Autisme, TDAH et troubles du langage chez l’enfant : les prédire des années avant l’apparition des symptômes grâce à l’étude des déséquilibres microbes de l’intestin ?
Les microbes peuvent influencer les connexions entre l’estomac et le cerveau ; l’étude du microbiome est une piste explorée pour déterminer les risques de troubles du neurodéveloppement bien avant qu’ils ne se manifestent
par Angelica P. Ahrens, Assistant Research Scientist in Data Science and Microbiology, University of Florida, États-Unis, Eric W. Triplett, Professor and Chair of Microbiology and Cell Science, University of Florida, États-Unis, Johnny Ludvigsson, Professor Emeritus of Biomedical and Clinical Sciences, Linköping University, Suède
Le dépistage précoce des troubles neurodéveloppementaux tels que l’autisme est important pour s’assurer que les enfants bénéficient du soutien dont ils ont besoin pour acquérir les compétences essentielles à la vie quotidienne. L’American Academy of Pediatrics recommande que tous les enfants fassent l’objet d’un dépistage des retards de développement, avec un dépistage supplémentaire pour ceux qui sont prématurés ou qui ont un faible poids à la naissance.
Toutefois, le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) appelle intensifier la recherche visant à évaluer l’efficacité des pratiques actuelles de dépistage de l’autisme. Principalement fondé sur des listes de contrôle des étapes et des symptômes, le diagnostic de l’autisme repose également sur l’observation de comportements qui se manifestent souvent après que des étapes cruciales du développement ont été franchies.
Les chercheurs et les cliniciens travaillent à la mise au point d’outils simples et fiables qui permettraient d’identifier les signes précoces ou les facteurs de risque d’une maladie avant que les symptômes ne soient évidents. Bien qu’un dépistage précoce puisse entraîner un risque de surdiagnostic, la compréhension des besoins de développement d’un enfant peut aider à orienter plus précocement les familles vers des ressources qui répondent à ces besoins.
Nous sommes des chercheurs étudiant le rôle du microbiome [écosystème dans lequel cohabitent des microorganismes tels que bactéries, virus, parasites et champignons, vivant en symbiose avec leur hôte dans leur environnement ; le microbiote intestinal est un élément du microbiome, NDLR] dans tout un éventail de situations telles que les maladies mentales, l’auto-immunité, l’obésité, la naissance prématurée parmi d’autres. Dans notre recherche récemment publiée chez les enfants suédois, nous avons découvert que les microbes et les métabolites qu’ils produisent dans l’intestin des nourrissons, que l’on trouve dans les selles et dans le sang du cordon ombilical, pourraient aider à dépister le risque de troubles du neurodéveloppement neurologique comme l’autisme. Ces différences peuvent être détectées dès la naissance ou au cours de la première année de vie. Ces marqueurs ont été mis en évidence plus de dix ans en moyenne avant que les enfants ne soient diagnostiqués.
Les microbes en tant que biomarqueurs
Les biomarqueurs sont des indicateurs biologiques, tels que des gènes, des protéines ou des métabolites dans le sang, les selles ou d’autres types d’échantillons. Il signalent la présence d’une affection à un moment donné. Il n’existe pas de biomarqueurs connus pour l’autisme. Les efforts pour trouver des biomarqueurs ont été fortement entravés par le fait que qu’il existe de nombreuses voies potentielles conduisant à l’autisme, que les chercheurs ont tendance à ignorer la façon dont ces causes peuvent fonctionner ensemble comme un tout.
Les microbes intestinaux constituent un biomarqueur potentiel des troubles du neurodéveloppement neurologique tels que l’autisme. Le lien entre l’intestin et le cerveau, ou axe intestin-cerveau, est un domaine d’intérêt considérable pour les scientifiques. Les microbes intestinaux jouent un rôle important pour la santé, notamment dans l’immunité, l’équilibre des neurotransmetteurs, la santé digestive et bien plus encore.
De nombreux travaux ont été réalisés sur la cartographie d’un microbiome « typique » en fonction de l’âge et du système organique. Les chercheurs ont montré que le microbiome est suffisamment personnalisé pour permettre de distinguer deux personnes ou deux foyers mieux encore que le permet la génétique, les différences de colonisation commençant très tôt dans la vie.
