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Augmentation des cancers chez les jeunes : alerte environnementale ou alarmisme ?

La déclaration de la directrice générale de l’Institut Pasteur dans le journal de 20 h de France 2 le 10 octobre 2025 a fait sensation. Elle y évoque une hausse de 80 % des cancers chez les jeunes en trois décennies, attribués à l’environnement. Pour un regard critique, il peut être utile de connaître le contexte scientifique international plus nuancé

Contexte de la déclaration : une campagne de sensibilisation sous tension

Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur depuis janvier 2024, a déclaré sur France 2 : « Ce n’est pas nos gènes qui ont changé, c’est l’environnement ». Cette phrase choc, extraite d’un segment promotionnel pour le Pasteurdon 2025 (campagne annuelle de financement de la recherche), vise à mobiliser le public face à des menaces sanitaires émergentes. Mme Belkaid est une immunologiste de renom spécialisée dans le microbiote et les interactions immunitaires. Elle s’appuie sur ses travaux pour lier cette hausse des cancer à des facteurs comme la nutrition altérée et l’obésité. Cette présentation péremptoire peut paraître alarmiste. Elle est en tout cas parfaitement adaptée à la communication du Pasteurdon, qui courait du 9 au 13 octobre 2025, mettant en avant trois défis majeurs, dont le « boom des cancers chez les jeunes ». Le science n’étant pas très compatible avec les affirmations catégoriques, on peut légitimement se demander si on ne risque pas de simplifier un débat complexe ici. La science, par nature itérative et ouverte à l’évolution des connaissances, ne se prête pas à des « campagnes » figées sur une explication unique à l’instant T. La certitude là où persistent des incertitudes est au risque d’éroder la confiance en la science, très mise à mal depuis la crise sanitaire du Covid-19.

Une hausse réelle, mais contextualisée par la démographie et les mises à jour récentes

Le chiffre emblématique de 80 % tire sa source d’une étude publiée en 2023 dans la revue scientifique BMJ Oncology, qui examine 29 types de cancers précoces (avant l’âge de 50 ans) dans 204 pays de 1990 à 2019. Globalement, l’incidence a grimpé de 79,1 %, avec 3,26 millions de cas nouveaux en 2019 contre 1,82 million en 1990, et une mortalité en hausse de 27,7 %. En France, des données de l’Institut national du cancer (Inca) et de Santé publique France indiquent une augmentation annuelle moyenne de 1,62 % chez les 15-39 ans de 2000 à 2014, suivie d’une stabilisation et d’une légère baisse jusqu’en 2020. Cependant, ce pourcentage brut masque une réalité plus nuancée : ajusté à la croissance démographique mondiale, le taux d’incidence réel n’augmente que d’environ 30 %, comme le précise Claire Morgand de l’Inca. Aux États-Unis, l’American Cancer Society projette pour 2025 que 4,2 % des nouveaux cas touchent les 15-39 ans, avec une survie élevée grâce aux progrès thérapeutiques. Cette contextualisation internationale révèle que la hausse, bien que confirmée, n’est pas une « épidémie » explosive chez les jeunes exclusivement, mais une tendance linéaire affectant toutes les tranches d’âge. Au 14 novembre 2025, l’étude EPI-AJA 2025 couvrant 2000-2020 sur 19 départements français représentant 24 % de la population) confirme une hausse modérée : +1,62 % par an jusqu’en 2014, puis -0,79 % par an (2015-2020) pour l’ensemble des cancers chez les 15-39 ans, avec 54 735 cas recensés. Ces données soulignent que les cancers chez les adolescentes et jeunes adultes restent rares (incidence 6 à 7 fois inférieure aux plus de 60 ans), avec des hausses spécifiques pour le sein (+2,1 %/an), le colorectal (+1,5 %/an) et la thyroïde, mais des baisses pour l’ORL et les lymphomes de Hodgkin. L’incidence ajustée globale est d’environ +18 %, tempérant l’idée d’un « boom » et soulignant l’impact des registres améliorés.

