ChroniqueCultureFranceHistoireVoyages

Chronique azuréenne 4/8 : Nice n’est pas France

Nice n’est pas en France. A la manière de ce qui advient à certaines météorites, Nice est un morceau d’Italie qui s’est détaché. Et ce n’est pas seulement parce que la promenade du Paillon s’enorgueillit d’une réplique en bronze du David de Michel-Ange.

Le traité de Turin, par lequel le comté de Nice se voyait attribué à la France, date de 1860 : 165 ans seulement. Que sont donc 165 années à l’aune mesurée des siècles de traditions et de coutumes ?

Tout, à Nice, fleure bon l’Italie : l’architecture des places, celle des églises, l’étroitesse des ruelles, le linge aux fenêtres l’huile d’olive, le basilic, les fleurs d’orangers et celles de jasmin.

Tout au long des rues, les façades se maquillent, de rouge sarde et d’ocre citron, tandis que les fines persiennes ouvrent malicieusement, et à demi, un volet, comme, à l’infini répété, un clin d’œil de l’architecture azuréenne. Bon nombre de bâtiments conservent, dans la grande tradition ligure, une décoration en trompe l’œil, qui va même jusqu’au décor en sgraffite (de l’italien graffiare : rayer) de l’immeuble Gracci-Bensa. Et ces immeubles cossus et gras comme des bourgmestres sont appelés Palais, comme en Italie, histoire d’en renforcer la dignité séculaire. Sainte Reparate, la Cathédrale, reprend l’architecture de Saint-Pierre de Rome : de larges piliers quadrangulaires, faux marbres ou vrai stuc, et surmontés de volutes d’or soutiennent la voûte sur laquelle une foule d’angelots joufflus et rieurs, tout plâtre rose et doré, se gaussent des badauds. Saint-François de Paule est inspirée de l’église de la Miséricorde de Turin, tandis que Jacopo Barozzi de Vignola, l’architecte de Saint-Jacques le Majeur, a copié le Gesus de Rome.

L’une des places principales de la ville porte le nom du héros local, pourtant italien, Garibaldi, et sa statue trône fièrement au centre même, entourée de redoutables lions de bronze. Garibaldi naquit à Nice, et fut baptisé à Saint-Martin-Saint-Augustin, tandis que le virtuose Nicolas Paganini, tout ce qu’il y a de plus italien également, mourut au 23 de la rue de la Préfecture, au cœur du vieux Nice.

C’Il en va jusqu’à la gastronomie puisque la célèbre « socca », orgueil culinaire de la ville, cette galette de pois chiche, n’est autre que la farinata ou faina de çeixai, d’origine génoise.

Et la langue locale, le nissart, si elle est, certes, proche du provençal, s’en distingue par ses influences italiennes : l’accentuation sur l’antépénultième syllabe, le maintien des finales en a et la prononciation des consonnes finales (le C, le p).

Que dire enfin du climat ? Le soleil, ici, n’est pas un phénomène météorologique mais un voisin de palier qu’on rencontre, de partout. Il peuple, ce soleil, quasiment en permanence, le réseau des rues qu’arpentent, de si peu de choses vêtues, des jeunes femmes racées comme des reines et malicieuses comme des fées. Là encore comme en Italie…

C’est Napoléon III qui chaparda Nice : en échange de son soutien militaire à la toute neuve unité italienne, il avait obtenu que lui soient cédés la Savoie et le Comté de Nice.

Le traité de Turin fut signé le 24 mars 1860. Ce matin-là, les Niçois qui, la veille encore, s’étaient couchés italiens se réveillèrent français. Quels furent leurs sentiments ? Très largement défavorables et l’on fait souvent allusion aux « Niçois qui mal y pensent » !

Le Roi d’Italie, Victor Emmanuel II, intervint personnellement pour tenter de calmer les esprits. Et, pour donner à l’affaire une apparence vaguement démocratique, on organisa un plébiscite. Mais celui-ci, les 15 et 16 avril 1860, fut entaché par de très nombreuses irrégularités. Entre autres, d’après ce que rapporte Paul-Louis Malausséna (directeur de la revue Nice-Historique), les bulletins « non » ne pouvaient être validés que si le votant était en mesure de justifier clairement son choix auprès des assesseurs français. Donc en français ! Or, la grande majorité des votants ne parlait pas cette langue, et pour cause puisqu’ils étaient italiens !

Si bien que, périodiquement, et de nos jours encore, des spécialistes de la question chercheurs, historiens ou politiques, réclament l’invalidation du traité de Turin.

Il faut dire qu’à Nice, même les églises parlent avec les mains !

Photo : Nice, par Constantin

Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0329 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.
Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit, et abonnez-vous à la newsletter gratuite également !.

ou via J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
27 + 2 =