant notre ère pour que l’affinage de l’or permette enfin la fabrication de fils suffisamment fins et souples pour être entrecroisées avec les étoffes par broderie ou tissage.

Dans les 230 tombes de la région d’Autun, qui recèlent de nombreux bijoux en or, épingles en jais et ambre, caractéristiques de l’aristocratie gallo-romaine , on découvrit aussi une étoffe formée de larges bandes en tapisserie tissées de fils d’or et agrémentées de motifs foliacés.
Et les procédés s’avèrent nombreux et très divers : perses puis musulmans réalisent de véritables tissus d’art où les fibres de soie ou de lin s’entrelacent aux lames et filés d’or. Les Marchands vénitiens et génois proposent leurs étoffes panni tartarici, soieries qui associent une trame de fils en cuir doré. Au Japon, les kimonos des nobles mêlent soie, broderie, fils de soie, filés de papier d’argent, patchs de tissu et coton (Kimono uchikake, Gifu, Japon 18e siècle). En Turquie on utilise velours, toile, filés métalliques dorés et argentés, cordon torsadé et sequins (Veste d’apparat cepken Kûtahya fin 19e ). D’autres ont recours au procédé de la baudruche (les intestins animaux) ou du diwan (un support de cuir sur lequel on pose des lames d’or attachées au point couchant). En Perse, on développe l’art du zari ( le persan zar signifie or ) qui consiste à créer un fil de soie appelé « âme » autour duquel est torsadé une lame d’argent recouverte d’or, ensuite employé dans le tissage.
Et il est intéressant de constater que les techniques évoluent et voyagent de pays en pays, ainsi d’ailleurs que les motifs : ceux qui figuraient sur l’étoffe découverte à Autun rappellent les pièces coptes et protobyzantines. Un même motif apparaît sur les tissus crées dans les pays arabes et en Inde. Le thème du gilet court apparu en Algérie aboutira plus tard à l’habit de lumière des toreros andalous.
Mais l’exposition nous rappelle également que, comme on le répète souvent, tout ce qui brille n’est pas or. Et, quasiment de tous temps, les hommes ont développé des procédés pour imiter l’or, parce que celui-ci est rare, et donc cher. Dès l’Antiquité et le Moyen-âge, on aura recours à la Grande nacre ou Pinna nobilis, présente dans tout le bassin méditerranéen, et dont le pied (le bissus) lavé et séché permet de produire une soie marine d’aspect plaisant. En Chine, on utilise la soie d’araignée, celle produite par l’épeire diadème. C’est une belle soie jaunâtre qui permet de fabriquer l’étoffe « tons hai touant se » (satin de la mer orientale). Même chose à Madagascar, avec la Nephila madagascarieris, qui donne un fil d’une splendide couleur jaune dorée. C’est l’or des araignées. Plus près de nous, en 1946, aux Etats-Unis, l’invention du lurex (to lure = tisser, et rex = le roi) transforme le concept même des fils métalliques : il s’agit d’un fil polyester recouvert d’une couche métallique qui lui confère brillance et souplesse. Bien évidemment, le coût est nettement moins élevé.

Et pour finir en beauté, l’exposition fait la part belle à la broderie de la maison Lesage qui a sublimé, avec des milliers de paillettes, sequins, perles ou fils d’or, les créations des grands noms de la haute couture française comme Chanel, Givenchy, Jean-Louis Scherrer, Jean-Paul Gaultier ou encore Yves Saint-Laurent.
Une exposition qui fait énormément voyager dans le temps et dans l’espace : de l’or à prix d’ami.

Exposition du 11 février au 6 juillet 2025 – dans la Galerie Jardin – fermeture le lundi
Musée du Quai Branly Jacques Chirac
Photos : Alain Girodet, tous droits réservés
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