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Chronique azuréenne 8/8 : Musée international d’Art Naif Anatole Jakovsky

Fidèle à ses habitudes de mêler la fiction et le réel, Léo Mallet, dans Les rats de Montsouris (1974), imaginait une rencontre entre son détective Nestor Burma et l’écrivain Anatole Jakovsky. C’était l’occasion de tenter de décrire le bric à brac qui composait le décor quotidien de l’homme de lettres : tableaux, sculptures, objets divers, souvenirs de voyages et de brocantes, dont la fameuse « sirène dans une boite » qui se trouva longtemps chez Robert Desnos.

Anatole Jakovky était écrivain, poète, critique d’art, collectionneur, polyglotte, et grand spécialiste de ce qu’il avait nommé lui-même « l’art naïf ». Son bric à brac personnel, il en fit don à la ville de Nice : telle est l’origine du musée qui, depuis 1928, porte le nom d’Anatole Jakovsky et occupe le château Sainte-Hélène, ancienne résidence du parfumeur Coty.

« Art naïf » : un peu comme si l’on ne savait guère en quoi consiste l’art et qu’on le pratique avec l’infinie et touchante candeur du débutant confiant. L’expression conserve encore de nos jours une nuance péjorative, pour ne pas dire méprisante. D’ailleurs, la 1ère salle consacrée à l’art naïf au Musée d’Art Moderne, à Paris, ne date que de 1948 seulement. Pourtant, nous avertit une citation d’Anatole Jakovsky au seuil du musée : « N’est pas naïf qui veut. On l’est ou on ne l’est pas, cela ne s’apprend pas et ne s’imite pas. »

On leur donna, à ces artistes, diverses appellations « maîtres primitifs du XXème », « autodidactes », « peintres de l’éternel dimanche », « néo primitifs », « naïfs ». Beaucoup d’entre eux se trouvent réunis en ces lieux : Bauchant, Bombois, Vivin, Séraphine (la fameuse Séraphine de Senlis, incarnée au cinéma par Yolande Folliot), Rimbert, Lefranc, Rabuzin, Généralic, le douanier Rousseau, …

L’extrême diversité des œuvres rassemblées le démontre, il serait trop facile, et tout à fait vain, de résumer l’art naïf à quelques principes élémentaires : perspective écrasée, aspect enfantin revendiqué des silhouettes anthropomorphes, ignorance assumée des procédés de la demi-teinte et du sfumato, utilisation des teintes sans mélanges ni effets, thématiques oniriques ou volontairement éloignées de toute préoccupation réaliste, …

Certes, certaines toiles semblent se conformer aux modèles généralement présentés : des paysages aux allures géométriques peuplés de personnages aussi multiples que peu identifiables (Jean Klissac, Mois d’août à Nice ; Léon Markarian, Le monastère de Cimiez n.d.) Certes, certains thèmes semblent puisés dans le quotidien des plus banals (André Bauchant, Les moissonneurs 1930 ; Dominique Peyronnet, L’annonce du garde champêtre 1940) ou renvoyer à des événements qui n’ont de valeur que très locale (Emile Blondel, La noce 1952). Et il est vrai que, dans ces toiles, l’art semble renvoyer le spectateur à un univers d’avant-hier, dépoli par le passage du temps, chargé d’une sorte de tendre mièvrerie, un peu à la façon de certains films de Jacques Tati.

Mais, ces exemples sont loin de constituer l’intégralité du corpus. L’école slave, par exemple, est caractérisée par une exubérance qui frise le surréalisme : Peter Grgec, Aurore n.d. ; La crue 1973 ; Ivan Généralic, La Mona Lisa de Hlébine 1972). Et l’éblouissement coloré de Séraphine (Corbeille de fleurs n.d.) ne saurait se résumer aux principes habituellement reconnus de l’art naïf.

Dans le domaine des formes, certains auteur innovent en mélangeant allègrement les techniques : Jules Lefranc, L’horloge n.d. peinture à l’huile, mécanisme d’horloge, boite en bois ; Slobodan, Transport niçois, 1985, récupération de portes et fenêtres, huile sur verre. Lorsqu’ils ne vont pas jusqu’à inventer leur propre forme : Alexis Mori, Renaissance 2003, sculpto-peinture (sic !). Ce qui n’est évidemment pas sans évoquer le travail du facteur Cheval ou de Picassiette.

Dans le domaine des thématiques, d’autres innovent par la caractère cynique ou iconoclaste de leurs œuvres : Kiki et Albert Leman, Le dernier repas des treize, 1995 (soit le Christ et les douze apôtres en coqs caquetants) ; Patrice Girard, Nature morte à fumer, 1988, bois, verre et tabac ; Joël Barthes, Le travesti andalou, 1994, bois et perruque.

Plus que d’art naïf, et pour définitivement dissiper la nuance péjorative qui reste attachée à cette appellation, peut-être serait-il opportun de parler « d’art inclassable ». Cet art qui est dit naïf ne cherche peut-être, au final, qu’à montrer ce que personne d’autre ne montre : montrer non pas l’envers du décor, mais l’envers de qu’on regarde habituellement, traditionnellement, sur une toile ou au musée. Soit, au final, nous montrer qui regarde : nous-mêmes. C’est un peu le but de la toile de Berthe Coulon Spectacle de la foule, 1972 : le spectacle en question n’est pas l’artiste sur la scène mais la foule qui regarde l’artiste. Par la recherche d’une technique neutre, réduite, mise à plat, sans effets inutiles, l’art naïf renvoie le spectateur à sa propre perception.

Ben, le grand Ben, l’enfant du pays, nous en avertit sur les murs du musée : « Il n’y a rien de beau ni de laid ? Que faites-vous dans ce musée ? »

23 avenue de Fabron – 06200 Nice

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