Le microbiome subit d’immenses changements au cours de l’enfance. Il est façonné par le système immunitaire et influencé par les changements et les événements de la vie. Il est également influencé par des facteurs tels que la génétique, l’environnement, le mode de vie, les infections et les médicaments.
Les symptômes gastro-intestinaux tels que la diarrhée, la douleur et la constipation sont fréquents chez les enfants atteints d’autisme et de TDAH, 30 à 70 % des patients autistes recevant également le diagnostic de troubles gastro-intestinaux fonctionnels. Les problèmes gastro-intestinaux non traités peuvent également entraîner des troubles du sommeil et du comportement chez ces enfants. Une petite étude pilote a montré que les enfants autistes présentaient une amélioration des symptômes gastro-intestinaux et liés à l’autisme après transfert de microbes sains dans leur intestin, certains bénéfices pouvant durer jusqu’à deux ans.
La plupart des études sur le microbiome et les troubles neurodéveloppementaux se limitent toutefois aux personnes déjà diagnostiquées comme atteints de TDAH, d’autisme ou d’autres troubles, et les résultats de ces études sont souvent mitigés. Ces limites soulèvent une question importante : Le microbiome joue-t-il un rôle direct dans le développement de l’autisme et d’autres troubles neurodéveloppementaux, ou les changements de composition du microbiome sont-ils une conséquence des troubles eux-mêmes ?
Certaines études ont proposé que le microbiome n’ait que peu ou pas d’association avec l’autisme futur. Toutefois, ces études présentent une limite notable : Elles n’examinent pas les déséquilibres microbiens avant le diagnostic ou l’apparition des symptômes. Au contraire, ces études se concentrent sur les enfants déjà diagnostiqués comme autistes, en les comparant à leurs frères et sœurs et à des enfants neurotypiques [neurotypique caractérise les personnes présentant un fonctionnement neuromogique considéré comme dans la norme, et ne présentant pas d’affection neurologique comme l’autisme, le TDAH ou le trouble dys entre autres, NDLR] sans lien de parenté. Dans la plupart des cas, les données alimentaires et les échantillons sont recueillies plusieurs années après le diagnostic, ce qui signifie que l’étude ne peut pas vérifier si les déséquilibres microbiens sont à l’origine de l’autisme.
Les microbes, ça compte
Nous nous sommes demandé si l’étude des bactéries présentes chez les jeunes enfants avant qu’ils ne soient diagnostiqués ou qu’ils ne présentent des symptômes d’autisme ou d’autres maladies pourrait nous donner des indications sur leur développement neurologique. Nous avons donc examiné le sang du cordon ombilical et les selles prélevés autour de l’âge d’un an chez des participants à une étude en cours intitulée All Babies in Southeast Sweden [« Tous les bébé du sud est de la Suède, NDLR] qui suit la santé d’environ 17 000 enfants nés entre 1997 et 1999 et de leurs parents. Nous avons suivi ces enfants depuis leur naissance, et près de 1 200 d’entre eux ont été diagnostiqués avec un trouble du développement neurologique à l’âge de 23 ans.
Nous avons constaté des différences significatives dans la composition bactérienne et les niveaux de métabolites qui se sont développés avant l’apparition des symptômes des troubles neurodéveloppementaux, tels que les troubles gastro-intestinaux, l’humeur grincheuse et les problèmes de sommeil, ainsi que des diagnostics médicaux formels. Ces différences concernent de nombreux troubles, notamment l’autisme, le TDAH et les troubles de la parole.
Ensuite, nous avons établi un lien entre les bactéries et les neurotransmetteurs, signaux chimiques qui favorisent la communication des cellules cérébrales, et les vitamines telles que la riboflavine et la vitamine B présentes dans les selles des enfants. Compte tenu des recherches antérieures menées chez des enfants et des adultes ayant déjà reçu un diagnostic de trouble neurodéveloppemental, nous nous attendions à trouver des différences dans la composition et la santé du microbiome entre les personnes atteintes de troubles neurodéveloppementaux et celles qui n’en sont pas atteintes.
Cependant, nous avons été surpris de découvrir à quel point ces différences apparaissent tôt. Nous avons constaté une variabilité des microbes et des métabolites qui affectent la santé immunitaire et cérébrale, entre autres, dans les selles prélevées dans les couches des enfants âgés d’environ un an et dans le sang du cordon ombilical prélevé à la naissance.
