« HelloQuitteX » : une opération de militantisme politique au cœur du CNRS
Des chercheurs de l’établissement public ont créé une application pour quitter le réseau social X (ex-Twitter) en emportant ses suiveurs (followers) le jour de l’investiture de Donald Trump, à grand renfort de publicité et de soutiens politiques et médiatiques ; une dérive symptomatique du dévoiement de la science au sein des institutions
Le réseau social X, anciennement Twitter, est considéré comme le lieu d’expression de son propriétaire Elon Musk qui a activement soutenu la campagne présidentielle de Donald Trump. Depuis son arrivée, beaucoup envisagent de quitter le réseau à cause de ses orientations politiques marquées à droite : Musk est clairement un libertarien. Or les réseaux alternatifs sont à la traîne en termes d’activité et d’audience, et donc d’attractivité. Partir, c’est abandonner l’audience qu’on a construit sur Twitter puis X sans garantie de pouvoir reconstituer cela ailleurs. Sauf si on récupère ses archives avec la liste des comptes qui nous suiveurs (followers) et ceux que l’on suit. Aujourd’hui, c’est BlueSky qui fait figure, après Mastodon, d’alternative potentielle à X. Un « Ciel bleu » qui symbolise l’herbe plus verte ailleurs. Quoi qu’il en soit, quitter X, c’est un acte personnel et dans le contexte décrit, souvent un acte politique. Si on fabrique et qu’on met à la disposition de tous un outil de départ en masse de X, qui plus est le jour de l’arrivée d’un nouveau président, c’est un acte de militantisme politique fort.
Un site internet abrité par le CNRS aux mentions non légales et confuses
Le site de l’initiative interroge sur bien des aspects. Tout d’abord, le détournement à des fins politiques du nom et du logo de Hello Kitty. Est-ce légal ? Rien n’est moins sûr, s’agissant de marques et modèles déposés donc avec un usage protégé. On peut se demander si on ne tombe pas sous le coup du délit de contrefaçon.
Les mentions légales du site, comme leur nom l’indique, doivent répondre à des requis d’information obligatoires, définis par la loi sur la confiance en l’économie numérique, qui fixe des règles de transparence et de responsabilités des éditeurs de site. Il ne s’agit pas de prose libre ou publicitaire. Or ici, les « mentions légales » sont une sorte de publi-rédactionnel qui commence par « HelloQuitteX est un mouvement transpartisan et apolitique dont l’objectif est de permettre aux citoyens de se réapproprier des espaces numériques compatibles avec des démocraties fonctionnelles. » Comme s’il suffisait de l’écrire pour que ce soit vrai. On l’a vu, l’initiative est clairement politique. On semble ici vouloir faire passer des opinions pour des faits… Or, un « Code de conduite » proposé par l’initiative affirme pourtant que nul ne s’adonnera à confondre faits et opinions en participant à HelloQuitteX.
Les « mentions légales » se contentent d’énumérer de personnes et organisations comme étant fondatrices et/ou porteuses du projet.
On a essentiellement ici des informations non requises. La seule mention pertinente est le nom et l’adresse de l’hébergeur du site. L’information essentielle manquante, rendant ces mentions légales illégales, est le nom du directeur de la publication, personne physique qui doit être désignée et est une exigence légale, avec un moyen de contact. Ce n’est pas anodin, le directeur de la publication endossant la responsabilité légale de tous les contenus du site. Ses coordonnées affichées doivent permettre aux internautes de se renseigner sur tous les aspects du site.
Le RGPD, règlement sur la protection des données, aux oubliettes
Autre problème concernant la légalité du site HelloQuitteX : les « mentions légales » affirme qu’aucune donnée personnelle d’internaute n’est collectée, pour justifier à l’évidence la mise en place des mesures nécessaires en lien avec le RGPD relatif au traitement des données à caractère personnel. O le site offre la possibilité de s’inscrire à une newsletter avec une adresse e-mail… Viens ensuite le « gros morceau » : en s’inscrivant à l’application de portabilité, on autorise l’application à accéder à son compte du réseau social X. Elle propose même de pré-publier une publication sur X au nom du compte de l’internaute pour faire la publicité de HelloQuitteX auprès de son propre réseau. Quant aux archives que l’application récupère, que deviennent tous ces fichiers « siphonnés » par l’application, quel est leur traitement ? C’est pour l’internaute, une grosse boîte noire. De quoi faire bondir tout juriste spécialiste du traitement des données et du RGPD.
