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Gollum (« Le Seigneur des anneaux ») aurait-il été condamné à de la prison ferme par la justice française ?

par Olivier Lasmoles, professeur associé de Droit, SKEMA Business school

L’enseignement du droit pénal n’étant pas toujours chose aisée, j’ai opté, il y a plusieurs années déjà, pour la projection d’extraits de films illustrant les principes et infractions étudiées en cours. Devant le succès de ce nouveau mode d’apprentissage, nous avons décidé d’étendre l’étude du droit pénal à travers l’analyse de 62 films, permettant, notamment, de se demander si Gollum aurait été condamné par la justice française.

Récemment à Paris, l’irresponsabilité des auteurs d’infractions pénales a encore déchaîné les passions. Le meurtre de Sarah Halimi par Kobili Traoré, en 2017, en est l’un des exemples. Malgré le meurtre de cette retraitée par défenestration, Kobili Traoré a été reconnu irresponsable de ses faits par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour abolition du discernement, comme cela a déjà été analysé dans un précédent article. La Cour a estimé que, si le prévenu avait bien pris volontairement et durablement des psychotropes le rendant responsable de son état psychiatrique, « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1ᵉʳ du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. ». L’affaire Troadec est un exemple tout aussi intéressant, car il concerne non pas l’abolition du discernement, mais son altération, concernant Hubert Caouissin, ayant tué quatre personnes dans ce qui a été qualifié de folie meurtrière.

Cette question d’irresponsabilité pénale pour abolition, ou altération, du discernement, qui représentait 203 cas en 2020, s’est à nouveau posée dans le cadre du meurtre de Lola Daviet par Dahbia Benkired ; l’expertise psychiatrique a, finalement, conclu que si Dahbia Benkired souffrait d’« un trouble grave et complexe de la personnalité » et d’une « absence d’empathie et de culpabilité », elle ne souffrait « d’aucun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ».

L’abolition du discernement n’est qu’une des causes d’irresponsabilité. Le code pénal en prévoit six autres. Et grâce à la fiction, il est bien plus aisé de les comprendre.

La contrainte irrésistible

Avant de devenir difforme et repoussant, dans Le Seigneur des Anneaux, Gollum était un hobbit du nom de Sméagol. Alors qu’il pêchait avec son cousin Déagol, celui-ci trouva l’Anneau unique qui avait été perdu par Isildur. Son pouvoir d’attraction était tel que Sméagol demanda à Déagol de le lui donner. Celui-ci refusa. Pris d’une rage incontrôlable, Sméagol l’étrangla et lui vola l’anneau. Puis il se réfugia dans des cavernes afin de ne pas se le faire dérober ; l’anneau ne cessa, depuis, d’exercer son pouvoir de fascination.

Sméagol est-il responsable de son acte ? Tournons-nous vers une première cause d’irresponsabilité : la contrainte irrésistible. L’article 122-2 du code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’emprise d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Si l’infraction est bien présente, son auteur ne pourra voir sa responsabilité pénale engagée.

Il existe deux types de contrainte ou de force : physique ou morale. Chacune d’entre elles peut, également, être subdivisée : interne ou externe.

La contrainte physique externe est celle d’une force extérieure à l’auteur de l’infraction, qui le rend impuissant. Cela peut être le fait de la nature, d’un tiers… Il en va ainsi d’un militaire ne pouvant se rendre dans son régiment à l’heure impartie du fait d’une tempête. La contrainte physique interne est inhérente à l’agent. C’est le cas de l’automobiliste qui, du fait d’un problème cardiaque, perd connaissance et renverse un piéton. Dans tous les cas, la contrainte doit avoir été irrésistible et imprévisible, c’est-à-dire que l’auteur du fait doit avoir été dans l’impossibilité absolue (Crim. 8 fév. 1936) de ne pas commettre l’infraction. Une faute personnelle ne doit, par ailleurs, pas être à l’origine de cette contrainte. Comme un marin qui ne pourrait se rendre sur son bâtiment avant appareillage, car il a été arrêté pour ivresse sur la voie publique.

La contrainte morale peut également être externe ou interne. La contrainte morale externe peut prendre la forme d’un employé braqué et menacé d’une arme. Il n’a pas d’autre choix que de s’exécuter, pour ne pas l’être. La contrainte interne n’entraîne plus, en revanche, l’irresponsabilité. C’est le cas des crimes passionnels d’antan dans lesquels les prévenus arguaient du fait qu’une passion les avait contraints à commettre l’irréparable.

Mais revenons-en à Sméagol. Dans un monde rationnel, le meurtre qu’il a commis pourrait s’expliquer par un acte passionnel. Il est très peu probable qu’un juge admette son irresponsabilité au titre d’une force morale interne. Mais en Terre du Milieu, dans le monde fantastique de Tolkien, l’anneau exerce un pouvoir tel qu’on pourrait le qualifier de contrainte morale externe, présentant les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. Il suffit d’observer l’attitude de tous les personnages du Seigneur des Anneaux qui ont été en possession de celui-ci. Sméagol pourrait donc ne pas être reconnu irresponsable de ses actes.

Gollum (fan art de Argent-Sky) – Source Wikipédia

Le trouble psychique ou neuropsychique

Un autre fondement juridique pourrait être mis en avant : celui du trouble psychique ou neuropsychique. Selon l’article 122-1, al. 1ᵉʳ du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Cette cause d’irresponsabilité nécessite qu’un trouble psychique ou neuropsychique ait privé l’individu de sa capacité de discernement.

Toute la difficulté réside dans la capacité du juge de déterminer si l’individu était, au moment des faits, incapable de saisir la portée de ses actes, de déterminer si le trouble dont il était atteint était d’une telle ampleur qu’il a supprimé intégralement sa capacité à juger le bien et le mal ; en somme que son discernement a été aboli. Le juge d’instruction fera, pour cela, appel un expert psychiatre. Une étape particulièrement délicate.

Dans l’hypothèse de la reconnaissance d’une abolition du discernement, le juge diligentera des contre-expertises, qui peuvent parfois se contredire. La reconnaissance définitive d’une telle abolition, par la chambre de l’instruction, entraîne l’irresponsabilité pénale de l’individu. Une altération du discernement ne fait pas disparaître la responsabilité pénale de celui-ci ; elle peut, en revanche, être invoquée par le juge dans la détermination de la peine.

Sméagol était-il atteint de trouble ayant aboli son discernement au moment des faits ? La réponse ne peut être apportée que par un expert psychiatre, après de nombreux entretiens – probablement rocambolesques – avec lui. Malheureusement, Tolkien n’a pas prévu ce scénario. Il est cependant possible de constater que son cousin et lui semblaient sains d’esprit au début de leur partie de pêche. Et que leur folie meurtrière est apparue concomitamment à la découverte de l’anneau. Folie qui s’est emparée des deux personnages, indistinctement. Une fois Déagol tué, Sméagol n’a d’ailleurs pas semblé récupérer ses esprits, ni son discernement ; devenant peu à peu Gollum.

On peut donc présumer qu’un expert psychiatre conclurait à une abolition du discernement de Sméagol, le rendant pénalement irresponsable mais entraînant son hospitalisation sous contrainte sans durée préétablie. Et sans son « précieux » anneau.

Image d’en-tête : dessin de presse de Babolinus, tous droits réservés

Texte paru initialement dans The Conversation

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