Climat : une étude révolutionnaire dans Nature attribue les vagues de chaleur aux émissions des « carbon majors »
Une étude publiée le 10 septembre 2025 dans la revue scientifique Nature établit un lien direct entre les émissions des plus grands pollueurs et 213 vagues de chaleur historiques, ouvrant des perspectives inédites pour la justice climatique
Une avancée dans l’attribution des événements extrêmes
Dans un monde où les vagues de chaleur deviennent de plus en plus fréquentes et intenses, une étude parue le 10 septembre 2025 dans la prestigieuse revue Nature marque une étape décisive. Dirigée par une équipe internationale incluant des chercheurs de l’Université d’Oxford et du Potsdam Institute for Climate Impact Research, cette recherche introduit une méthodologie systématique pour attribuer 213 vagues de chaleur survenues entre 2000 et 2023 aux émissions des 180 plus grands émetteurs de carbone, appelés « carbon majors« . Ces derniers incluent des entreprises comme ExxonMobil, Saudi Aramco, ainsi que des producteurs étatiques comme l’ex-URSS. Publiée alors que les négociations climatiques s’intensifient avant la COP30 prévue en 2026 à Belém, cette étude pourrait redéfinir les approches de responsabilité et d’adaptation face au changement climatique.
Contexte scientifique et méthodologie novatrice
Le changement climatique anthropique est reconnu pour amplifier les événements extrêmes, mais les études d’attribution restaient jusqu’ici limitées à des cas isolés. Cette recherche comble ce vide en systématisant l’analyse à partir de la base de données EM-DAT, qui recense 226 vagues de chaleur sur la période 2000-2023, sélectionnées pour leurs impacts sociétaux (pertes économiques, décès, état d’urgence). L’équipe a développé une approche hybride, combinant des modèles statistiques basés sur la distribution de valeurs extrêmes (GEV) ajustée à la température moyenne globale de surface (GMST) avec des données climatiques issues d’ERA5. Elle étend l’attribution en remontant la chaîne causale jusqu’aux émetteurs, distinguant les contributions des « carbon majors » de celles d’autres responsables, comme la déforestation.
Une responsabilité chiffrée pour des résultats marquants
Les résultats révèlent que toutes les vagues de chaleur étudiées ont été rendues plus probables et intenses par le réchauffement climatique. La probabilité de ces événements a été multipliée par environ 20 entre 2000 et 2009, et par 200 entre 2010 et 2019, tandis que leur intensité a augmenté de 1,4 °C à 2,2 °C sur la période. Les « carbon majors » sont estimés responsables d’environ 50 % de cette augmentation d’intensité depuis les niveaux préindustriels (1850-1900). Parmi eux, les 14 plus grands émetteurs, incluant l’ex-URSS et la Chine pour le charbon, contribuent autant que les 166 autres réunis. De plus, 26 % des vagues de chaleur auraient été « virtuellement impossibles » sans influence humaine, un pourcentage qui croît avec le temps.
Limites et défis de l’approche
L’étude reconnaît des limites significatives. La base EM-DAT présente un biais de déclaration, avec seulement 9 vagues de chaleur rapportées en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes sur 226, malgré la vulnérabilité de ces régions, suggérant une sous-représentation. L’approche basée sur la GMST suppose une linéarité dans la réponse du climat, qui pourrait ne pas s’appliquer à d’autres extrêmes comme les précipitations intenses. Enfin, l’agrégation des émissions (CO₂, CH₄) via le potentiel de réchauffement global reste une approximation, et les non-linéarités du système Terre compliquent les estimations précises des contributions individuelles.
Perspectives prospectives : vers une justice climatique renforcée
Cette méthodologie ouvre des perspectives majeures pour la justice climatique. À court terme (2025-2035), elle pourrait servir de fondement à des actions légales contre les « carbon majors« , permettant aux pays vulnérables de réclamer des compensations pour les pertes liées aux vagues de chaleur, basées sur des données chiffrées. À moyen terme (2035-2050), elle pourrait influencer les négociations internationales, comme la COP30, en imposant des obligations de réduction d’émissions proportionnelles aux contributions historiques, avec des fonds d’adaptation financés par ces émetteurs. Sur le long terme (2050-2100), une généralisation à d’autres extrêmes (inondations, sécheresses) pourrait établir un cadre mondial de responsabilité climatique, reliant les émissions passées aux impacts futurs. Cela nécessitera une collaboration internationale pour corriger les biais de données et garantir un accès équitable aux outils, comme suggéré par le GIEC.
Évolution du droit sur l’empreinte climatique des « carbon majors«
Le droit climatique évolue rapidement face à l’empreinte des « carbon majors« . En Suisse, le Federal Act on Climate Protection Goals de 2024 impose une neutralité carbone aux entreprises d’ici 2050, un pionnier mondial. En Europe, la directive CSRD (2023) exige des rapports sur les émissions Scope 3, incluant celles des chaînes d’approvisionnement, pressant les majors à la transparence. Aux États-Unis, des procès comme City of New York v. BP (2018) ont échoué, mais des avancées récentes en Californie (2024) explorent la responsabilité pour « nuisance climatique ». Cette étude pourrait renforcer ces cadres en fournissant des preuves quantifiées, bien que des obstacles persistent : juridictions fragmentées, preuves causales complexes, et résistance des entreprises, nécessitant une harmonisation internationale d’ici 2030.
Implications sociétales et économiques
Les implications sont profondes. Les compagnies d’assurance pourraient ajuster les primes dans les régions à risque, tandis que les gouvernements pourraient exiger des contributions financières des « carbon majors » pour des fonds d’adaptation. Cependant, cette approche risque d’accentuer les tensions Nord-Sud, les pays en développement plaidant pour une responsabilité partagée, un point soulevé par l’Organisation météorologique mondiale. Une application équitable nécessitera des accords internationaux robustes.
Le danger (récurrent) de l’instrumentalisation politique de la science
Si cette étude offre une avancée scientifique remarquable, elle n’est pas à l’abri d’une instrumentalisation politique. Certains pourraient exploiter ses conclusions pour promouvoir des narrations unilatérales, en exagérant la responsabilité des grandes industries tout en minimisant d’autres facteurs comme la déforestation, prêtant à l’étude des intentions qu’elle ne contient pas, comme des appels à des réparations sans fondement juridique clair. Cela risque de polariser les débats climatiques, soulignant l’importance de préserver l’intégrité scientifique pour des décisions basées sur des faits.
Une nouvelle ère pour la responsabilité climatique
Cette étude publiée dans Nature redéfinit l’attribution des vagues de chaleur en liant directement les émissions des « carbon majors » à leurs impacts. Si les limites techniques sont surmontées et l’analyse élargie, elle pourrait transformer les politiques climatiques mondiales d’ici 2030. Les années à venir seront cruciales pour valider cette approche et assurer son application équitable, une étape essentielle pour un avenir résilient face au changement climatique.
Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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