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Black Mirror: ‘Hotel Reverie’ réinvente l’éclat hollywoodien avec audace et émotion

À la reprise de la saison 7 de Black Mirror, l’impression de réchauffé était tenace générant abandon au bout de deux épisodes ; comme si la série, jadis si audacieuse, s’essoufflait à force de vouloir exploiter son aura culte jusqu’à la dernière goutte. Mais le temps d’un séjour à Hotel Reverie, ce scepticisme est balayé d’un revers de main, nous propulsant dans un tourbillon narratif et visuel aussi inattendu qu’envoûtant.

L’épisode nous plonge d’emblée dans l’âge d’or hollywoodien en noir et blanc des années 40, dans un hôtel de luxe au Caire baigné d’un exotisme colonial. Y séjournent des représentants caricaturaux des élites blanches oisives et des mâles dominateurs. Cela permet également de replonger dans l’élégance intemporelle de Casablanca (1942) et la tension romantique de Brief Encounter de David Lean (1945). Exit Rachmaninov, place à la délicatesse de Clair de Lune de Debussy. Cette musique berce la rêverie mélancolique de Clara Ryce, incarnée par une Emma Corrin absolument magnétique, délaissée par un mari complotant sa disparition. Ce pastiche d’un classique totalement fictif des années 40, signé Charlie Brooker, rappelle aussi La Rose pourpre du Caire de Woody Allen (1985) pour son jeu méta sur le cinéma à base de personnages qui crèvent (au sens littéral du terme), ou encore l’élégance dramatique d’un Hercule Poirot dans Mort sur le Nil et la grandeur épique d’Autant en emporte le vent (1939). Mais Hotel Reverie va plus loin, leitmotiv dystopique de Black Mirror oblige, confrontant le glamour rétro aux problématiques du XXIe siècle via la technologie Redream, une plateforme qui recrée des films en insérant des acteurs contemporains dans des simulations immersives. En confiant le rôle masculin d’un médecin charmeur à Brandy Friday, une actrice black de renom jouée par Issa Rae, l’épisode défie les codes de genre et de l’époque avec une romance audacieuse, clin d’œil provocateur face à la cancel culture. Cette inventivité narrative, alliée à une esthétique soignée, fait d’Hotel Reverie un des épisodes les plus marquants de la série, résonnant immédiatement avec la thématique et la profondeur émotionnelle de l’épisode San Junipero (2016, saison 4). Emma Corrin est le cœur battant de l’épisode. Elle se glisse avec une aisance sidérante dans la peau d’une starlette fragile et éthérée des années 40, capturant l’élégance rigide et le charme désarmant d’icônes hollywoodiennes d’un autre temps. Son maquillage est une œuvre artistique en soi, et la gestuelle de l’actrice parfaitement travaillée pour nous replonger dans l’époque. Elle joue une figure tragique dont la carrière et la vie sont brisées par une industrie homophobe et sexiste, évoquant les destins maudits à la Marilyn Monroe. Dorothy Chambers, comme Marilyn, incarne une étoile dont le glamour public masque une douleur profonde. Via des flashbacks fictifs et des screentests en noir et blanc, l’épisode révèle que Dorothy s’est suicidée après une carrière étouffée par les conventions sociales. Lorsque Clara commence à se souvenir de fragments de la vie de Dorothy, notamment après que Brandy l’appelle par son vrai nom, provoquant un « bug » émotionnel, l’épisode atteint une profondeur déchirante et prend un tour inattendu. Le clou en est certainement le moment où Clara tente de sortir du cadre en franchissant l’enceinte de la simulation et se retrouve dans un no man’s land entièrement noir mais son cerveau assailli des informations ayant servi à la simulation, dont la fin tragique de Dorothy. Le morceau en fond sonore (compositeur Ariel Marx) sur cette scène, d’ailleurs intitulé The Void, est un petit bijou musical symphonique qui colle parfaitement aux réminiscences de Clara. Très rapidement, Hotel Reverie nous a évoqué l’épisode San Junipero par son exploration d’un amour transcendant les limites conventionnelles, technologiques et temporelles, mais la référence explicite, sous forme d’un easter egg, n’apparaît que dans la scène ultime. Il ne s’agit certainement pas d’un simple clin d’œil : il ancre Hotel Reverie dans l’héritage émotionnel de San Junipero, reliant les deux épisodes par leur méditation sur l’amour intemporel et les possibilités offertes par la technologie, tout en soulignant la fragilité de ces connexions face à la réalité. La comparaison entre les histoires d’amour féminines de Hotel Reverie et San Junipero est essentielle pour saisir l’impact émotionnel de l’épisode. Les deux récits partagent des ressemblances frappantes : dans chacun, une technologie avancée, le système de conscience téléchargée dans San Junipero qui équivaut à Redream dans Hotel Reverie, permet à deux femmes de s’aimer au-delà des contraintes de leur réalité. Dans San Junipero, Yorkie et Kelly (jouées par Mackenzie Davis et Gugu Mbatha-Raw), trouvent une connexion dans une simulation balnéaire nostalgique des années 80, défiant les barrières de la maladie et de la mort. Leur amour, initialement éphémère, devient éternel lorsqu’elles choisissent de rester dans la virtuelle San Junipero. De même, dans Hotel Reverie Brandy et Clara vivent une romance dans l’univers artificiel d’un film des années 40, transcendant les normes de genre, d’ethnie et de classe de l’époque simulée. Les deux histoires utilisent la nostalgie, années 80 ou années 40 comme un écrin pour explorer des amours marginalisées, offrant une liberté que leurs mondes réels refusent. Cependant, les différences sont tout aussi significatives. San Junipero est un rare moment d’optimisme dans Black Mirror, offrant une fin où Yorkie et Kelly triomphent de la mortalité pour vivre ensemble pour l’éternité. Hotel Reverie, en revanche, adopte une tonalité douce-amère. L’amour de Brandy et Clara est confiné à la simulation Redream, et leur séparation est inéluctable : Clara, une IA basée sur Dorothy, ne peut exister dans la réalité, et Brandy doit retourner à son monde, ne conservant qu’un téléphone et une carte postale comme reliques de leur connexion. Si San Junipero célèbre une victoire sur les limites physiques, Hotel Reverie explore la tragédie d’un amour qui ne peut s’épanouir pleinement, renforcée par le destin brisé de Dorothy. Au final, la performance d’Emma Corrin, avec sa douceur britannique et sépia contraste avec la modernité brute d’Issa Rae made in the USA, créant une alchimie non immédiate mais profondément touchante notamment par son incongruité apparente. Le contraste est aussi visuel que gestuel et auditif, Emma Corrin adoptant un accent hybride britannique-américain (mais pas l’artificiel accent transatlantique en vogue à l’époque), et Issa Rae un accent et des intonations purement américains, avec même une grosse faute de grammaire bien mise en avant comme un clin d’œil. C’est ainsi qu’Hotel Reverie réinvente le cinéma classique hollywoodien en jouant de son univers et de ses postures galvaudées, le fissurant par la technologie pour y insuffler de la modernité et une humanité poignante, sans oublier la drôlerie pour des parenthèses de légèreté bienvenues dans 1h17 de tension dramatique ininterrompue.

Série Black Mirror : « Hotel Reverie » (épisode 3 série 7) de Haolu Wang et Charlie Brooker, avec Emma Corrin, Issa Rae, Harriet Walter, Awkwafina – durée 1h18 – sortie Netflix 10 avril 2025

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