Facteurs environnementaux classiques et faux dilemme génétique-environnement

La DG de l’Institut Pasteur insiste sur l’environnement comme coupable, arguant que les gènes humains n’ont pas évolué en trois décennies. Cette affirmation est étayée par la génomique, le taux de mutation populationnel étant trop lent pour expliquer une hausse rapide. Les variations génétiques sont donc négligeables sur une génération. Elle pointe des facteurs comme l’obésité, les aliments ultra-transformés et la sédentarité, qui génèrent une inflammation chronique favorisant les tumeurs, particulièrement les cancers colorectaux précoces. Des chercheurs au Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSK) corroborent cela, notant une hausse de 82 % des cancers chez les jeunes femmes depuis 2002, en lien avec ces facteurs. Le microbiote intestinal, au cœur des travaux de Mme Belkaid, est aussi impliqué : des perturbations précoces altèrent sa diversité, augmentant les risques via des voies épigénétiques. Pourtant, ces causes n’ont rien de novateur. L’obésité est un facteur de risque connu depuis les années 1970, les aliments transformés depuis les alertes de l’OMS dans les années 1990, et la sédentarité depuis des décennies d’études épidémiologiques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 40 % des cancers sont évitables par la prévention, un consensus établi bien avant 2025. De plus, classer la sédentarité ou l’obésité comme purement « environnementaux » est réducteur : ces éléments relèvent davantage du mode de vie individuel et sociétal, influencés par des choix personnels, des normes culturelles ou des politiques publiques, plutôt que par des expositions passives comme la pollution atmosphérique ou les contaminants chimiques. En les présentant comme des explications centrales sans souligner leur ancienneté ni leur nature hybride (environnemental et comportemental), le narratif alarmiste est renforcé. Du point de vue rhétorique et critique, cette opposition binaire gènes versus environnement constitue un faux dilemme : en réalité, les deux interagissent étroitement. Des mécanismes épigénétiques, modifiant l’expression génique sans altérer la séquence ADN, montrent que l’environnement peut « activer » des prédispositions génétiques, comme observé dans des études sur les interactions microbiote-génome. Présenter cela comme un choix exclusif simplifie la multifactorialité du cancer, ignorant que des variants génétiques (ex. : BRCA pour le sein) amplifient les risques environnementaux.

International : un consensus sur la multifactorialité, pas sur l’urgence absolue

Dans un cadre mondial, la hausse des cancers précoces est reconnue, mais le consensus scientifique évite les affirmations péremptoires. Le World Cancer Research Fund et le National Cancer Institute américain convergent sur des causes multifactorielles : environnement, mode de vie, diagnostics avancés et expositions prénatales (perturbateurs endocriniens). Des études comme celle du BMJ projettent une augmentation de 30 % d’ici 2030, mais ajustée, elle reste modérée dans les pays développés. En France, les cancers chez les jeunes demeurent rares, soit 8 000 cas sur 433 000 en 2023, avec un âge médian autour de 68-70 ans. Des experts comme Steven Le Gouill de l’Institut Curie attribuent une part de la hausse à un meilleur enregistrement via les registres nationaux, renforcés en juin 2025. Internationalement, la mortalité baisse dans les pays riches grâce aux traitements, contrastant avec une hausse dans les pays en développement. Ce paysage nuancé contredit quelque peu l’approche catégorique de Mme Belkaid, qui, en excluant les gènes sans nuance, ignore des possibilités émergentes comme des interactions épigénétiques influencées par des événements « récents ». L’épigénétique, pour le coup, est une science en plein boom. Des découvertes futures sur l’épigénome pourraient modifier vision et compréhension de phénomènes liés au cancer.

L’alarmisme au prix d’une science instrumentalisée qui touche sa crédibilité et la confiance du public

L’instrumentalisation perçue de cette déclaration pour le Pasteurdon met en lumière un dilemme éthique : la science doit-elle adopter un ton péremptoire pour le financement légitime d ses avancées ? La direction de l’Institut Pasteur, en promouvant une explication essentiellement environnementale comme vérité établie, peut faire penser à une stratégie marketing. Cela suscite des dons, mais au prix d’une simplification : la science ne fonctionne pas par « campagnes » fixes, car les connaissances évoluent, comme vu avec les revirements sur les liens tabac-cancer. Plus on est péremptoire et alarmiste, plus on risque de mettre en cause la précieuse confiance en la science. Des sondages comme ceux d’IPSOS ou du Pew Research Center montrent que des déclarations exagérées, surtout quand liées à des appels financiers, alimentent le scepticisme, particulièrement dans un contexte post-pandémie où la désinformation prospère sur les réseaux sociaux. Une emphase alarmiste, couplée à des causes non novatrices et à un faux dilemme gènes-environnement, invite à la vigilance.

Perspectives : pour une communication équilibrée en matière de science

Le succès du Pasteurdon (+40 % de dons estimés) confirme l’efficacité de l’alarme de la DG de l’Institut Pasteur à ce titre. Côté communication en matière de science, il paraît important d’évoquer des facteurs de risques dont on reconnaît l’ancienneté la nature hybride. En France, le registre national renforcera les données pour des politiques ciblées, tandis que globalement, la collaboration interdisciplinaire (microbiote, génomique, environnement) affinera les modèles, en évitant les faux dilemmes. De manière ultime, cette affaire rappelle que la science prospère sur le doute constructif, non sur des certitudes instrumentalisées, pour un consensus international qui évolue avec les preuves.

Illustration d’en-tête : affiche Pasteurdon 2025

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