Cinéma : « Boléro » : L’obsession frustrante de la partition blanche
Boléro mais pas Maestro : le charme suranné des années folles ne parvient pas à sauver un biopic un peu pâlot et indécis
Maurice Ravel, on ne pense pas à lui au quotidien. Mais « Le Boléro de Ravel » est une réminiscence automatique et dès lors qu’on entend quelques notes de cette œuvre, c’est une évidence et on fredonne les notes à l’avance. C’est pour dire combien l’air est ancré dans notre mémoire, dans la mémoire collective. D’où et pourquoi ? Pour les plus vieux, on nous l’a forcément, a minima, fait connaître à l’école. Le film aura au moins le mérite de nous faire réfléchir sur cette empreinte musicale indélébile. C’est que le morceau est l’un des plus écoutés au monde. Dans le générique de fin du film, cette singularité est rappelée à la fin du film : chaque quart d’heure dans le monde, un extrait du Boléro de Ravel est joué au moins une fois. La séquence introductive du film enchaîne à de titre en série des extraits d’interprétation du Boléro à travers le monde par des artistes de toutes origines ethniques.
Le film se focalise sur la création du Boléro : pour qui ? pourquoi ? comment ? pour évoquer des éléments marquants de la vie de Maurice Ravel
L’affiche dégage de la puissance, le film moins.
La bande-annonce nous plonge immédiatement dans la Belle Époque et son esthétisme révolu, cette nostalgie est bien présente tout au long du film, en harmonie avec ce que l’on ressent de la personnalité de Maurice Ravel, qui apparaît comme une personne tout en retenue, peu expressive, assez triste. C’est fidèle à ce que l’on sait de lui, mais on a du mal à ne pas coller ce côté effacé et non abouti au film lui-même.
Raphaël Personnaz imprime au musicien un visage lisse, doux. Les prestations au piano sont timides et la virtuosité ne s’en dégage pas. Ne jetons pas la pierre, l’artiste n’est pas pianiste à la base, mais il a pris pour la première fois des cours durant l’année précédant le tournage.
En chef d’orchestre, de la même façon c’est assez mécanique et peu expressif, malgré les velléités d’envolée lyrique lors de la scène finale, ça coince.
On ne peut s’empêcher la comparaison avec Maestro, le film de et avec Bradley Cooper où il incarne Leonard Berstein dans un biopic centré sur sa vie privée. On y trouve des scènes de conduite d’orchestre puissantes et totalement débridées. Peut-être exagérément. La démonstration de force et de performance d’acteur hors norme est recherchée, c’est américain. Mais notre Ravel et sa biopic paraissent fades à côté, on aurait voulu voir à un moment l’artiste s’exprimer pleinement. Même l’évocation du temps qui passe est lissée par l’absence de vraies marques du temps sur le visage de l’acteur, hormis pour la période finale (cheveux blanchis), alors que le film est construit sur l’évocation du passé avec nombre de flashback.
À défaut d’expression et d’émotions, on se prend, très plaisamment, à admirer les tenues années 20 tirées à quatre épingles de Raphaël Personnaz : costumes trois pièces, belles chemises blanches ou rayées, cravates, fins pulls sans manches en V en lin ou pure laine qui collent au corps svelte (l’acteur a fait un régime amaigrissant). Les coiffures, chapeaux et robes de ces dames ne sont pas en reste, tout cela rappelant les ambiance du film Gatsby Le Magnifique ou de la série britannique Peaky Blinders.
D’ailleurs, si le héros et les autres hommes du film (dont Vincent Perez) n’éblouissent pas dans leurs rôles seconds hormis Ravel, les femmes tirent leur épingle du jeu. On a tout d’abord Jeanne Balibar, pétillante et séductrice notamment dans son interprétation du Boléro, dans le rôle d’Ida Rubinstein dont elle est la commanditaire pour son ballet, mettant Maurice Ravel au défi de la page blanche, enfin plutôt de la partition blanche.
Il y a Doria Tillier, découverte dans les films de et avec son ex-compagnon Nicolas Bedos (Monsieur et Madame Adelman et La Belle Époque [déjà !]) et que l’on se réjouissait de revoir. On n’est pas déçu, dans un rôle là aussi en retenue pour les besoins du film et du personnage de Misia Sert, pianiste d’origine polonaise qui sera la muse de Maurice Ravel et l’objet d’un amour impossible. Emmanuelle Bedos nous offre aussi une prestation solide, chargée de naturel pour incarner l’amie pianiste Marguerite Long. On n’oublie pas non plus Joniece Jamison, choriste américaine qui a fait carrière en France, connue pour son duo « Joue pas » avec François Feldman. Dans Boléro, elle rencontre brièvement Maurice Ravel en tournée en Amérique, devant qui elle interprète un délicieux morceau de jazz accompagnée d’un pianiste et d’un langoureux saxophoniste.
Au final, une impression de symphonie inachevée (sic) et de frustration malgré les circonstances atténuantes d’un Maurice Ravel de nature introvertie et ambigu, de magnifiques décors (dont la Bretagne) et costumes, de belles prestations d’actrices mais des acteurs, dont le héros, moins emballants ainsi qu’un scénario où l’émotion qui ne perce pas et la chronologie amènent de la confusion et le sentiment d’un traitement maladroit.
Boléro de Anne Fontaine avec Raphaël Personnaz, Jeanne Balibar, Doria Tillier, Emmanuelle Devos, Vincent Perez – durée 2h. Sortie : 06/03/2024
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