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Cérémonie d’inauguration des Jeux Olympiques d’été 2024 à Paris : entre expression artistique, instrumentalisation politique et déni

La polémique bat son plein sur la cérémonie tenue à Paris dans la soirée du 26 juillet. Tentons un regard critique sur les événements et les arguments

On ne peut nier le caractère grandiose, chargé d’émotion et sans précédent de la cérémonie d’ouverture des JO, vendredi soir à Paris. La France, qui n’avait pas organisé l’événement depuis 100 ans, a dérogé à la tradition jamais boudée d’un événement tenu dans un stade. À Paris, tout s’est passé sur la Seine, ses ponts et ses berges et quelques monuments les surplombant, du défilé des athlètes au départ du pont d’Austerlitz pour arriver au pont d’Iéna, face à la Tour Eiffel et au Trocadéro où se tenait la tribune officielle.

Du très bon avec explosion d’émotions, de couleurs et de diversité…

Le défilé des délégations d’athlètes par pays, est une tradition. L’originalité à Paris c’est que ce sont des bateaux, environ 160 de toutes tailles, de la petite vedette au grand bateau-mouche, qui ont défilé. Leurs passagers, étaient maintenus à l’immobilité, se contentant d »agiter un bras pour saluer ou agiter leur drapeau national. Un signe peut-être avant-coureur des bizarreries à suivre, certains, profitant de leur position statique, n’ont pas hésité à utiliser leur smartphone pour des faire des selfies ; et ce même pendant leur passage devant les caméras de retransmission en direct dans le monde entier. Certaines délégations sont sorties du lot et de l’écueil à ce titre, bannissant les outils technologiques dans leur protocole de défilé.
Parmi les moments d’intense émotion, nous en avons retenu cinq : le top départ de la cérémonie sur le pont d’Austerlitz, avec l’explosion d’une gerbe bleu-blanc-rouge sur toute la longueur du pont, un feu d’artifice de fumigènes pour un résultat très impressionnant.

L’hymne de la France, la Marseillaise, revisitée en tons mineurs poignants, interprétée superbement par l’artiste lyrique de 28 ans Axelle Saint-Cirel, mezzo-soprano guadeloupéenne, dans une posture sobre et élégante du haut du toit du Grand Palais. La chanteuse portait un grand pavillon bleu uni à la main droite, sa robe blanche à extrémité gauche rouge formant dans l’ensemble un élégant drapeau bleu blanc rouge.

Le relais final de la flamme olympique par des athlètes, dont les champions Marie-José Perec et Teddy Rinner (qui vient d’être triplé médaillé Or cette semaine en judo) est superbe pour allumer la vasque, une création originale avec un ballon gonflé à l’hélium ; c’est un hommage aux frères Monttgolfier. Le ballon, chaque jour, va faire l’ascension du ciel à 60 mètres de hauteur à 19h, jusqu’à 2 heures du matin. C’est beau et doré. On parle déjà à Paris de faire de ce ballon comme monument pérenne.

E t puis le final avec Céline Dion, qui n’avait pas chanté en public depuis 4 ans en raison de son syndrome de l’homme raide, terrible maladie neurologique dont nous avions parlé dans ces colonnes à son annonce par l’intéressée elle-même. Pendant que la vasque olympique s’élève, la québécoise entame la chanson inconique d’Édith Piaf L’hymne à l’amour, installée avec au piano Scott Prince, son directeur musical, au premier étage de la Tour Eiffel. Au même moment, la Tour s’illumine dans un show laser exceptionnel. Ici la prestation complète :

… et du controversé à la sauce Woke

C’est l’animation portant le nom de « Festivité » qui se passait sur l’un des ponts de la Seine qui est le principal objet de la controverse. Ce « tableau » ressemble au départ à un défilé de mannequins très coloré, comportant de nombreuses « drag-queens » se déhanchant au format « cat walk » typique des mannequins en défilé,, ou en dansant ; puis la prestation de Philippe Katerine, peint intégralement en bleu métal coloris Schtroumpf, barbe pastiche jaune, quasiment nu si ce n’est une ceinture de fleurs formant un slip, semi-allongé dans un parterre de fruits. Derrière lui, une immense table tout en longueur ou posent les drag queens de part et d’autre de Barbara Butch, DJ de profession, qui porte sur la tête une grande auréole argentée. Beaucoup ont interprété cette scène comme la Cène, un tableau de Léonard de Vinci représentant le dernier repas du Christ ; quelques participants l’ont confirmé, avant que le directeur artistique de la cérémonie, le metteur en scène de théâtre Thomas Jolly, révèle qu’il s’agissait en réalité d’une inspiration du Festin des dieux, un tableau de Jan van Bilbert, œuvre pour le moins confidentielle et visible à Dijon. Philippe Katerine se serait en réalité déguisé en Dionysos. Du « damage control » en mode rétropédalage ? On ne le saura sans doute jamais. Pourquoi pas une double inspiration ? Le spectacle prônant l’inclusivité et le mélange des genres, une inspiration de dieux grecs dans un cadre d’iconographie biblique n’est pas une option complètement improbable. En tout cas, l’épiscopat français courroucé, de même que certains pays (par exemple, les Etats-Unis ou le Maroc, entre autres) qui ont censuré la retransmission télévisée des scènes incriminées.