Initiative politique financée et promue par l’argent public destiné à la recherche scientifique
On notera en revanche la mention claire que le projet est construit sur « la plateforme de portabilité ouverte de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris IdF (CNRS)« . D’ailleurs, le logo du CNRS (redessiné par les créateurs du site comme le montre notre image d’en-tête) apparaissait. Il a été retiré à l’heure où nous publions cet article. Il faut dire que des chercheurs du CNRS, outrés par l’initiative, ont râlé comme l’anthropologue Florence Bergeaud-Blacker. Le 21 janvier au soir, elle écrivait sur le réseau social X, copie d’écran du site à l’appui : « A cette heure le logo du CNRS est toujours en ligne sur le site de boycott HelloQuitteX. Est-ce que l’administration du CNRS, Antoine Petit (président du CNRS, NDLR), est conscience que la petite opération de censure de ces barbouzes endommage la crédibilité et la réputation des chercheurs CNRS en France et dans le monde ? »
Ici, nous sommes à l’évidence face au dévoiement de la science pour s’adonner à du militantisme politique. La science est instrumentalisée, et on le voit très bien dans cette simple mention parmi d’autres, dans les fameuses « Mentions légales » du site : on nous décrit Hello-Quitte X comme un « »projet science-citoyens« . On a vu la confusion faits et opinions, qui est une caractéristique des pseudosciences, et le dévoiement du terme lui-même ; on n’est pas loin ici de vouloir nous faire passer le putsch politique HelloQuitteX pour de la science participative (Citizen Science en anglais).
On fait même face à un détournement multiple des fonds publics destiné au prestigieux CNRS (Centre national de la recherche scientifique), puisque d’une part les chercheurs à l’origine de HelloQuitteX semblent avoir consacré du temps de travail à leur projet QuitteX alors qu’ils sont fonctionnaires, donc sur leur temps de travail, et d’autre part ils ont exploité les ressources du CNRS (infrastructures et autres moyens) pour mener à bien leur projet. L’image pour la science et la recherche en France s’e, trouve bien entachée
Un précédent notable de militantisme sous couvert de science au CNRS
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de Laurent Mucchielli, chercheur en sociologie au CNRS, qui s’était embarqué en 2020 au moment de la pandémie de Covid-19 dans un soutien inconditionnel au Professeur déchu Didier Raoult de l’IHU Marseille, notamment sur Twitter et sur son blog. Son affiliation au CNRS restait attachée à son discours, de telle sorte que cela le légitimait aux yeux du grand public. Notre journaliste Fabienne Blum, qui au début de la crise sanitaire a rédigé une douzaine de tribunes dans la presse nationale de premier plan, en son nom ou pour notre éditeur Citizen4Science, en avait élaboré une en 2021, signée par l’ensemble du conseil d’administration de l’association, adressée à celui du CNRS. Publiée par le Journal du Dimanche, était adressée au conseil d’administration du CNRS donc Antoine Petit et le responsable du Comets, comité d’éthique de l’institution. L’association appelait le CNRS à ne pas laisser propager la désinformation médicale et la pseudoscience via son chercheur militant, improvisé pour l’occasion expert en médecine et en vaccinologie. Fabienne Blum avait par la suite été interrogée par Le Journal Le Monde en tant qu’expert en pharmacovigilance, science appliquée complexe sur laquelle le sociologue devisait comme s’il la maîtrisait. Si en réponse, le CNRS a pris quelques mesures relatives à ses procédures sur l’expression de ses chercheurs hors champ de compétence, Laurent Muchielli n’a pas été sanctionné. Il agissait isolément. Aujourd’hui, on a franchi un cap avec HelloQuitteX. Cette affaire ne risque pas d’aider à la lutte contre la défiance grandissante des Français dans la science et nos institutions.
Image d’en-tête : Captures d’écran du site HelloQuitteX
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