Le déséquilibre de la composition microbienne, que les microbiologistes appellent dysbiose, que nous avons observé suggère qu’une récupération incomplète après l’utilisation répétée d’antibiotiques peut affecter grandement les enfants pendant cette période vulnérable. De même, nous avons constaté que les infections répétées de l’oreille étaient liées à un risque deux fois plus élevé de développer un autisme.
Les enfants qui tout à la fois avaient utilisé des antibiotiques de manière répétée et présentaient des déséquilibres microbiens étaient significativement plus susceptibles de développer un autisme. Plus précisément, les enfants présentant une absence de Coprococcus comes, une bactérie liée à la santé mentale et à la qualité de vie, et une prévalence accrue de Citrobacter, une bactérie connue pour sa résistance aux antimicrobiens, ainsi qu’un usage répété d’antibiotiques, étaient deux à quatre fois plus susceptibles de développer un trouble neurodéveloppemental.
Les antibiotiques sont nécessaires pour traiter certaines infections bactériennes chez les enfants, et nous insistons sur le fait que nos résultats ne suggèrent aucunement d’éviter complètement leur utilisation. Les parents devraient utiliser des antibiotiques s’ils sont prescrits et jugés nécessaires par leur pédiatre. Notre étude suggère plutôt que l’utilisation répétée d’antibiotiques pendant la petite enfance peut être le signe d’un dysfonctionnement immunitaire sous-jacent ou d’un développement cérébral perturbé, qui peuvent être influencés par le microbiome intestinal. Quoi qu’il en soit, il est important de se demander si les enfants pourraient bénéficier de traitements visant à restaurer leurs microbes intestinaux après avoir pris des antibiotiques, un domaine que nous étudions activement.
Un autre déséquilibre microbien chez les enfants chez qui on a diagnostiqué plus tard des troubles neurodéveloppementaux était une diminution d’Akkermansia muciniphila, une bactérie qui renforce la paroi de l’intestin et qui est liée à des neurotransmetteurs importants pour la santé neurologique.
Même après avoir pris en compte les facteurs susceptibles d’influencer la composition des microbes intestinaux tels que le mode d’accouchement et l’allaitement, la relation entre le déséquilibre bactérien et le diagnostic futur a persisté. En outre, ces déséquilibres ont précédé le diagnostic d’autisme, de TDAH ou de déficience intellectuelle de 13 à 14 ans en moyenne, ce qui réfute l’hypothèse selon laquelle les déséquilibres des microbes intestinaux sont dus à l’alimentation.
Nous avons déterminé que les lipides et les acides biliaires étaient appauvris dans le sang du cordon ombilical des nouveau-nés atteints d’autisme futur. Ces composés fournissent des nutriments aux bactéries bénéfiques, aident à maintenir l’équilibre immunitaire et influencent les systèmes de neurotransmetteurs et les voies de signalisation dans le cerveau.
Contrôle du microbiome lors des visites de santé des enfants
Le contrôle du microbiome n’est pas une pratique courante dans les visites de santé des enfants. Mais nos résultats suggèrent que la détection des déséquilibres entre les bactéries bénéfiques et nocives, en particulier pendant les périodes critiques du développement de la petite enfance, peut fournir des informations essentielles aux cliniciens et aux familles.
Il reste un long chemin à parcourir avant que ce type de dépistage ne devienne un élément standard des soins pédiatriques. Les chercheurs ont encore besoin de méthodes validées pour analyser et interpréter les données du microbiome en clinique. On ne sait pas non plus comment les différences bactériennes évoluent dans le temps chez les enfants à travers le monde ; pas seulement quelles bactéries sont présentes ou absentes, mais aussi comment elles peuvent influencer les réponses immunitaires et le métabolisme. Quoi qu’il en soit, nos résultats réaffirment le nombre croissant de preuves sur le fait que le microbiome intestinal précoce joue un rôle clé dans le développement neurologique.
Illustration : JDawnInk/DigitalVision Vectors via Getty Images
Article paru initialement dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction est protégée par les droits d’auteur ; la reproduction de l’article traduit en français est autorisée à la condition de mentionner qu’il provient du média Science infused avec un lien vers le site d’actualité Science infused et/ou vers la présente page de l’article traduit.
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