Philippe Katerine en tendance

Le musicien et chanteur français, nous on l’aime bien pour sa pop souvent décalée et originale, en toute simplicité et modestie. Il a expliqué avoir tout simplement porté candidature auprès de l’organisation des JO pour une prestation lors de la cérémonie avec son titre « Nu » qu’il considérait comme adapté à l’événement pour son message de tolérance. Il s’est publiquement excusé d’avoir éventuellement blessé des gens avec son interprétation. Or, la critique porte surtout sur la Cène » en arrière plan, ou du moins ce qui a été perçu comme tel.
Cependant, dans un entretien accordé à Ouest-France, le chanteur a déclaré qu’il n’était pour rien dans ce tableau de fond, choisi par les organisateurs du spectacle à savoir Thomas Jolly et Daphné Burki. Or on n’a pas eu, à notre connaissance et pour l’heure, leur mea culpa. Depuis, Philippe Katerine semble satisfait d’être à la une et accorde volontiers des interviews. En tendance, notamment en Chine, il est qualifié là-bas d’ « artiste Schtroumpf » et est l’objet d’une profusion artistique sur les réseaux sociaux locaux.

Politisation de la polémique

Il n’y a pas que l’épiscopat qui s’est indigné : des politiques français, et en particulier l’extrême droite, ont réagi en direct sur le tableau « Festivité » sur les réseaux sociaux, principalement X (anciennement Twitter) mais aussi sur une scène filmée qui met en scène ce que certains ont vu comme l’apologie du triolisme, avec des scènes de séduction entre deux hommes et une femme. La référence aurait été en réalité littéraire, le roman Jules et Jim d’Henri-Pierre Roché, porté magistralement à l’écran par François Truffaut en 1962, ou encore Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, un classique. Il y a eu également indignation face à une scène sanguinolante jouée en direct à la Conciergerie, avec une Marie-Antoinette portant sa propre tête guillotinée, sur le son puissant et saturé d’un groupe de Metal (hard rock très hard). Certains auraient voulu voir un autre symbole de la Révolution que la guillotine et le choix de la reine décapitée. Certains ont aussi vu, dans la lignée de la Cène, le chevalier de l’Apocalypse dans la longue traversée du fleuve d’une personne sous cape portant comme une cape le drapeau des Jeux Olympiques ; ekkechevauchant sur la Seine sur un somptueux cheval mécanique d’argent porté par un quasi invisible trimaran noir filant sur l’eau. Il se serait agi en fait de représenter la déesse gauloise Sequana qui a donné son nom à la Seine. Certains ont aussi vu un Veau d’Or ornant la tribune présidentielle au Trocadéro.

Comme souvent, c’est sur les réseaux sociaux que la polémique a pris de l’ampleur en se politisant de façon caricaturale ; l’enjeu d’apprécier ou non la cérémonie est devenu un enjeu de positionnement politique, avec en gros l’extrême-gauche revendiquant la beauté d’un spectacle des JO Paris qui symbolise le woke et le LGBT (exemple, Sandrine Rousseau), les macronistes saluant pour leur part l’originalité, la diversité et la libre expression artistique.

Faux débats

Une tentative pour trancher le débat a été faite sur la base de sondages : 85 % des sondés (Français) ont plébiscité le spectacle. Mais est-ce bien la question ? On peut avoir aimé cette cérémonie grandiose de près de 4 heures dans sa globalité, tout en ayant été choqué par certaines scènes. Cette nuance n’apparaît pas dans les sondages, mais c’est peut être pourtant là la vraie question. Dans le cadre des JO, il y a un règlement qui veut qu’il ne doit pas y avoir d’orientation religieuse ou politique, car on célèbre l’humanité sur ce qui la rassemble, et non sur ce qui la divise. On pourrait dès lors penser que la liberté artistique ne peut être totale dans ce cadre, par exception au spectacles artistiques habituels. Ainsi, laquestion n’est finalement pas de savoir ce que Thomas Jolly a voulu ou représenter, mais bien comment cela a été perçu. Il y a donc un cahier des charges à respecter pour les organisateurs : du consensuel non susceptible de choquer des orientations politiques ou religieuses. Sur ce point, on a sans doute manqué de discernement dans l’organisation du spectacle afin d’éviter des scènes litigieuses pouvant heurter certains publics. Cela aurait-il été aux prix d’une cérémonie terne ? aucune raison de le penser vu que la plus grande partie du spectacle a ravi le public sans réserves. On aurait en outre évité un déchaînement de violences comme le cyberharcèlement de Thomas Jolly et de Barbara Butch, et une instrumentalisation politique que l’on ne peut que regretter pour une fête universelle autour du sport.
La communion comme mot d’ordre, plutôt que l’expression libre artistique sur fond d’engagement politique : et si nous retrouvions ce fil conducteur à la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Paris 2024 ? À suivre.

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