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Chronique estivale irlandaise (9/9) : Les femmes impressionnistes à la National Gallery

Le portrait de Berthe Morisot, peint en 1872 par Edouard Manet, n’est pas considéré comme une œuvre majeure. La jeune femme est une amie de la famille et elle deviendra même la belle sœur du peintre, deux ans plus tard, en épousant son frère Eugène. Mais, le voile dont il l’affuble sur la toile est disgracieux et semble lui dessiner comme une sorte de masque, voire de muselière, qui lui enserrerait la tête et l’empêcherait de s’exprimer. « Je ne crois pas, écrivait Berthe Morisot, qu’il existe un seul homme qui traite la femme comme son égale ». Et, en avril 74, lors de la première exposition des impressionniste, sur les trente artistes présents, elle était la seule femme.

 Il était, à l’époque, totalement impossible pour une femme de faire poser un modèle professionnel : il fallait se contenter de peindre les membres de la famille ou les amis. Il était difficile de sortir sans autorisation et de fréquenter les lieux publics, ce qui devenait alors l’ordinaire des artistes peintres. Et c’était sans compter les obligations familiales.

Berthe Morisot (1841-1895) vécut avec amertume cette situation ; même si, à la différence de sa sœur ainée, Edma (1839-1921), dont une toile figure dans l’exposition, elle parvint à bâtir une œuvre à part entière. Les influences mettent du temps à se dissiper, celles de Corot que l’on perçoit nettement, celles du beau-frère Edouard Manet, auquel La femme à l’éventail de 1874 rend hommage : comme l’Olympia, du même Manet, la jeune femme est allongée dans une pose lascive, mais, chez Morisot, le modèle est pudiquement vêtu et il est clairement identifié (Madame Marie Hubbard) Jamais une femme n’aurait pu se permettre la torride obscénité de l’Olympia. On voit pourtant l’acuité de la rechercher picturale, aussi intense que celle de Manet ou de Renoir. Dans La leçon dans le jardin (1886) ou Mère et enfant à Bougival (1882), les personnages représentés (la famille : Eugène le mari, Julie la fille, Berthe elle-même) sont comme noyés dans la nature : l’éclat des couleurs l’emporte sur l’humain ; le vert, le jaune et le rouge priment sur la ressemblance. Dans Le pont de Gorée (1886), Berthe Morisot travaille sur le seuil de l’abstraction avec une intensité qui n’est pas sans évoquer Cézanne. Pour autant, les toiles ne se vendent pas facilement et la réputation de l’artiste tarde à se confirmer. Dans une toile restée inachevée de 1887, Berthe Morisot se représente elle-même, cette partie-là est achevée, et elle représente sa fille, Julie, laquelle est simplement esquissée. Cette toile semble annonciatrice de l’avenir : la jeune Julie, restée orpheline à seize ans, n’aura de cesse de défendre la postérité de sa mère jusqu’à organiser la toute première exposition monographique qui lui sera consacrée en 1896.

L’exposition de la National Gallery présente également trois autres artistes impressionnistes : Mary Cassatt (1844-1926), Eva Gonzales (1849-1883) et Marie Bracquemond (1840-1916).

De Mary Cassatt, il s’avère assez évident qu’elle est loin de se réduire à ce que longtemps la postérité en retint : chantre doué mais quelque peu chichiteux de la maternité heureuse. C’était encore une façon de la cantonner dans sa fonction traditionnelle de femme : épouse et mère. Quelque chose de l’élégant bibelot. Mary Cassatt fut une dessinatrice hors pair et une coloriste des plus audacieux. Fascinée, comme beaucoup de ses confrères, par une exposition japonaise à l’école des beaux-arts de Paris en 1890, elle se lança dans une série de pointes-sèches colorées à l’encre, dont on nous offre quatre exemples remarquables, tous datés de 1891 : La toilette, Dans l’omnibus, La lettre, et Le bain. Les poses sont d’une exquise délicatesse, le trait raffiné et la remise en question de l’académisme particulièrement brillant. Une autre œuvre de Mary Cassatt s’avère remarquable et porte, curieusement, deux titres : Portrait de la sœur de l’artiste, Lydia et Étude pour la tasse de thé. De fait, on a deux œuvres en une : tandis que, sur la gauche de la toile, surgit l’étonnant portrait d’une femme coiffée d’un splendide bonnet rouge et fuchsia, toute la partie droite demeure marquée d’éclats de couleur, aux apparences désordonnées. C’est comme si, en un seul espace, on franchissait les étapes du réalisme à l’abstraction : la richesse méticuleuse d’un portrait dans le goût dix-huitièmiste revisité par l’impressionnisme et, à droite, l’audace moderniste de la forme qui se dilue et s’oublie pour mieux créer de la beauté pure. Une seule surface, pas si grande que ça, pour dire l’ouverture de l’univers telle qu’elle se produisit à l’extrême fin du XIXe siècle.

Eva Gonzalès, pour sa part, ne parvint guère à convaincre ses contemporains, sinon à travers son Enfant de troupe (1870), hommage direct et appuyé au Fifre de Manet.

Quant à Marie Bracquemond, elle prit une unique leçon auprès de son maître, Ingres, lequel lui déclara qu’il doutait profondément qu’une femme puisse faire preuve de courage et de persistance dans le domaine de la peinture. Marie Bracquemond ne lui en tint pas rigueur pour autant. On devine, bien sûr, l’influence d’Ingres dans sa Femme en blanc (1880) dont la partie inférieure, jambes et pieds, est comme allongée, déformée, malmenée par le flot des frou-frou de la robe. Deux autres œuvres de l’artiste, Sur la terrasse de Sèvres (1886) et Le goûter (1880) dévoilent une recherche qui n’est pas sans évoquer Frédéric Bazille et sans annoncer le futur pointillisme.

Ces quatre artistes impressionnistes surent, chacune à leur manière, faire mentir le vieux maître Ingres en démontrant leur courage et leur persistance

Image d’en-tête : Dans l’omnibus, Mary Cassatt, National Gallery of Art

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