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Culture : ‘We are here’, exposition temporaire au Petit Palais à Paris

« On est là ! » Ils le proclament d’emblée, sur le totem érigé en plein centre de l’allée principale du Petit Palais : « Nous avons toujours été présents, laissant nos marques sur les murs, griffonnées, barbouillées, taguées, expression de liberté, libre des convention et des attentes… Nous sommes l’inattendu, l’indésirable, le délaissé, l’invisible… une force unie par un désir : la liberté de s’exprimer, de créer, d’agacer, de détruire… »

« Ils », ce sont treize artistes d’aujourd’hui, principalement street artistes, et qui ont désormais acquis le droit de se confronter aux plus grands noms de la peinture ou de la statuaire classiques, académiques, bourgeoises : Shepard Fairey, Cleon Peterson, Seth , Add Fuel, Swoon, DaBro, Hush, Conor Harrington, Invader et d’autres.

Certes, il convient sans doute de modérer la portée de cette « découverte ». Depuis une bonne vingtaine d’années, l’art populaire, celui qui se commet dans les rues, sur les murs, dans les friches et les terrains vagues, a conquis ses lettres de noblesse et, après tout, JR a pu exercer son talent sur les façades du Louvre et sur les pentes du Trocadéro.

Mais s’il demeure encore quelques esprits chagrins pour qui le street art n’est que du barbouillage et de la dégradation du matériel public, cette exposition pourrait aider à les convaincre.

Les artistes réunis sous les cimaises du petit Palais réussissent l’exploit de produire de respectueux hommages à la tradition des grands anciens tout en se montrant capables de pieds de nez irrespectueux. On est toujours un peu à cheval entre le sérieux et le farcesque, entre l’art d’impressionner et celui de faire sourire. C’est ainsi que l’on affuble un buste de la regrettée Reine Elizabeth d’Angleterre d’une langue tirée, façon Rolling Stones, et de cornes facétieuses sur le crâne. C’est ainsi que le souverain représenté par Conor Harrington, (Down with the king, acrylique sur toile) se démarque de l’académisme de Delaroche (le tableau du XIXème qui lui fait face dans la galerie) : il est bedonnant et blafard, noyé dans des couleurs baveuses, et il est avachi dans son trône pour assister à un match de foot à la télé. Ou bien encore que le Napoléon de Seth ou sa Marianne (deux symboles de la France) sont assis, vus de dos, au bord d’un tourbillon impressionnant bleu blanc rouge, comme s’il fallait se méfier des effets dévastateurs d’un certain nationalisme.

Si bien des artistes contemporains réunis en ces lieux professent leur admiration profonde pour Ingres, Courbet ou Munch, ils s’efforcent de mettre à plat et en jeu nos angoisses actuelles : la mort des idéologies totalitaires, la nécessité d’une vraie libération des femmes, d’une vraie égalité des communautés LGBT, l’appauvrissement des classes défavorisées, le drame des migrants, le cauchemar des changements climatiques, le retour de l’antisémitisme et des conflits de religions, etc.

À partir d’une oeuvre de la collection permanente du Petit Palais, La femme au singe, de Camille Alaphillippe, Shepard Fairey (Who is put on the pedestal ? techniques mixtes, pochoir, sérigraphie et collage sur toile 2024) propose sa propre interprétation : si la pose et l’expression contemplative sont semblables à celles de l’original, en revanche la femme blanche a été remplacée par une noire, traduisant ainsi ce qui doit être la préoccupation d’un art en phase avec son époque. Le même artiste, dans Bliss at the Cliff’s edge  (technique mixtepochoir, sérigraphie et collage sur toile) offre sa vision renouvelée du paysage romantique : le couple existe mais il est englué dans un paysage pollué qui est celui de nos contemporains : fog, pétrole, fumée, particules fines…

Systématiquement, cet art est engagé et conscient des enjeux de la planète. Dans sa sculpture équestre qui reprend les codes habituels de la statuaire guerrière, Cleon Peterson  (Echoes of Tomorrow, sculpture en bois et résine ) les détourne, ces codes, par la couleur noire uniforme, l’élimination des détails et l’aspect désincarné et il évoque ainsi  la perte de légitimité des pouvoirs autoritaires.

Nos treize artistes obtiennent ainsi l’équivalent de ce que fut, au XIXème siècle pour les impressionniste, le « salon des refusés », mais c’est tout de même dans le cadre prestigieux du Petit Palais. Une exposition à placer devant tous les regards, petits et grands, esprits sceptiques ou partisans déterminés, et qui, au surplus, est parfaitement gratuite.

Exposition temporaire Jusqu’au 17 novembre 2024, du mardi au dimanche de 10h à 18h, entrée libre et gratuite
Petit Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Image d’en-tête : photo extraite du site internet du Petit Palais

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