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Cinéma : « L’accident de piano » : un vacarme sans partition

Quentin Dupieux revient avec une comédie noire qui promettait une satire acide du monde des influenceurs, portée par Adèle Exarchopoulos et Sandrine Kiberlain. Malheureusement, le film s’égare dans un chaos absurde, grossier et sans direction claire, laissant le spectateur perplexe et frustré

Synopsis : « Magalie est une star du web hors sol et sans morale qui gagne des fortunes en postant des contenus choc sur les réseaux. Après un accident grave survenu sur le tournage d’une de ses vidéos, Magalie s’isole à la montagne avec Patrick, son assistant personnel, pour faire un break. Une journaliste détenant une information sensible commence à lui faire du chantage… La vie de Magalie bascule. »

On aime bien Quentin Dupieux, habitué à jongler avec l’absurde et la satire. Mais il semble ici avoir perdu la main. L’Accident de piano suit Magalie, alias Magaloche, une influenceuse cynique et insensible à la douleur, qui se retire dans un chalet alpin après un accident mystérieux lié à une de ses vidéos choc. Alors clarifions-le d’emblée : son insensibilité à la douleur est à la base physiologique, c’est à dire qu’il s’agit d’une affection médicale d’insensibilité des nerfs spécifiques de la douleur. Et non une image d’un état psychologique quelconque. Quoi que, au final…
Accompagnée de son assistant Patrick (Jérôme Commandeur), elle est confrontée à une journaliste, Simone Herzog (Sandrine Kiberlain), qui la menace de révéler un secret compromettant. Sur le papier, l’idée d’une fable grinçante sur la célébrité numérique et la vacuité des réseaux sociaux avait du potentiel. Mais le résultat est un film qui s’éparpille, incapable de choisir entre comédie burlesque, thriller psychologique ou critique sociale, et qui finit par n’exceller dans aucun de ces registres. On ne sait pas où Dupieux veut en venir, et le pire, c’est qu’il ne semble pas le savoir lui-même.
Dès les premières minutes, le ton est donné : une vulgarité ostentatoire, incarnée par une Adèle Exarchopoulos grimée (plus ou moins) en caricature d’influenceuse. Pour être honnête, il faut avouer que cette actrice est assez constante dans sa capacité à ne pas nous convaincre. Avec son appareil dentaire, sa coupe au bol et son débit mitraillette, elle joue Magaloche comme une post-ado insupportable, hurlant des insanités et se complaisant dans un narcissisme grotesque. Si l’intention était de rendre le personnage détestable, c’est réussi, mais au détriment de toute nuance. Adèle Exarchopoulos, dont le jeu est souvent célébré, livre ici une performance outrancière, sans subtilité, comme si elle s’était contentée de surjouer une version caricaturale d’elle-même. Ses expressions faciales crispées et ses intonations monocordes fatiguent rapidement, et on peine à croire en cette Magaloche censée hypnotiser des millions de followers. Le film insiste sur son absence de morale et sa déconnexion du réel, mais cette critique des réseaux sociaux reste d’une lourdeur affligeante, flirtant avec un ton moralisateur qui frôle le cliché du « jeune décérébré par Internet ». Quentin Dupieux, qui se pose en observateur acide de notre époque, donne l’impression de s’être arrêté à une vision stéréotypée, presque « boomer », des influenceurs, sans creuser plus loin que la surface.
Sandrine Kiberlain, en journaliste manipulatrice, est l’une des rares lueurs du film, mais même elle ne peut sauver l’ensemble. Son interprétation, tout en faux-semblants et en douceur vacharde, apporte une tension bienvenue lors de ses confrontations avec Magaloche. Pourtant, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’une actrice de sa trempe vient faire dans cette galère. Son personnage, bien que mieux écrit que les autres, est sous-exploité, réduit à un rôle de catalyseur dans une intrigue qui s’essouffle vite. Les scènes d’interview, censées être le cœur dramatique du film, tombent à plat, la faute à un scénario qui préfère l’esbroufe à la profondeur. Sandrine Kiberlain fait ce qu’elle peut, mais elle est engluée dans un récit qui ne lui donne pas l’espace pour briller.
Le reste du casting, de Jérôme Commandeur en assistant servile à Karim Leklou en fan désaxé (qu’est-il allé faire dans cette galère ?, bis repetita), ne démérite pas, mais leurs personnages sont des archétypes sans relief, prisonniers d’un script qui privilégie les situations absurdes aux dialogues ciselés. Quentin Dupieux, connu pour son humour décalé, rate ici le coche : les gags sont rares, et quand ils surviennent, ils sont souvent grossiers, comme si le réalisateur avait confondu provocation avec trivialité. La bande originale, composée de notes de piano désaccordées, veut souligner l’absurde, mais finit par agacer, à l’image d’un film qui semble prendre plaisir à irriter son public sans lui offrir de contrepartie.
Le plus frustrant, c’est que L’Accident de piano avait les ingrédients pour réussir, y compris son réalisateur. L’idée d’explorer la célébrité numérique à travers une héroïne insensible à la douleur au propre et au figuré était prometteuse, tout comme le mélange de satire et de thriller. Mais Quentin Dupieux se contente de survoler ses thèmes, préférant l’accumulation de provocations gratuites à une véritable réflexion. Le film oscille entre des moments de tension maladroits et des élans comiques qui ne font pas mouche, laissant un goût d’inachevé. On sort de la salle avec l’impression d’avoir assisté à un brouillon, une esquisse d’idée qui n’a jamais trouvé sa forme. Pour un cinéaste aussi prolifique, ce faux pas est d’autant plus décevant qu’il suit des œuvres plus abouties comme Le Daim, Daaaaaali!, Yannick ou dernièrement Le Deuxième Acte. L’Accident de piano ne sera pas pour tous un un accident tout court, mais cela reste un vacarme discordant qui peine à trouver sa mélodie.

« L’accident de piano » de Quentin Dupieux, avec Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain, Karim Leklou – durée 1h28 – Sortie 2 juillet 2025

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