Chronique estivale irlandaise (4/9) : Kingship & Sacrifice au National Museum of Archeology Dublin
Dans le cadre tout à la fois désuet et grandiose du très riche musée national d’archéologique de Dublin, la section la plus troublante s’intitule Kingship & Sacrifice [Royauté et sacrifice, NDLR]. On y rappelle comment durant plusieurs siècles (entre 400 avant et 400 après notre ère), dans tout l’ouest de l’actuelle Europe, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Irlande, fut pratiquée la cruelle coutume des sacrifices humains destinés à placer sous les meilleurs auspices l’avènement au trône d’un nouveau souverain. Les sacrifiés, hommes ou femmes, en général plutôt jeunes, étaient exécutés de différentes manières : pendaison, étranglement, coups de poignard ou de hache, gorge tranchée, décapitation, démembrement, éventration, etc. les cadavres étaient ensuite fréquemment enterrés dans des tourbières, ce qui produisit l’étonnante conséquence de les conserver dans les meilleures conditions. La plupart du temps, les corps étaient nus et, à leurs côtés, on disposait différents objets de la vie quotidienne qui facilitaient leur passage dans l’au-delà : harpons de pêche, harnais de chevaux, armes, bijoux, objets décorés et …mottes de beurre. C’est ainsi que la grande salle nous permet de découvrir un certain nombre d’exemplaires de ce ces objets traditionnels ainsi que quatre cadavres humains retrouvés à différentes époques dans des tourbières et ainsi réduits à l’état de momies naturelles.
Baronstown West Man, découvert en 1953, est le moins bien conservé de tous. Il devait avoir entre 25 et 30 ans au moment de son décès qui remonte à 400-350 avant notre ère. Il ne reste vraiment de lui qu’un squelette dont la cage thoracique est profondément enfoncée. Il n’a plus de tête mais on a retrouvé, près de son corps, quelques cheveux.
Clony Cavon Man, lui, a été exhumé en 2003. D’après les archéologues, il avait 25 ans, entre 392 et 201 avant notre ère et mesurait 1, 76 mètre. Son visage, bien qu’aplati est incroyablement conservé au point que l’on a pu proposer une reconstitution de son apparence. On sait de lui qu’il fut tué à coups de hache, des coups violemment portés à l’arrière du crâne. On sait également, en ayant analysé les particules restées dans son estomac, qu’il est mort en automne, avant d’avoir ingurgité les aliments caractéristiques de la période hivernale. Clony Cavon Man occupait sans doute une fonction importante dans la hiérarchie car sa chevelure était enduite d’un gel rare et réservé à des personnalités.
Old Croghan Man, quant à lui, exhumé également en 2003, mesurait 1,91m, ce qui devait faire de lui, à son époque, un géant. Il avait 25 ans à sa mort, entre 362 et 175 avant notre ère. S’il a été décapité, en revanche, son torse, ses bras et ses organes internes sont totalement intacts. Il arbore au biceps gauche un bracelet celtique fait de cuir et de métal, et rien n’est plus troublant que ses longues mains, élégantes, crispées à tout jamais en un réflexe de lutte parfaitement inutile.
Le dernier de ces étranges et fascinants compères a été nommé Callagh Man. Il a été retrouvé en 1821 et l’on estime qu’il vécut entre 400 et 200 avant notre ère. Il était parfaitement nu à l’exception d’une cape qui descendait jusqu’à ses genoux et qui était retenue, autour de son cou, par un lacet, lequel lacet a, sans doute, également servi à l’étrangler. L’homme est recroquevillé sur lui-même, les bras repliés comme pour se protéger du froid définitif de la mort, et sa bouche est grande ouverte en une supplication muette qui n’aura jamais de fin.
Telle est la macabre et étonnante exposition à laquelle nous convie le musée de Dublin. Quatre suppliciés, victimes de la plus barbare des coutumes, mais dont les restes demeurent immortels sans que les hommes ne l’aient volontairement cherché : la tourbe, en Irlande, ne sert pas seulement à fabriquer un bon whisky !
Image d’en-tête : Détail de la main de Croghan Man, un corps de tourbe exposé dans le cadre de l’exposition « Kingship and Sacrifice » – Source : National Museum of Ireland
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