‘Choses vues et chantées’ d’après l’œuvre de Victor Hugo, au théâtre de Poche Montparnasse
Ils furent nombreux à ne pas respecter l’hugolien précepte « Défense de déposer de la musique le long de mes vers », et pour notre plus grand bonheur. Ce sont à ses désobéissants que Christophe Barbier a voulu consacrer un spectacle. Ainsi, durant un peu plus d’une heure, se succèdent les mélodies de Bizet, Britten, Donizetti, Fauré, Franck, Lalo et Liszt, entrecoupées par des extraits des Choses vues, ce vaste recueil composé au fil du temps par Hugo.
La recette d’un excellent spectacle s’avère ainsi des plus évidentes : recouvrez les murs du petit Poche Montparnasse de fac-similés agrandis des manuscrits de l’auteur lui-même et de grandes toiles exécutées par Marguerite Danguy des Déserts, dans le plus pur style hugolien de vastes traînées d’encre, de sépia et de café qui font se mouvoir un univers où s’opposent et se complètent le jour et la nuit, le blanc et le noir, le bien et le mal. Placez un quart de queue noir, et utilisez les services d’un excellent pianiste, Vadim Sher, tout à la fois brillant et discret, et qui, de surcroît, peut se montrer comédien talentueux. Prenez un récitant, Christophe Barbier lui-même qui s’avère capable d’endosser le rôle d’Hugo de façon tout à fait crédible. Et enfin, prenez une soprano, Pauline Courtin, brune, blanche, et belle, ainsi qu’un incendie de forêt ou une vague d’équinoxe quand elle malmène la grève. Et le tour est joué : vous tenez un excellent spectacle, tout à la fois lyrique, émouvant et amusant.
Qu’on ne s’y méprenne pas pour autant : il ne s’agit ici nullement du Victor Hugo que l’on connaît scolairement, ni du dramaturge fougueux de Ruy Blas, ni du poète enflammé des Contemplations, ni du romancier exalté des Misérables, mais d’un Hugo quotidien qui note ses impressions, ses sentiments, ses peurs, ses envies, ses rêves, ses errances, ses regrets. C’est, si l’on peut dire, Victor derrière Hugo, l’homme derrière l’Auteur, le timide derrière L’orgueilleux.
Il s’agit d’un Hugo qui nous amuse, en évoquant le cerveau de Monsieur de Talleyrand qui finit aux égouts, le nom d’un premier Ministre de Louis-Philippe qui devient celui d’un chien, ou bien la sinistre bigoterie avaricieuse de Madame de Chateaubriand. Il s’agit d’un Victor Hugo qui nous émeut et nous fait réfléchir en évoquant les dangers imminents d’une explosion sociale lorsque le coût de la vie augmente démesurément, ou bien ces ministres qui sont « des carreaux de vitre. On voit le Président au travers ». Certaines de ses réflexions, menées un peu à brûle pourpoint, sont inattendues : elles concernent la liberté sexuelle, l’importance de la dignité humaine, la façon dont les ex colonisateurs peuvent se comporter (bien mal, justement) vis-à-vis des ex colonisés. On se rend compte à quel point les préoccupations de l’auteur de Notre dame de Paris étaient semblables à pas mal des nôtres : comme si les époques se répondaient l’une l’autre. Le XXIème était déjà, décidément, contenu dans le XIXeme : le nouveau régime perpétue de furieuses allures de l’ancien, et les germes du mal étaient contenues dans les premières années de la République.
On voit que le pari est largement gagné pour Christophe Barbier et sa troupe : ils nous gratifient, au Poche Montparnasse tous les lundis soir à 21 heures, d’un spectacle élégant, tant du point de vue musical que poétique.
Crédit photos : Sébastien Toubon
D’après l’œuvre de Victor HUGO
Adaptation et mise en scène Christophe BARBIER
Avec Pauline COURTIN (soprano)
Vadim SHER (piano)
et Christophe BARBIER
Musiques de Bizet, Liszt, Fauré…
Tous les lundis à 21h, Théâtre de Poche Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse – 75006 Paris
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