Cinéma : « Le règne animal », l’émotion fantastique
Un film original présenté en ouverture dans la catégorie « Un certain regard » au festival de Cannes, plein de sensibilité, de paraboles et de mélange des genres, interprété magistralement par le jeune Paul Kircher et Romain Duris
Présenté au festival de Cannes 2023 en ouverture dans la sélection « Un certain regard » qui qualifie des films dont l’approche est originale, il s’agit du second long-métrage de Thomas Cailley, qui a connu un franc succès auprès du public et des professionnels (plusieurs Césars notamment) avec « Les combattants » il y a 10 ans. Ce dernier également été présenté au festival de Cannes, en 2014, pour la Quinzaine des réalisateurs. On y retrouve des thèmes du Règne animal comme l’instinct de survie, un monde peuplé de dangers un peu chaotique, une relation forte entre les deux héros, le décor naturel de la région sud-ouest que connaît bien le réalisateur.
Contrairement à son premier film, l’intrigue du film Le Règne animal n’a pas germé dans l’esprit du réalisateur même s’il en est co-scénariste avec Pauline Munier. C’est cette dernière, scénariste, qui en avait écrit le scénario lorsqu’elle était étudiante à la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), où elle a rencontré Thomas Cailley.
L’intrigue
Nous débarquons dans un monde dystopique où sévit une vague de mutations qui transforment les humains en animaux. François (Romain Duris) accompagné de son fils Émile, 16 ans (Paul Kircher) quittent la capitale pour s’installer dans le sud-ouest. L’objectif : partir à la recherche de sa femme qui s’est enfuie, frappée par le mal mystérieux. Ce déménagement sera un véritable voyage initiatique pour les deux héros, à de multiples titres.
Mélange de genres, mutations en tous genres
Le film est étrange et intrigant dès la scène introductive au milieu d’un bouchon de voitures. Il va nous falloir du temps pour comprendre pourquoi le père et son fils s’embarquent vers le sud-ouest, la situation sanitaire inquiétante, et enfin comprendre que c’est directement leur famille qui est touchée. Les quêtes des protagonistes se combinent parfaitement à l’enquête des spectateurs pour comprendre les tenants et aboutissants de ce que l’on nous présente. Le fantastique se mêle ainsi au thriller, haletant, et le suspens est maintenu à divers titres tout au long du film.
Les quêtes des personnages sont multiples. Ils cherchent Lana (respectivement femme et mère), mais ils se cherchent aussi eux-mêmes. D’abord entre père et fils, tout au long du « voyage ». Pendant le film, on vivra simultanément la quête du père qui tente de renforcer le lien avec son fils, et celle du fils réciproquement.. Ils se cherchent dans la relation parent-enfant mais se cherchent aussi eux-mêmes, leur raison d’être. C’est une quête existentielle, en plus de retrouver Lana.
Le genre fantastique est bien servi par le film truffé d’hommes et de femmes en cours de mutation vers différentes espèces animales. Le travail de création artistique est important. Les effets spéciaux sont réussis, pas racoleurs mais impressionnant pour l’inventivité et surtout, strictement au service du récit et des émotions, plutôt qu’une débauche de technologie. Il y a aussi un mélange de volonté de faire côtoyer des effets spéciaux basés sur la recherche de réalisme pour la plupart des personnages mutants et d’autres qui semblent plus « bricolés » : c’est le cas pour un homme-oiseau dont on suit la transformation avancée. Les nouveaux attributs aviaires apparaissant sur son corps ressemblent manifestement à des prothèses, et le font visiblement souffrir, qu’il s’agisse des ailes ou de la formation d’un bec.
On pense bien sûr à mille références littéraires et cinématographiques, avec par exemple les thèmes populaires du loup-garou, du vampire, et pour la science fiction à H.G. Wells et son Île du Docteur Moreau truffée d’hommes-bêtes issus d’expérimentations médicales. Bien plus proche encore : La Mouche de David Cronenberg, l’histoire d’une effrayante mutation d’un chercheur généticien (interprété par Jeff Goldblum) qui accidentellement va intégrer le génome de l’insecte. Et évidemment, Spiderman et autres héros Marvel issus de croisements monstrueux avec des animaux ou des matières…
Mutations au propre et au figuré
La mutation au propre, c’est la mutation génétique, inévitable via cette épidémie qui transforme contre le volonté des victimes. Elle a pour conséquence la transformation physique des personnes touchées, et on va l’explorer particulièrement avec cet homme-oiseau dont on va suivre la transformation physique et mentale torturée, alors qu’il est tout investi pour apprendre à voler. Ces mutations surviennent en toute conscience pour leurs victimes et l’on va assister tout au long du film à celle naissante d’Émile. Elle est d’autant plus touchante qu’elle télescope sa mutation d’adolescent en homme, la contrarie à jamais.
Evidemment, on confronte au premier chef l’humain civilisé et l’animal instinctif. Cela nous fait nous interroger sur la relation entre l’homme et la nature, ce que l’humain fait de cette nature. De façon sous-jacente, le film traite de la problématique écologique, de notre relation avec l’environnement, de l’avenir de la planète.
La nature est très présente et très puissante dans le film, avec les landes de Gascogne tour à tour lieu de recherche de François et Émile pour retrouver Lana, refuge et terrain d’apprentissage de l’homme-oiseau, où il semble qu’Émile finira, comme beaucoup d’autres mutants. En effet une scène du film particulièrement forte nous montre une multitude d’entre eux y vivant, parfois pourchassés par les hommes qui semblent voir dans la grande forêt un véritable terrain de chasse. L’effroi gagne car si la transformation physique est là, les créatures ont gardé toute leur conscience humaine, rejetés pour cette faute : être différent.
Finalement se pose la question de la normalité. Elle est traitée de façon particulièrement émotionnelle avec Émile, que l’on voit subir puis accepter sa transformation inéluctable.
Performance magistrale
Le règne animal est un film à a fois fantastique et très intimiste, porté par son duo d’acteurs Paul Kircher et Romain Duris. Ce dernier est un comédien rodé qui n’a rien à prouver. Il est très crédible dans son rôle de père à la fois protecteur envers son fils avec qui il cherche à renforcer le lien. En même temps, il est détruit par l’absence de sa femme. C’est un vrai héros, déterminé et persévérant dans ses recherches pour la retrouver. Il est romanesque, prêt à tout. L’acteur incarne parfaitement l’homme tourmenté mais plein d’humanité.
Paul Kircher, 21 ans, est quant à lui époustouflant dans un rôle qui est un véritable défi d’acteur. Son jeu reste sobre d’un bout à l’autre et il parvient à nous faire vivre naturellement ses questionnements et sa transformation progressive vers l’animal. L’acteur dégage une puissance véritablement animale, qui déborde et la dernière partie du film dans laquelle l’appel de la nature où les comportements instinctifs prennent le dessus est impressionnant. On met bien évidemment cela sur le talent de l’acteur, la transformation physique et les effets spéciaux restant minimalistes le concernant. On devine néanmoins un gros travail de préparation physique et comportementale pour susciter ce caractère animal si naturel dans les postures, les mouvements, les mimiques et la voix.
N’oublions pas la bande-son, essentielle, qui rend le retour à la nature omniprésent, en plus d’images superbes des landes de Gascogne dans des lieux qui semblent inaccessibles : musique, cris d’animaux ou de mutants nous emportent.
Une réussite complète.
Le règne animal, un film de Thomas Cailley, avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier – Date de sortie : 4 octobre 2023 – Durée : 2h08
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