‘Chroniques d’une exploratrice’ au théâtre de Belleville
Au départ, la volonté délibérée d’Alice Gozlan et Zacharie Lorent de monter un spectacle sur le Web : parce que « c’est là que ça se passe ». Parce qu’Internet est devenu, depuis le tournant du XXIe siècle, le sixième continent, une sorte d’univers en soi-même que nul ne peut prétendre connaître totalement et qui reste à explorer, un monde dont ils rêvent d’être, elle, Alice, la nouvelle Alexandra David-Neel, et lui, Zacharie, le nouveau Marco Polo.
Au départ, elle est seule sur la scène, avec juste un grand écran à ses côtés. Elle est seule avant même que les spectateurs n’entrent dans la salle et c’est elle qui les accueille. Il faut qu’ils prennent place sans crainte, qu’ils se sentent rassurés, qu’ils s’apprêtent en toute quiétude à ce grand voyage dans les organes du vaste corps viscéral du Web.
Et puis là voilà qui plonge, elle, elle est la petite Alice de Lewis Carroll qui plonge dans le terrier. Car, au sens fort du terme, Internet est bel et bien un terrier : nul ne sait trop ce qu’elle va découvrir à l’issue de sa chute. Une chute dans le Web qui s’accompagne, au fur et à mesure, d’une plongée dans la technologie : le grand écran est poussé et l’on se retrouve dans une sorte de mini laboratoire d’analyse et de projection, au fur et à mesure de plus en plus complexe, comme si, autour de la comédienne, le monde d’écrans, de câbles, de connexions, de projections, de leds, de micro-processeurs, se démultipliait à l’infini jusqu’à vouloir l’étouffer.
Chroniques d’une exploratrice : car Internet a toutes les allures d’un monde qu’on découvre, avec ses chemins, ses reliefs, ses vallées, ses pics, ses entrées, ses fausses pistes que sont les liens, ses empreintes laissées au long du chemin que sont les cookies… Et chroniques au pluriel car il lui faut plus d’un voyage, plusieurs journées, pour tenter de comprendre, se faire une idée, savoir ce qu’il en est.
Et en l’occurrence, Alice (on mélange la comédienne, co-autrice de la mise en scène et le personnage semi-fictionnel) se trouve bombardée d’informations, comme, au final, nous le sommes tous, et plus ou moins conscients de ce qui se produit.
On trouve, pêle-mêle, la longue litanie des sites complotistes avec leurs héros, leurs bons, leurs méchants, leurs sentences, leurs aphorismes supposés tout expliquer en peu de mots, leurs condamnations, leurs exorcismes. On trouve la multiplicité des images, celles des web-Cam piratées, partout dans le monde, rues, places publiques, magasins ou bien dans l’intimité des particuliers, illustrant ce vertige inquiétant de la surveillance permanente digne du Big Brother d’Orwell : « Il y a toujours un œil pour regarder celui qui regarde ». On trouve des images récurrentes et sans justification : celle de cette femme enfermée dans une pièce close et assise sur un matelas à même le sol, et dont on ne saura jamais, dont personne ne peut savoir, si elle est une comédienne au sein d’une macabre mise en scène, ou une malade mentale filmée à son insu, ou l’innocente victime d’un réel enlèvement. On trouve les forums avec leurs échanges absurdes, violents, agressifs, insultants, parfois sexistes, racistes ou homophobes. On trouve les sites d’extrême-droite qui ont depuis longtemps peaufiné leur stratégie pour gommer les apparentes aspérités et néanmoins pouvoir glorifier la pensée néo-nazie et la supériorité supposée du mâle blanc occidental.
L’ensemble, le spectacle tout entier, est inquiétant, bien sûr, parfois déroutant, mais aussi quelque peu asphyxiant. On est confronté à la fastidieuse énumération des différents couloirs virtuels qu’emprunte le web et ce sentiment d’asphyxie est renforcé encore par la diction hachée et haletante de la comédienne qui a des allures de rap obsédant. Un spectacle qui a le mérite de se confronter avec un problème contemporain, celui du vertige de l’informatique, et qui représente, en tout cas, une sorte de curiosité.
Du lundi 3 au dimanche 30 novembre 2025
Lun. 19h15, Mar. 21h15, Dim. 17h30
Durée 1h15
À partir de 14 ans
Texte Zacharie Lorent Mise en scène Zacharie Lorent et Alice Gozlan
Avec Alice Gozlan
Théâtre de Belleville, 16 passage Piver – 75011 Paris
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